Le président américain, qui a été offensif avant-hier contre la Russie, a tenté de rassurer ses alliés sur un soutien «indéfectible» de Washington face à Moscou. Il s’agit de la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie. Ces pays ont été inquiets au lendemain d’un virulent discours du président russe, qui a juré de poursuivre «méthodiquement» son offensive lancée il y a presque un an en Ukraine, et a annoncé le retrait de la Russie du traité russo-américain New Start sur le désarmement nucléaire, rappelant les pires heures de la guerre froide. Les Occidentaux veulent «en finir avec nous une bonne fois pour toutes», a tonné M. Poutine, accusant Washington et ses alliés européens de porter «la responsabilité de l’attisement du conflit ukrainien et de ses victimes». M. Biden a rétorqué, le même jour à Varsovie, que «l’Occident ne complote pas pour attaquer la Russie comme Poutine l’a dit». «Les millions de citoyens russes, qui veulent seulement vivre en paix avec leurs voisins, ne sont pas l’ennemi», a-t-il ajouté. Joe Biden a prévenu que le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine «ne faiblira pas». «L’Ukraine ne sera jamais une victoire pour la Russie, jamais», a martelé le président américain, évoquant aussi «la volonté de fer de l’Amérique». «L’OTAN ne sera pas divisée et nous ne lâcherons pas», a assuré M. Biden.
Le président américain a également dans son collimateur la Chine, qui envisagerait de fournir des armes à la Russie pour appuyer son offensive en Ukraine, ce que Pékin a démenti. De son côté, le chef de la diplomatie européenne a estimé qu’une livraison d’armes par la Chine à Moscou serait une «ligne rouge» pour l’UE. Le ministre des Affaires étrangères chinois est en visite en Russie pour jouer un rôle de médiateur dans le conflit. Il a évoqué publiquement un plan de paix qui pourrait permettre de trouver une solution politique à la guerre. Le chef de la diplomatie chinoise a notamment rencontré, la semaine dernière, son homologue ukrainien, Dmytro Kouleba, durant la conférence sur la sécurité, organisée à Munich, en Allemagne. La Chine a promis de publier sa proposition de «solution politique» cette semaine, à temps pour le premier anniversaire du déclenchement de l’offensive russe en Ukraine le 24 février 2022. Proche alliée de la Russie, la Chine s’en tient à une position prudente par rapport à la campagne militaire russe en Ukraine, ayant exprimé plusieurs fois son soutien à Moscou face aux sanctions occidentales. Pékin a aussi accusé Washington d’être à l’origine du conflit et de l’alimenter par un flot ininterrompu de livraisons d’armes. Vladimir Poutine a jugé que la relation russo-chinoise «stabilisait la situation internationale».
Le président russe a marqué mardi les esprits en annonçant la suspension du traité New Start sur le désarmement nucléaire, se disant en outre prêt à renouer avec les essais nucléaires. Signé en 2010, ce traité est le dernier accord bilatéral du genre liant Russes et Américains et vise à limiter leurs arsenaux nucléaires. Moscou avait déjà annoncé début août suspendre les inspections prévues sur ses sites militaires. M. Poutine a aussi appelé les forces russes à se tenir «prêtes à réaliser des essais d’armes nucléaires», au cas où les Etats-Unis seraient les premiers à le faire.
Incertitudes sur le marché des céréales
«Les craintes d’une réduction significative des livraisons de blé de la mer Noire refont surface», alerte Jack Scoville, analyste chez Price Futures Group. Dans le même temps, la profusion de blé promise par des récoltes record en Russie et en Australie tempère la hausse des prix, dans un marché très concurrentiel où les grains russes, vendus nettement moins chers que les blés français ou américains, dominent les échanges. Les prix des céréales sont globalement revenus à leur niveau d’avant-guerre, sous les 300 euros la tonne, le maïs passant même devant le blé sur les marchés européens, signe d’une résistance du grain jaune dans un contexte d’incertitudes en Europe. Cette «atténuation relative» des chocs inflationnistes de 2022 – qui avaient vu les prix du blé doubler et ceux des engrais tripler – aboutit à une situation «artificiellement rassurante», pour le chercheur Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l’agriculture, Déméter, et auteur de Géopolitique du blé.
Il n’y a certes pas eu de grandes émeutes du pain, mais la facture mondiale des importations alimentaires a bondi pour des pays comme l’Egypte, le Nigeria ou le Soudan. «Il y a beaucoup de pays dans le monde où la nourriture coûte aujourd’hui plus cher, où les stocks sont plus bas et où les difficultés structurelles sont encore plus graves qu’il y a un an», souligne le chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). La guerre en Ukraine, superpuissance agricole, a rebattu les cartes. Le pays a perdu un quart de sa surface cultivée, avec une production céréalière en repli de 40% en 2022. L’ouverture de nouvelles routes terrestres vers l’Europe et surtout d’un corridor maritime – qui a permis de sortir plus de 20 millions de tonnes de produits agricoles des ports ukrainiens depuis le 1er août – a soulagé les Etats importateurs, mais la poursuite des combats et la crainte d’une récession mondiale ont maintenu une forte volatilité sur les marchés. Pour 2023, «on baigne dans l’incertitude pour le blé et le maïs», souligne Dax Wedemeyer, de US Commodities. La production de maïs, notamment, est scrutée dans un contexte de baisse de l’offre mondiale du fait d’un «temps très sec» dans le Midwest américain et en Argentine, et des incertitudes sur les capacités de production de l’Ukraine (4e exportateur avant la guerre).
Le fragile point d’équilibre trouvé par le marché pourrait être remis en cause si l’accord sur le corridor maritime, signé par Kiev et Moscou sous l’égide de l’ONU et de la Turquie, ne serait pas renouvelé le 18 mars prochain. Ce mécanisme se prolonge par tacite reconduction, sauf s’il est dénoncé par une des parties. Or, Moscou multiplie les déclarations hostiles et l’ONU juge la situation «plus difficile» qu’à l’automne, lors du premier renouvellement. Dans les prochains mois, trois éléments seront essentiels, selon Sébastien Abis. Premièrement, le rôle de la Turquie «qui a été essentiel pour l’accord sur le corridor, mais qui pourrait recentrer ses priorités sur son agenda intérieur» après le séisme et avant les élections prévues en mai. Deuxième point d’attention, «le comportement de la Chine», qui rouvre son économie et pèsera sur la demande mondiale, et enfin le risque climatique. «Si nous étions confrontés à un accident climatique dans un grand pays exportateur, nous aurions mécaniquement encore plus besoin de la Russie, qui possède aujourd’hui 30% des stocks mondiaux de blé», souligne-t-il. Pour toutes ces raisons, le marché «reste fébrile», estime Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés. «Depuis la guerre froide, on n’a pas connu une telle tension. Si le corridor n’est pas renouvelé, cela aura un impact modéré sur les approvisionnements pour le moment, mais le marché pourrait s’emballer. On revivrait alors le scénario du salaire de la peur qu’on a connu au printemps dernier.»