Professeur d’université en finances publiques, Zine Barka estime, dans cet entretien, que l’élaboration des textes juridiques est une étape nécessaire en vue de lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude. Cependant, pour renforcer les barrières contre les malfaiteurs, il y a lieu d’assurer l’application, le suivi et l’évaluation de ces mesures.
- Pour commencer, comment intervient le Groupe d’action financière (GAFI) pour aider les pays à lutter contre le blanchiment d’argent ?
Le Groupe d’action financière est généralement défini comme «organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme», dont le but est d’assurer l’intégrité du système financier, de définir son domaine opérationnel et «de prévenir les activités illégales et les dommages qu’elles causent à la société».
Au fur et à mesure depuis sa création, en 1989, par le G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), le GAFI ne cesse d’enrichir les conseils dispensés aux pays pour déjouer l’expansion du blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi que la prolifération des armes de destruction massive. Le GAFI participe donc à la mise en œuvre «d’un cadre complet de mesures pour aider les pays à lutter contre les flux financiers illicites.
Elles comprennent un cadre solide de lois, de réglementations et de mesures opérationnelles afin de garantir que les autorités nationales puissent prendre des mesures efficaces pour détecter et perturber les flux financiers qui alimentent le crime et le terrorisme, et punir les responsables d’activités illégales». Actuellement, 38 pays sont membres du GAFI, le statut de membre de la Fédération russe a été suspendu le 24 février 2023 pour les raisons que nous connaissons.
L’intégrité du système financier nécessite un engagement politique soutenu pour lutter contre ces menaces. C’est pourquoi, en 2019, les ministres du GAFI ont donné au GAFI un mandat à durée indéterminée après trois décennies de fonctionnement dans le cadre d’un mandat limité dans le temps.
- Qu’en est-il de l’évaluation de l’Algérie et de son placement sur la liste grise ?
Pour focaliser notre attention sur l’évaluation de l’Algérie, on observe que dans le dernier rapport du GAFI, l’Algérie est placée dans la «liste grise». Ce qui signifie qu’il a été jugé que le système mis en place dans notre pays n’est pas efficace dans la «lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme».Le GAFI note que «plusieurs améliorations sont nécessaires pour renforcer le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
A commencer par la mise en place d’une véritable surveillance basée sur les risques, c’est-à-dire l’adaptation des mesures de vigilance au niveau des risques identifiés pour chaque client/opération, la garantie d’un meilleur accès aux informations sur la propriété effective des sociétés et structures juridiques, afin d’identifier leurs véritables bénéficiaires. Et la révision et la consolidation du cadre juridique des sanctions financières ciblées contre les personnes/entités liées au financement du terrorisme».
- Que signifie ce classement à votre avis ?
Ce classement est, certes, un avertissement sérieux à l’encontre d’un pays pour qu’il renforce ses capacités techniques, organisationnelles, institutionnelles et humaines dans la mise à niveau des juridictions et des méthodes basées sur les bonnes pratiques de lutte contre le blanchiment d’argent. Un plan d’action est donc à mettre en œuvre en coordination avec les bonnes pratiques suggérées par le GAFI pour s’extirper de cette situation de nature à nuire à la bonne renommée du système financier et de son intégrité.
Cela est très important car l’Algérie ne cesse de faire des appels pour attirer plus d’investissements directs étrangers. Or, les investisseurs étrangers potentiels regardent cet indicateur avec beaucoup de sérieux et lui accordent une grande importance dans leur décision. Il ne s’agit donc pas de contrarier cette volonté politique par un retard dans la mise à jour des aspects techniques de la réglementation ou un manque de transparence dans la transmission des informations aux différentes parties prenantes.
Il est certain que les instruments mis en place par les autorités algériennes, notamment depuis ces dernières années, et particulièrement depuis l’intégration de l’Algérie comme membre du Menafatf (Middle East and North Africa Financial Action Task Force) ou avec le sigle français GAFImoan (Groupe d’action financière Moyen-Orient et Afrique du Nord), créé le 30 Novembre 2004, qui a été présidé successivement dans le passé en 2011 par deux présidents en l’occurrence MM. Abdenour Hibouche et Abdelmajid Amghar, n’ont cessé de prendre de l’importance en matière d’élaboration de textes juridiques et de création d’instances spécialisées comme la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) en Algérie, dans la lutte contre la criminalité économique.
Il s’avère que comme organisme chargé de lutter contre le blanchiment d’argent, la CRTF doit revoir sa structure et améliorer tout à la fois ses performances et son fonctionnement.
- En dehors de la CTRF, quels sont les autres organismes appelés à améliorer leurs performances en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ?
Cette remarque est à partager également avec d’autres organismes nationaux comme la Cour des comptes, la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de Bourse (Cosob) et la Direction générale des Impôts (DGI) qui sont des parties prenantes directes, car une bonne partie de leurs missions se rapporte au contrôle.
La DGI a non seulement pour mission de collecter et de mobiliser des ressources, comme l’impôt, mais également de combattre l’évasion et la fraude fiscales notamment. Quant à la Cour des comptes, le contrôle fait partie intégrante de ses missions.
Il en est de même pour la Cosob qui est chargée de «surveiller, contrôler et enquêter» que les marchés des valeurs mobilières sont issus de transactions licites et en règle en veillant notamment :
• à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières ou tout autre produit financier donnant lieu à un appel public à l’épargne ;
• au bon fonctionnement et à la transparence du marché des valeurs mobilières.
En somme, la Cosob veille à ce que le financement de l’économie s’effectue de manière saine et que les fonds collectés ne proviennent pas du blanchiment d’argent ou bien sont issus de sources maffieuses ou de la vente de produits illicites.
- Comment remédier aux faiblesses constatées ?
Il me semble que l’accélération de la digitalisation, pour ses nombreux avantages reconnus, du ministère des Finances est une des priorités pour remédier à ces faiblesses. Car elle est de nature à permettre une plus grande traçabilité des opérations financières ainsi qu’une plus grande transparence des données, et représente une des priorités pour remédier à ces faiblesses.
En somme, l’élaboration des textes juridiques est une excellente et nécessaire étape en vue de lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude, mais l’application, le suivi et l’évaluation de ces mesures sont de nature à renforcer cette barrière contre les malfaiteurs.
Enfin, un dernier point qui devrait être mis à profit se rapporte au soutien technique que le GAFI, avec ses démembrements régionaux, peut apporter aux pays qui connaissent la même situation que l’Algérie, afin de corriger les imperfections du fonctionnement du contrôle, toutes formes comprises, et mettre un terme aux fléaux criminels qui contrarient le développement économique.
Ces quelques mesures évoquées constituent les composantes d’une réforme ambitieuse pour hisser les institutions nationales de contrôle aux normes internationales qui se traduiront certainement par la sortie de l’Algérie de la zone grise où elle a été mise récemment par le GAFI.