En ce jeudi 2 juin 2022, le ciel est barbouillé de gris et une brume laiteuse monte de la mer pour voiler le paysage le long des côtes de Béjaïa.
Sur la très longue plage de Melbou, station balnéaire à l’extrême-est de la wilaya, connue pour ses falaises, le sable a visiblement été nettoyé de ses détritus et des pelleteuses travaillent encore à évacuer des sacs-poubelle pleins à craquer. Des estivants sont installés çà et là et des baigneurs profitent déjà de la fraîcheur des vagues. A Melbou, comme partout ailleurs à Béjaïa, on s’affaire à accueillir les estivants.
Avec ses 120 km de côtes rocheuses et de plages de sable ou de galets, ses 26 stations balnéaires et ses innombrables sites naturels, touristiques et historiques, Béjaïa pointe au hit-parade des principales destinations touristiques du pays depuis des décennies. Elle accueille chaque année des centaines de milliers de visiteurs, estivants et touristes venus passer quelques heures, quelques jours ou quelques semaines de vacances au bord de la mer.
L’ancienne capitale hammadite jouit d’une relative sécurité puisque l’on y dénombre peu de vols et d’agressions, on peut sillonner la ville par bus pour la modique somme de 20 DA, on y mange plutôt correctement, le poisson est bon et les amateurs de bière peuvent étancher leur soif un peu partout à bon prix.
Chaque été, c’est donc le grand rush vers Béjaïa-ville, Tichy, Aokas, Melbou, Souk El Tenine, Oued Dass, Beni Ksila, Saket ou Boulimat et autres plages nichées entre mer et montagne. Par ailleurs, ces dernières années, des milliers de ces amoureux et habitués de la ville de Sidi Mohand Amokrane et Yemma Gouraya ont fini par acheter des appartements ou des bungalows pieds dans l’eau comme résidences secondaires dédiées aux vacances.
D’est en ouest, Béjaïa déploie donc un très large éventail de charmantes cités balnéaires et de villages touristiques au bord de l’eau.
On peut choisir de descendre à l’hôtel tout comme on peut louer chez le particulier, formule beaucoup moins chère et plus avantageuse. Vue de loin, la carte postale est irrésistiblement belle. Vue de près, cependant, le revers de la médaille est beaucoup moins séduisant.
Le visiteur qui débarque à Béjaïa en juillet ou août doit d’abord s’armer d’une infinie patience pour s’extirper des innombrables embouteillages que connaît la région l’été venu, lorsque le trafic routier est multiplié par dix par l’arrivée des émigrés et des touristes.
Les routes sont étroites, vétustes, saturées et souvent dangereuses, et la moitié d’autoroute réalisée 8 ans après le lancement des travaux de la pénétrante est là pour dire tout le retard pris dans ce secteur névralgique. Wilaya privée de développement et de projets structurants durant l’ère Bouteflika, Béjaïa paie depuis des années son «opposition frontale» au pouvoir central.
Si vos nerfs passent avec succès l’épreuve des embouteillages, il vous reste encore à être tolérant et magnanime devant le spectacle des tas d’ordures et de détritus sur les plages mêmes ou vous comptez profiter des joies de la baignade avec votre famille.
Sinon, si vous n’êtes pas très regardant sur l’hygiène, l’absence de douches et toilettes publiques, le «parkingueur», qui vous réclame 200 DA pour un après-midi de bronzette, et les pseudo-plagistes, qui squattent toute la plage avec leurs tables, chaises en plastique et parasols qu’ils vous proposent à plus de 1200 DA la journée, vous pourriez certainement passer une agréable journée ou un séjour plus prolongé.
«Inspecteurs de plage »
Cependant, cette année que la parenthèse Covid-19 est officiellement fermée et que l’on s’attend logiquement au grand retour des estivants, les choses vont-elles connaître une amélioration et un changement qualitatif dans l’accueil des nombreux touristes qui ne manqueront pas de déferler sur la côte béjaouie ?
Apparemment oui, puisque l’on apprend auprès de la cellule de communication de la wilaya que des inspecteurs sont d’ores et déjà sur les plages. En effet, une commission ministérielle d’inspection a été dépêchée fin mai à Béjaïa pour s’enquérir de l’état d’avancement de la préparation de la saison estivale.
Mandatés par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, ces inspecteurs sont allés un peu partout pour constater de visu l’état des plages appelées à accueillir les vacanciers pour cette nouvelle saison estivale. Ils devaient même élaborer des fiches techniques des plages visitées.
Sur ces fiches sont annotées leurs observations concernant, notamment, le nettoyage des plages, l’installation des équipements nécessaires, dont les douches et les toilettes, l’aménagement des aires de repos familiales, des parkings, le bitumage des accès aux plages, l’entretien de l’éclairage public, l’évacuation des déchets à l’entrée des plages avec la mise en place de conteneurs et le déploiement de banderoles incitant à la propreté des lieux, l’installation des postes de contrôle des services de sécurité et ceux de la Protection civile et des surveillants de baignade afin de garantir la sécurité des estivants et de porter, le cas échéant, secours aux baigneurs.
Pour rappel, cette année obligation est faite pour toutes les communes littorales de commencer les travaux d’aménagement des plages pour bénéficier des enveloppes financières allouées à ce chapitre. Pour cette année, on prévoit également d’installer des plaques d’orientation des plages au niveau des RN24 et RN9.
Autre nouveauté à signaler également, la création d’un SAMU en mer annoncée par les autorités compétentes. En dehors des mesures d’hygiène sur les plages, les inspecteurs sont également mandatés pour juger des mesures prises par les établissements hôteliers pour héberger les estivants, y compris les tarifs appliqués par ces derniers.
Ce n’est pas tout. Le 23 mai dernier, c’est le ministre du Tourisme et de l’Artisanat en personne qui a débarqué à Béjaïa pour s’enquérir de l’état de préparation de la saison estivale. Yacine Hammadi a visité et inspecté des sites, des structures et des infrastructures touristiques et s’est enquis des travaux d’aménagement et d’embellissement de quelques plages et structures hôtelières.
A l’occasion, il a même invité les communes du littoral à faire preuve d’initiative et d’esprit entrepreneurial et à s’impliquer davantage dans la préparation de la saison estivale en faisant, notamment, appel au mouvement associatif pour des actions de volontariat concernant les volets relatifs à l’hygiène et à l’animation culturelle et sportive des plages.
Le ministre a d’ailleurs dit toute son admiration pour les efforts consentis par les centaines de bénévoles mobilisés par la direction de la jeunesse et des sports, les APC et le mouvement associatif.
Impliquer le mouvement associatif
Ces jeunes ont déjà fait des miracles tout le long du littoral allant de Béjaïa-plage à Melbou en aidant, entre autres, au nettoyage des plages, à l’aménagement des accès aux rivages, des parkings et à la réalisation de belvédères et de chemins de promenade. Béjaïa étant une wilaya montagneuse par excellence, Yacine Hammadi a également plaidé pour la promotion du tourisme de montagne et l’exploitation des cascades et autres sites et curiosités naturelles par les communes, tout en exhortant les hôteliers à encourager le tourisme intérieur par la baisse des tarifs d’hébergement en fonction du pouvoir d’achat des Algériens.
Le secteur des transports n’est pas en reste. Un dispositif a été mis en place pour desservir l’axe Béjaïa-Oued Dass sur la côte ouest, tout en assurant la continuité du service public sur les lignes régulières. Il est également prévu des microbus de 12 à 15 places pour assurer la desserte vers la plage des Aiguades, tout en renforçant les lignes vers les différentes plages et sites touristiques de la wilaya durant les week-ends et les jours fériés, à partir des communes de l’intérieur de la wilaya.
Autre nouveauté, cette année des gestionnaires de plage ont été installés en exécution de la décision ministérielle de désigner un gestionnaire pour chaque plage, nommé «M. Plage», afin d’assurer le suivi de la saison estivale sur le terrain. M. Plage est chargé d’approcher les vacanciers, d’inspecter la plage, en suivant l’étendue de la mise en place des procédures d’hygiène et en fournissant toutes les exigences, tout en assurant le suivi de l’opération «plage libre».
En cas d’enregistrement de violations ou d’abus, un rapport direct est soumis au comité d’Etat, qui intervient rapidement pour résoudre les problèmes et prendre toutes les mesures légales.
7 vols internationaux et un bateau par semaine
Une commission pluridisciplinaire planche actuellement sur les voies et moyens afin d’accueillir au mieux aussi bien les estivants locaux que les nombreux émigrés qui seront de retour au pays après une longue absence due à la crise de la Covid-19.
D’autant plus que l’aéroport Soummam Abane Ramdane vient d’être rouvert aux vols internationaux, avec un renforcement du nombre de vols hebdomadaires qui passe à sept.
De son côté, le port s’apprête à accueillir un bateau de voyageurs par semaine. Bienvenus au pays.
Pour rappel, Béjaïa dispose de 34 plages ouvertes à la baignade pour une capacité d’accueil de près de 5000 lits, ce qui est très largement insuffisant face à la forte demande. A l’hôtel Atlantis, l’un des tout nouveaux fleurons du parc hôtelier de la ville, le parking est presque plein et il y a du monde à la réception comme au restaurant.
Un coup d’œil jeté au livre d’or révèle une grande majorité de clients très satisfaits des conditions d’hébergement et du service de l’hôtel, mais en l’absence du gérant, personne ne peut nous donner les chiffres ou les tendances liés aux réservations ou à l’occupation. Un peu plus loin, à l’entrée de la célèbre station balnéaire de Tichy, d’innombrables restaurants et grillades accueillent déjà leurs clients affamés.
A l’hôtel Club Alloui, la propreté est impeccable. Le patron n’est pas là, mais joint par téléphone, il affirme que tout est prêt pour l’accueil des estivants. «Nous avons nos habitués, mais il faut savoir que l’Algérien n’a pas pour habitude de réserver à l’avance. Il attend toujours la dernière minute, au milieu de la haute saison, pour décider de ses vacances», dit Karim Alloui.
A l’entrée de la plage El Maghra, les «parkingueurs» attendent les estivants tickets à la main, mais ils semblent sympathiques. «S’il vous manque quoi que ce soit ici, on est là», disent-ils.
Là aussi, la plage a été nettoyée de ses déchets et des groupes de baigneurs profitent tranquillement des joies de la mer.
Sur toutes les plages visitées, des baraques, parfois pourvues de panneaux solaires, ont été aménagées au profit des éléments de la Gendarmerie nationale et de la Protection civile. L’opération «plages propres» se poursuit. Pourvu que cela dure.
Reportage de Djamel Alilat