Vers un monde bipolaire

12/04/2022 mis à jour: 23:06
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La guerre en Ukraine fait un pied de nez (un de plus) à Francis Fukuyama. Sa théorie apologique sur le triomphe et la suprématie absolue et définitive du modèle américain, développée il y a trente ans dans La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, est en train de se faire enterrer définitivement.

 Le temps d’une génération, cette suprématie semble s’estomper dans les limbes d’un horizon qu’il affirmait indépassable. L’actualité force le constat. La guerre en Ukraine n’est qu’une éruption cutanée de ce qui se joue dans les entrailles du monde. Un tournant de l’histoire qui sifflerait plutôt la fin de l’histoire… de la domination états-unienne. 
 

Non seulement le bloc eurasien constitué de la Chine et la Russie s’est définitivement autonomisé pour se démarquer de l’influence américaine, en plus, des signes d’actualité montrent que le duo est en train de créer une force centrifuge qui attire des pays de plus en plus en porte-à-faux avec l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier. 

C’est le cas de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis (d’habitude alliés inconditionnels de l’Oncle Sam) qui viennent de refuser la demande américaine d’augmenter la production de pétrole. Bien entendu, il ne s’agit pas de rupture avec l’Occident, mais ce type de décisions dévoile des frémissements d’un monde qui tend à revenir à la bipolarité, voire à la multipolarité.
 

La Russie est en train d’étrangler l’économie européenne avec le levier énergétique, mais ce n’est pas la seule carte maîtresse qu’elle détient. Il faut être attentif à ces pourparlers engagés par la Russie et la Chine avec des partenaires économiques pour payer les transactions commerciales avec leurs monnaies respectives. 

Une manœuvre qui, à terme, va faire basculer le monde en torpillant l’hégémonie du dollar américain, principale source de domination mondiale depuis les accords de Bretton Woods de 1944 qui ont lié la valeur des monnaies nationales à l’étalon-or, et ensuite la décision prise en 1971 par Richard Nixon de séparer le dollar de l’or, les deux situations ayant accordé un super privilège à l’Amérique au détriment du reste du monde. 

Le bloc eurasien, rallié par l’Inde, compte environ 4,7 milliards d’individus, soit trois fois la taille de l’Occident en termes de population et de marché. Si ce bloc se détache de la zone mondiale du dollar et la zone régionale de l’euro, toute l’économie occidentale risque de crasher. Un scénario catastrophe que Fukuyama n’a pas prévu.
 

Pour paraphraser Antonio Gramsci, il devient clair qu’un ordre mondial se meurt et qu’un nouvel ordre mondial est en train de naître. Mais dans ce clair-obscur surgissent des monstres et des guerres dévastatrices. Pour avoir osé envisager leur autonomie monétaire et économique, sans avoir les moyens de tenir tête à l’Occident, des pays comme la Libye et l’Irak ont été détruits. Le bloc eurasien, quant à lui, semble aujourd’hui détenir les moyens de sa politique. Mais rien ne dit que le rééquilibrage se jouera seulement sur le terrain ukrainien.

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