Une cascade de mauvaises nouvelles plombe la rentrée de la première économie européenne, déjà affaiblie par la crise de son modèle industriel. Le gel, annoncé lundi, du projet d’usine Intel en Allemagne s’ajoute à une série de revers touchant les grands noms du «made in Germany».
Le vétéran américain des puces électroniques Intel reporte ses plans d’expansion en Europe au profit des Etats-Unis. Le coup est dur pour le gouvernement allemand, qui avait promis 10 milliards de subventions, un tiers du financement total, pour attirer le groupe. L’usine en projet à Magdebourg, dans le centre du pays, devait représenter «le plus gros investissement étranger jamais réalisé», selon Berlin.
Annoncé en 2022, le projet est gelé pour deux ans et sa relance dépendra de la demande. Si ce revirement est lié aux difficultés du groupe américain, en retard sur ses concurrents dans la course à l’IA, il alimente l’inquiétude sur la perte d’attractivité de l’Allemagne.
Dans le dernier classement international des économies les plus compétitives de l’université privée suisse IMD, l’Allemagne, qui était en 6e position en 2014, poursuit sa dégringolade à la 24e place, perdant deux places en un an. Principaux points noirs mentionnés : impôts, bureaucratie, infrastructures médiocres.
L’annonce a provoqué un séisme : Volkswagen, plus gros employeur industriel du pays, deuxième constructeur mondial, envisage de fermer des usines et procéder à des licenciements. Un tabou tombe pour ce fleuron de l’automobile, qui se dit confronté à «des coûts ne permettant pas de maintenir l’emploi», dans un marché automobile au ralenti.
«Nous avons trop misé sur une évolution rapide vers l’électromobilité» tandis que «la Chine, en soutenant ses constructeurs à grands frais, s’est achetée une avance technologique dont nous souffrons aujourd’hui», analyse pour l’AFP l’expert Holger Schmieding.
Une semaine après le choc Volkswagen, BMW a annoncé le rappel de 1,5 million de véhicules en raison d’un système de freinage défectueux. Egalement confronté à la demande atone sur le marché chinois, le groupe bavarois a révisé ses objectifs financiers à la baisse.
L’Europe trinque
Rien ne va plus chez l’aciériste allemand historique : déjà confronté à la déferlante d’acier chinois, la branche sidérurgie du conglomérat Thyssenkrupp s’offre une crise de gouvernance sans précédent avec la démission, fin août, de plusieurs membres du directoire et du conseil de surveillance. Aux sources du conflit : un désaccord sur l’ampleur du plan de restructuration imposé à l’entreprise, qui exploite la plus grande aciérie d’Europe à Duisbourg.
L’avenir du premier fabricant allemand d’acier est en jeu dans cette nouvelle tempête qui s’ajoute à la crise provoquée par la hausse des coûts de l’énergie, Thyssenkrupp Steel a déjà dû réduire sa capacité de production. Des milliers de suppressions de postes sont redoutées dans la branche acier qui emploie 27 000 personnes. L’entreprise de logistique Schenker, filiale rentable du groupe ferroviaire Deutsche Bahn, va passer sous pavillon danois, ce qui pourrait entraîner la perte de 5300 emplois en Allemagne sur 15 000, craignent les employés de Schenker.
Et désormais, la possible acquisition de la deuxième banque allemande Commerzbank par l’italienne Unicredit suscite des inquiétudes parmi les employés et les syndicats. Ces situations montrent aussi que malgré les difficultés économiques allemandes, le pays reste attractif pour les investisseurs, notamment grâce à ses «hidden champions» – des PME leaders mondiaux mais peu connues.
Après une première partie d’année difficile, l’économie allemande est restée enlisée cet été, amenant plusieurs instituts à raboter leurs prévisions pour 2024, qui oscillent désormais entre stagnation et légère récession. Malgré l’euphorie liée à l’Euro de football et des gains de pouvoir d’achat grâce aux hausses de salaires, la consommation privée reste faible.
L’industrie et la construction s’enfoncent davantage, et les investissements sont freinés par l’incertitude économique et le mécontentement envers la coalition au pouvoir. Une reprise économique «n’est attendue qu’en fin d’année», selon le ministère de l’Economie, qui devrait à son tour ajuster cet automne sa prévision de croissance, actuellement à 0,3%.
Les problèmes de l’économie allemande sont «aussi une mauvaise nouvelle pour toute l’Europe», souligne Carsten Brzeski, économiste chez ING. L’Allemagne, principal partenaire commercial de nombreux pays européens, «subit une perte de compétitivité» depuis plusieurs années, ajoute-t-il, ce qui nuit aux exportations et donc à la demande dans d’autres pays de l’UE.
«La diminution des exportations vers l’Allemagne, déjà constatée au premier semestre 2024, affecte la croissance des autres économies européennes et pourrait réduire les investissements, notamment pour ceux qui dépendent fortement de l’industrie allemande», explique Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Dans l’automobile, la fermeture annoncée de l’usine Audi en Belgique, à Bruxelles, par sa maison-mère Volkswagen, illustre ces répercussions.