Et les gènes dans tout ça ? Tempérament, propension à la délinquance, facultés cognitives… Notre ADN agit-il vraiment sur notre comportement ? Depuis une dizaine d’années, la science rebat les cartes.
Addiction : un cocktail
de vulnérabilité
«La fréquence de l’alcoolisme dans la population générale est évaluée entre 2 et 5%, alors qu’elle est située entre 10 et 50% dans la fratrie d’un malade alcoolique, pointe Philip Gorwood, psychiatre et chercheur français spécialisé dans la génétique des comportements. Une surreprésentation liée à la fois à des facteurs génétiques et familiaux, comme le fait d’être exposé à une consommation précoce». Les études ont confirmé une forte héritabilité dans les troubles de l’usage de l’alcool, comme pour toutes les dépendances. Tabac, opiacées, jeu… Les scientifiques ont repéré non pas un gène qui rendrait directement accro, mais une kyrielle de gènes de vulnérabilité, qui interagissent entre eux à une substance spécifique ou, plus généralement, à l’addiction. Parmi eux : Chrna3, Chrna5 et CHRNB4, liés à la constitution des récepteurs nicotiniques, dans le tabagisme, ADH1B et ADH1C, associés à la dépendance à l’alcool, ou encore ANKK1 et DRD2, impliqués dans le processus de la récompense et de la motivation, corrélés à plusieurs addictions. Au fil de ces recherches, des gènes protecteurs ont aussi été mis en lumière. Des scientifiques se sont intéressés à une particularité fréquente chez les populations asiatiques : lorsqu’elles consomment une boisson alcoolisée, certaines personnes deviennent écarlates, leur cœur s’accélère et elles peuvent être prises de nausées. Bref : elles tiennent mal l’alcool. En cause, un variant du gène ALDH1, qui code pour un enzyme nécessaire au métabolisme de cette substance. Chez elles, l’action de l’enzyme est plus lente. Handicapant pour la vie mondaine, mais intéressant sur le long terme : les individus porteurs de ce variant ont moins de risques que les autres d’être alcooliques
Intelligence : une affaire de chromosome X… mais pas que !
En 1972, une étude avait fait grand bruit. Selon le chercheur en psychologie américain Robert Lehrke, les gènes influant sur les capacités cognitives (mémorisation, langage, attention, facultés de raisonnement…) se trouvaient tous localisés sur le chromosome sexuel X. Certains en avaient déduit que l’intelligence était davantage transmise par la mère, arguant que les femmes présentent deux chromosomes X. Archifaux : d’une part, ce raccourci n’a rien de scientifique ; d’autre part, de récentes études ont mis en lumière une réalité plus complexe. En 2015, une recherche publiée dans Nature Neuroscience a ainsi montré que nos capacités cognitives dépendaient de deux réseaux importants de gènes, M1 et M3, regroupant en tout près de 1 200 gènes. L’ensemble étant réparti sur plusieurs chromosomes, dont le X, mais pas seulement. Quant à l’influence de chacun de ces gènes, pris isolément, elle est faible. C’est la combinaison de tous qui semble jouer un rôle. Sans oublier le poids de l’éducation et de l’environnement social et culturel, qui est tout aussi déterminant.
Orientation sexuelle : le gène de l’homosexualité n’existe pas
Le généticien américain Benjamin Neale est catégorique : «Il est impossible de prédire l’orientation sexuelle d’une personne d’après son génome.» Avec un groupe de chercheurs internationaux, il a mené, en 2019, la plus vaste étude à ce jour sur le sujet, passant au crible plus de 490 000 profils ADN. Conclusion : il n’existe pas, contrairement à une idée développée dans les années 1990, un gène unique lié à l’homosexualité. En revanche, l’équipe a détecté cinq variants génétiques associés à la préférence sexuelle. Et il pourrait y en avoir des milliers d’autres. L’homosexualité a donc bien une composante génétique, mais l’environnement (exposition hormonale in utero, influences sociales…) joue un rôle important. Quelle est la part de l’inné et de l’acquis ?
Le débat reste ouvert. L’infidélité : ce n’est pas de ma faute, c’est mon ADN !
Tromper son partenaire serait-il une fatalité transmise de génération en génération ? C’est ce que suggère une étude australienne, de l’université du Queensland, reposant sur l’analyse ADN de 7378 jumeaux en couple et âgés de 18 à 49 ans. Selon les chercheurs, la part génétique de l’infidélité s’élèverait à 62% chez les hommes et 40% chez les femmes. Ils se sont aussi focalisés sur deux gènes : OXTR, codant pour la protéine réceptrice de l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, et AVPR1A qui influe sur l’activité de l’arginine-vasopressine, une hormone à l’origine du comportement monogame ou non… chez le campagnol. Si le premier gène n’a donné aucune correspondance, un variant de AVPR1A est bien corrélé à l’infidélité. Mais seulement chez la femme.
Anxiété : pas tous égaux face aux troubles anxieux… et au bonheur
Inquiétudes, ruminations, symptômes physiques… Pourquoi certaines personnes éprouvent de l’anxiété, en l’absence même de situation de stress ? Depuis quelques années, le gène 5-HTT est dans le viseur des scientifiques : placé sur le chromosome 17, il influe sur un transporteur de la sérotonine, un messager chimique qui intervient dans la régulation des émotions. Or, deux versions de ce gène existent, une longue et une courte : chez les individus porteurs de la première, le gène s’exprime davantage. Une plus grande quantité de sérotonine passe donc de la membrane cellulaire vers les neurones. Ces personnes se disent d’ailleurs significativement plus satisfaites de leur vie, selon une équipe londonienne qui a interrogé et analysé l’ADN de 2 500 Américains. En revanche, celles présentant une version courte ont plus de risques de souffrir de troubles anxieux.
Empathie : la part prépondérante de l’environnement
En 2018, des chercheurs français et américains se sont livrés à un travail de titan : collecter et analyser les données de quelque 46 000 volontaires, à qui il était demandé de donner un échantillon de leur salive et de répondre à un questionnaire évaluant leur niveau d’empathie. Conclusion des scientifiques : il existe bien des profils ADN prédisposant à cette capacité à s’identifier à autrui, comprendre ce qu’il ressent et à y répondre. Mais la part de la génétique reste largement minoritaire, elle ne contribuerait ici que pour 10%, le reste étant imputé à l’éducation, l’expérience personnelle... L’étude a aussi confirmé que les femmes étaient plus empathiques que les hommes. Et ce n’était pas une question d’ADN.
Délinquance : prévenir oui, prédire non
Dans le film de Spielberg Minority Report, des humains mutants visualisent les crimes avant même qu’ils ne soient commis, permettant au héros (incarné par Tom Cruise, en très grande forme) de tuer dans l’œuf la délinquance. Pure science-fiction ? En 2005, l’Inserm publiait une expertise collective sur les troubles de conduite : les chercheurs proposaient de les détecter au plus tôt et de procéder vers l’âge de 3 ans à un premier repérage des tempéraments difficiles (agressions physiques, refus d’obéir…), soulignant un taux d’héritabilité de 50% de ces troubles. Tollé général. Deux ans plus tard, le comité consultatif d’éthique pointait la surévaluation de l’influence génétique. Reste que, selon plusieurs études, la mutation du gène MAOA est observée à une fréquence plus élevée chez les délinquants. Celui-ci commande la production d’un enzyme, la monoamine oxydase, qui intervient dans l’élimination de la dopamine, elle-même impliquée dans les comportements violents. Une prédisposition certes, mais pas une prédétermination : ce variant est très répandu chez l’être humain, et tous les individus porteurs ne deviennent pas des criminels pour autant.