Aujourd’hui, avec le recul historique, il est temps de retracer les années où l’Algérie a failli basculer. En janvier 1992, le mouvement islamiste, empêché de prendre le pouvoir par les urnes, a déclenché une terrifiante spirale de violence.
Est-ce déjà de l’histoire ou encore de la chair vive exacerbée ? C’était il y a trente ans, au début 1992, que la haine et la violence ont pris le pas sur la vie politique démocratique algérienne à peine naissante. Trente ans après l’indépendance de 1962, le pouvoir algérien n’a plus tenu alors qu’à un fil : le fil de l’épée, si on ose dire…
Dans un livre remarquablement informé, Du verbe au fusil *, qui vient de paraître chez Erick Bonnier, notre confrère Amer Ouali analyse ces années de terreur qui se sont emparées de l’Algérie au lendemain du scrutin législatif annulé de décembre 1991 jusqu’en 2002.
Pour comprendre comment le drame s’est noué, l’auteur nourrit quelques pages tout à fait utiles sur la montée de l’islamisme dès les premières années de l’indépendance, notamment à l’université dans les années 1970, puis la naissance des premiers groupes terroristes dans les années 1980. Même si le pouvoir algérien en est venu à bout (maquis de Mustapha Bouyali et de Mansour Méliani), le ver était dans le fruit : «Avant de dégainer sabre et fusils, les islamistes ont manipulé l’arme de la parole dont ils ont une excellente maîtrise. Prêches, sermons, discours : les occasions de s’affirmer et de se former ne manquent pas.
A l’instar de l’imam Ali Belhadj. Doté d’un incontestable charisme et doué d’une indomptable force de caractère, le prêcheur, verbe incendiaire mais sincère, savait manipuler les passions et les émotions. Il savait galvaniser les foules, les transporter», écrit Amer Ouali. Benhadj ne fut pas le seul semeur de trouble de cet acabit.
Comment les forces s’imbriquent et parfois s’annulent
Les émeutes de 1988 ont donné à la mouvance islamiste une visibilité nouvelle, des têtes d’affiche et une parole prête à être entendue et même déformée, s’affirmant comme l’opposition la plus structurée, décidée à revendiquer d’accéder aux manettes. Alors que le régime en place, tout autant que les forces démocrates, se sont trompés sur son ancrage dans la société et ont failli disparaître dans la tourmente !
Après la victoire du Front islamique du salut qui allait emporter une large majorité de députés, comment le pouvoir incarné par le président Chadli Bendjedid d’une part, et l’armée ont dû improviser pour rompre le processus électoral.
On découvre dans ce livre des informations nouvelles dénichées par Amer Ouali sur cette phase historique. Il avait déjà publié, aux éditions Frantz Fanon, un précédent opus, Le Coup d’éclat. De la naissance du FIS aux législatives avortées de 1991.
Il fait des révélations aussi sur les acteurs de la période de violence qui s’en suit ou comment les forces s’imbriquent et parfois s’annulent : Armée islamique du salut (AIS), Groupes islamiques armés (GIA), El djza’ara, etc. Comment aussi ce dernier mouvement verra ses membres liquidés par les autres forces violentes en présence. Comme les chouyoukh islamistes refusant le mot d’ordre de violence ont été éliminés : plusieurs dizaines d’imams l’ont payé de leur vie.
Amer Ouali décrit avec précision la nébuleuse des groupes islamiques et leur organisation «para-étatique» qui a mis à mal jusqu’à l’administration de l’Etat algérien en certaines zones du territoire national.
1997 : Le tournant de l’ais face à la lutte armée
Amer Ouali donne d’ailleurs des éléments probants sur la manière dont en 1997 les terroristes sanguinaires, une fois perdus l’encadrement et la solidarité de la population organisée en groupes d’autodéfense, se retournèrent contre elle avec notamment les massacres de Rais et de Bentahla.
Pour les deux années 1996 et 1997, l’auteur du livre établit la liste effrayante de nombreux attentats contre des civils.
Avec le tournant décisif de l’AIS qui, suite à cette barbarie, dépose les armes, favorisant l’aboutissement de l’enchaînement des négociations avec le régime présidé alors par Liamine Zeroual et l’armée menée par le général Lamari. Parmi les islamistes, un nom surnage de ce marais nauséabond, celui qui jouera un rôle important pour l’apaisement : Madani Mezrag, aujourd’hui encore véritable survivant de cette époque sauvage.
Amer Ouali consacre quelques pages très documentées à ce personnage et à cette phase de sortie du terrorisme qui a meurtri l’Algérie, les terroristes en sortant avec des avantages certains : aide à retrouver un emploi, mensualités comme au temps du maquis…
Concorde et réconciliation nationale
A son arrivée au pouvoir en 1999, le président Bouteflika finalisera la «concorde civile» puis la «réconciliation nationale». Textes qui figurent intégralement en annexe de l’ouvrage. Mais cela a-t-il tout réglé ? L’auteur écrit : «La charte, restée muette sur les raisons politiques et idéologiques de la confrontation, n’a pas prévu de commission ‘‘vérité et réconciliation’’ qui doit situer les responsabilités, comme ce fut le cas en Afrique du Sud par exemple, après la fin de l’Apartheid.»
D’autant que si la paix est revenue, certains groupes terroristes ont continué. En 2000, écrit Amer Ouali, il y a eu 559 attentats à la bombe qui ont fait 240 morts et 941 blessés. Puis d’autres actes criminels dans les années suivantes avec comme point culminant l’attaque contre le complexe gazier de Tiguentourine le 13 janvier 2013.
Enfin, malgré leur poids grandissant sur le vécu quotidien des citoyens en de nombreux secteurs, les islamistes, «vaincus militairement et divisés, (ils) ont aussi manifesté leur appétit de pouvoir et d’enrichissement qui les ont décrédibilisés auprès de la population».