Quelques jours avant sa mort en juillet 2019, Tahar Gaïd, moudjahid et cofondateur de l'UGTA, m'avait fait l'honneur de m'entretenir sur le mouvement syndical en Algérie, particulièrement des équipes qui se sont relayées à la tête du syndicat national lors de ces dernières années. Autant dire qu'il n'en était pas satisfait, encore moins fier. «L'UGTA a été créée dans le feu et l'action, et voilà qu'un dévoyé la corrompt, la transforme en une zaouïa, avec des adeptes. Je revois encore cette vidéo où Sidi Saïd défendait le cinquième mandat ! Il demandait à ses ouailles de répéter plusieurs fois le nom de Bouteflika, parce que, prêtant l'oreille, il leur disait qu'il n'entendait pas ce qu'ils disaient. Ces harkis de notre époque ressassaient le nom de leur idole sans rougir, sans honte, ne prenant pas conscience qu'ils étaient avilis, humiliés, qu'ils n'étaient plus des humains, mais des marionnettes, sans âme et sans raison.» Des mots forts pour stigmatiser la marche de la centrale syndicale, trop inféodée, selon le vieux et ancien défenseur des masses laborieuses, dès la première union créée à l'indépendance, pour s'émanciper et jouer véritablement le rôle qui lui est dévolu. Car le successeur du fantasque secrétaire général, condamné au départ, en avait lui aussi pris pour son grade dès lors qu'il est «réduit à assurer la continuité de la gestion de son prédécesseur décrié».
On est loin des militants authentiques, qui avaient, depuis l'indépendance, fait de ce bastion un forum de luttes discontinues, dont le plus symbolique et emblématique est, sans conteste, le regretté Abdelhak Benhamouda, mort tragiquement, assassiné. Depuis, l'UGTA n'a particulièrement pas brillé par ses activités fournies, encore moins par une bienveillante attention envers ses adhérents. Cette situation a perduré, bien après, les dix-sept ans consommés par Sidi Saïd, qui aura marqué de façon sombre le militantisme syndical.
Ces cinq dernières années, on dénombrait, outre l'UGTA, 65 syndicats autonomes, dont 33 de la Fonction publique. Ils sont nés à la faveur de la loi 90-14 du 2 juin 1990 et des réformes démocratiques, amorcées par la Constitution de 1989. Il y a les syndicats qui ont été créés entre 1990 et 1993, et ceux qui sont nés à partir des années 2000. Ni les uns ni les autres ne sont restés dans leur rôle strictement de défense des droits des travailleurs.
Aujourd'hui, c'est comme un vent de révolte qui souffle, après tant d'années «léthargiques». On croit savoir que même l'UGTA a mis son grain de sel dans cette contestation menée par 14 syndicats de la Confédération des syndicats algériens (CSA), qui appellent au retrait des deux projets de loi portant respectivement sur l'exercice du droit syndical en Algérie et la prévention des conflits en milieu du travail. Selon le patron de la centrale syndicale, «les articles des deux projets de loi ne sont pas conformes aux conventions internationales que l'Algérie a ratifiées». Tout en contestant, également, «certains articles des deux projets de loi ne sont pas non plus conformes à la Constitution algérienne en ce qui concerne les droits civiques et politiques». Plus encore, l'UGTA conteste «les deux projets de loi qui ne consacrent pas la promotion des droits syndicaux et des libertés en Algérie». Plutôt peu active et peu offensive, la Centrale adopte, en la circonstance, un ton nouveau. Peut-être est-elle, enfin, dans son rôle ?