Une opération diabolique préparée pendant dix ans : Comment le Mossad a piégé les bipeurs et les talkies-walkies du Hezbollah

25/12/2024 mis à jour: 15:24
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La chaîne CBS vient de dévoiler les dessous de cette opération machiavélique, y consacrant un numéro de son magazine «60 Minutes Overtime»

The Pager Plot.» Littéralement : «Le complot au bipeur.» C’est comme ça que l’émission phare de la chaîne américaine CBS, «60 Minutes Overtime» (60 minutes supplémentaires) a appelé cette affaire. 


Vous vous en souvenez sans doute : il s’agit de cette mystérieuse vague d’explosions de bipeurs (pagers en anglais), puis de talkies-walkies piégés, qui, pendant deux jours, avaient semé la mort, le chaos et la panique au Liban. 

Cela s’est passé les 17 et 18 septembre dernier. Les deux attaques avaient fait 37 morts et près de 3000 blessés selon les autorités libanaises. Si cette opération spectaculaire avait ciblé principalement le Hezbollah, elle avait fait plusieurs «victimes collatérales» parmi les civils. Elle était le prélude à la grande offensive lancée par l’armée israélienne contre le Hezbollah moins d’une semaine plus tard, à partir du 23 septembre, et qui a été suivie par une incursion terrestre au sud du Liban le 30 septembre. Point d’orgue de cette séquence de domination sioniste : le 27 septembre, des bombardements massifs de la «dhahiya», la banlieue sud de Beyrouth abritant le QG du Hezbollah, ont coûté la vie à Hassan Nasrallah, le chef historique du mouvement de résistance chiite libanais. Des cadres importants de l’état-major du «hezb» ont également été décimés. Si le Hezbollah ne s’est pas complètement effondré, force est de constater que la double attaque aux bipeurs piégés l’avait déstabilisé en mettant à mal son système de transmission et toute sa sécurité intérieure. 

«L’armement des talkies-walkies a commencé il y a dix ans»

La chaîne CBS, comme nous le disions, vient de dévoiler les dessous de cette opération machiavélique, y consacrant un numéro de son magazine «60 Minutes Overtime» présentée par Lesley Stahl, et qui a été diffusé dimanche dernier. Au cours de cette émission, Lesley Stahl a interviewé deux ex-agents du Mossad qui avaient participé à la mise en place de cette opération au long cours. 

L’un d’eux qui a témoigné sous le nom de «Michael», une fausse identité, est apparu entièrement cagoulé, les yeux cachés derrière des lunettes noires. «Deux agents supérieurs du Mossad récemment retraités, qui ont été parmi les fers de lance de cette opération de plusieurs années, ont raconté en détail comment ils ont fabriqué les appareils et les ont mis entre les mains du Hezbollah», indique la chaîne américaine sur son site officiel. «L’armement des talkies-walkies a commencé plus de dix ans avant qu'Israël ne les déclenche en septembre», révèle CBS. «Le talkie-walkie est une arme, au même titre qu'une balle, un missile ou un mortier», observe un des deux agents secrets. «La batterie du talkie-walkie, fabriquée en Israël dans une usine du Mossad, comprenait un dispositif explosif», explique Michael. «Les talkies-walkies étaient conçus pour être placés dans la poche de poitrine d'une veste tactique pour soldats» a-t-il précisé. 

Selon CBS, «le Hezbollah a acheté plus de 16 000 de ces appareils explosifs», comprendre les appareils de télécommunication piégés, «et certains de ces appareils ont été utilisés contre lui le 17 septembre». 

La chaîne d’approvisionnement du Hezbollah infiltrée

L’agent du Mossad a fourni des détails saisissants sur la façon dont le Hezbollah a été conduit à acquérir ces appareils. Tout a commencé par la création de sociétés écrans. «Le Mossad devait dissimuler son identité en tant que vendeur et s'assurer que les talkies-walkies ne pouvaient pas être retracés jusqu'en Israël. Il a donc créé des sociétés écrans pour infiltrer la chaîne d'approvisionnement», révèle Michael. Un autre agent du Mossad, s’exprimant sous le prénom de Gabriel, complète : «Les talkies-walkies étaient conçus pour être placés dans des gilets tactiques blindés utilisés au combat, mais le Mossad voulait installer des dispositifs que les membres du Hezbollah auraient sur eux à tout moment. C'est ainsi qu'en 2022, l'agence a commencé à développer des pagers piégés», a-t-il affirmé à CBS, le visage masqué. 

D’après son récit, «le Mossad avait appris que le Hezbollah achetait des pagers à Gold Apollo, une société basée à Taïwan. Les pagers de Gold Apollo étaient élégants, brillants et pouvaient se glisser dans les poches. Le Mossad avait besoin d'un pager plus grand pour y placer des explosifs». 

Le chef du Mossad, David Barnea, n’était pas très convaincu par le plan qu’on lui a proposé. L’agent Gabriel dit que le jour où il a montré le bipeur, «il était furieux». «Il nous a dit : ‘‘Il n'y a aucune chance que quelqu'un achète un appareil aussi gros. Il n'est pas à l'aise dans une poche. C'est lourd’’». 
 L’agent secret israélien a ensuite «passé les deux semaines suivantes à convaincre son patron des mérites du téléavertisseur. Ces mérites ont ensuite été vantés dans de fausses publicités sur YouTube, où les pagers étaient présentés comme robustes, étanches à la poussière et à l'eau, et dotés d'une longue durée de vie de la batterie». 


«Ils ne se doutaient pas qu'ils achetaient chez le Mossad»

Les faux fabricants du Mossad «ont également publié de faux témoignages en ligne». «C'est devenu le meilleur produit au monde dans le domaine des bipeurs», se félicite Gabriel. «Le Mossad a fait un si bon travail de promotion que des personnes extérieures au Hezbollah ont voulu l'acheter», a-t-il soutenu devant Lesley Stahl. Et d’ajouter : «Il est évident que nous n'avons envoyé aucun message à qui que ce soit. Nous nous sommes contentés de leur proposer un prix élevé.» Abondant dans le même sens, Michael confirme que «le prix d’achat de ces appareils était étudié».  «Le prix ne devait pas être trop bas, car Israël ne voulait pas que le Hezbollah ait des soupçons» a-t-il souligné. 

Parmi les sociétés écrans créées par le Mossad, il y en a une qui va jouer un rôle-clé dans cette opération. Il s’agit d’une boîte créée «en Hongrie, pour duper Gold Apollo et l'amener à travailler avec lui (le Hezbollah, ndlr)», déclare Gabriel. Le Mossad «fabriquait entièrement les bipeurs et avait un partenariat de licence avec Gold Apollo. Tout cela devait paraître normal aux yeux du Hezbollah», poursuit-il, avant de lancer : «Lorsqu'ils nous achètent, ils ne se doutent pas qu'ils achètent au Mossad.» 

Le service de renseignement israélien va jusqu’à «engager la vendeuse de Gold Apollo avec laquelle le Hezbollah avait l'habitude de traiter et qui ne savait pas qu'elle travaillait avec le Mossad». Selon Gabriel, «elle a offert au Hezbollah le premier lot de téléavertisseurs en guise de mise à niveau, gratuitement. En septembre 2024, le parti libanais avait environ 5000 pagers dans ses poches». «Les appareils n'avaient aucune capacité de renseignement et ne pouvaient pas être utilisés pour le pistage. Ils ne pouvaient être utilisés que comme des bombes miniatures», note l’agent israélien. «Il s'agit d'un dispositif très simple par nature. C'est la raison pour laquelle ils l'utilisent. Il n'y a pratiquement aucun moyen de le mettre sur écoute.» 


«Un crime de guerre dystopique»

Amnesty International avait appelé le 20 septembre 2024 à «l’ouverture d’une enquête internationale sur les attaques meurtrières perpétrées à l’aide d’explosifs cachés dans des appareils de transmission». «Il faut diligenter une enquête internationale afin d’amener les auteurs des explosions de masse simultanées par l’intermédiaire d’appareils électroniques au Liban et en Syrie, qui ont fait pas moins de 37 morts et plus de 2931 blessés à rendre des comptes», avait exigé Amnesty International dans un communiqué. 

«D’après les éléments de preuve, ceux qui ont planifié et mené ces attaques n’ont pas pu vérifier qui d’autre à proximité immédiate des appareils serait touché au moment de l’explosion, ni si seuls des combattants avaient reçu des bipeurs et des talkies-walkies. Par conséquent, ces attaques ont été menées sans discrimination, seraient illégales en vertu du droit international humanitaire et devraient faire l’objet d’enquêtes en tant que crimes de guerre», dénonce l’ONG de défense des droits humains. 

«En outre, elles ont violé au minimum le droit à la vie en vertu du droit international relatif aux droits humains, qui continue de s’appliquer dans les situations de conflit armé, et probablement d’autres droits fondamentaux, en fonction des diverses répercussions sur la population libanaise et la vie quotidienne», pointait encore l’organisation basée à Londres. 

Aya Majzoub, directrice adjointe d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, fera remarquer : «Les explosions massives des derniers jours (en septembre 2024, ndlr) à travers le Liban et la Syrie évoquent un cauchemar dystopique.» 

Et de souligner : «L’utilisation d’engins explosifs cachés dans des appareils de télécommunication de tous les jours pour déclencher des attaques meurtrières d’une telle ampleur est sans précédent. Même si l’intention était de cibler des objectifs militaires, faire exploser simultanément des milliers d’engins sans être en mesure de déterminer leur emplacement exact ni les personnes en leur possession au moment de l’attaque témoigne d’un mépris flagrant pour le droit à la vie et le droit des conflits armés.» Mustapha Benfodil

 

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