Un sommet Corée du Sud-Afrique est prévu en juin : La nouvelle ambition de Séoul en Afrique

04/05/2024 mis à jour: 00:21
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L'économie de la Corée du Sud est un marché, dont le produit intérieur brut nominal était en 2021 le 11e plus élevé au monde - Photo : D. R.

Pour donner un coup d’accélérateur à sa relation avec l’Afrique, qui est considérée comme le continent de l’avenir, et tenter en quelque sorte de rattraper le temps perdu, la Corée du Sud a entrepris de réunir le 4 juin prochain à Séoul les dirigeants africains.

Après les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne, l’Inde ou encore la Turquie, c’est au tour de la Corée du Sud d’organiser un sommet avec l’Afrique. L’événement, programmé à Séoul pour la première semaine du mois de juin 2024 et placé sous le slogan «Le futur, on le crée ensemble», confirme, si besoin est, la volonté des autorités sud-coréennes d’avoir une présence plus significative sur ce continent représentant un marché comprenant 1,4 milliard d’habitants et extrêmement riche en ressources naturelles.

Ces matières premières sont aujourd’hui extrêmement prisées par de nombreux acteurs internationaux. L’initiative intervient d’ailleurs dans un contexte où l’Afrique fait l’objet d’une rivalité acharnée entre les grandes puissances, comme c’est le cas, par exemple, entre la Russie d’une part et les Etats-Unis et la France d’autre part. Cette guerre d’influence a déjà eu pour conséquence de précipiter certaines régions dans l’instabilité.

L’intérêt du Pays du Matin calme pour le continent africain ne date néanmoins pas d’aujourd’hui. Les premières visites de responsables sud-coréens dans les pays africains ont commencé en effet dès le tout début des années 1960. Depuis, les échanges commerciaux entre Séoul et l’Afrique n’ont cessé de croître.

L’augmentation a été de l’ordre de 60% au cours des 50 dernières années. Les relations économiques entre la République de Corée et l’Afrique n’ont cependant réellement commencé à se développer qu’à compter de 2006, année qui a marqué un tournant avec le lancement de l’Année de l’amitié avec l’Afrique et l’Initiative coréenne pour le développement de l’Afrique.

Partenariat sur le long terme

En dépit de ces initiatives, la coopération commerciale (ou économique) entre la Corée du Sud et l’Afrique reste peu importante, surtout en comparaison à celle qu’entretiennent des pays comme la Chine, la Turquie ou la Grande-Bretagne avec nombre de pays africains.

Le volume des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et les pays d'Afrique s'est certes élevé à environ 20 milliards de dollars en 2018. Mais ce chiffre ne représente que 2% seulement du total des échanges de la Corée du Sud. La marge de progression, selon de nombreux observateurs, reste effectivement grande.

C’est assurément pour donner un coup d’accélérateur à sa relation avec l’Afrique, qui est considérée comme le continent de l’avenir, et tenter en quelque sorte de rattraper le temps perdu que la Corée du Sud a entrepris de réunir le 4 juin prochain à Séoul les dirigeants africains.

Les autorités sud-coréennes ne s’en cachent d’ailleurs pas. «Nous voulons bâtir une relation stratégique avec l’Afrique et nous engager sur le long terme. Notre projet est de bâtir un partenariat gagnant-gagnant avec le continent», confie à Séoul le vice-ministre corée n des Affaires étrangères, Chung Byung-won, à El Watan et à d’autres représentants de médias africains de passage fin avril à Séoul. 

Ce sommet Corée du sud-Afrique ne risque-t-il pas de n’être qu’un sommet de plus ? En quoi l’offre sud-coréenne peut-elle être plus avantageuse que celle des partenaires traditionnels du continent ? Le numéro 2 de la diplomatie sud-coréenne, Chung Byung-won, se montre plutôt confiant.

Il s’est dit convaincu que le nouveau partenariat projeté avec l’Afrique sera spécial et différent des autres car «la Corée du Sud, de par son expérience de la colonisation et la nature des problèmes en matière de développement auxquels elle a été confrontée par le passé, comprend mieux que n’importe quel autre pays dans le monde l’Afrique».

Le diplomate sud-coréen assure en outre que son pays s’engage à aider les pays africains à trouver des solutions aux multiples défis qui se posent à eux. Cette aide, insiste-t-il, inclut le partage d’expérience, de la technologie, de l’innovation, ainsi que le développement des compétences. L’idée de son gouvernement est d’«apporter une aide adaptée et spécifique pour chaque pays».

Tropisme africain 

Sur un autre plan, poursuit-il, la Corée du Sud prévoit d’augmenter son soutien financier au continent africain et son aide au développement. «La Corée du Sud n’aurait pas été ce qu’elle est aujourd’hui sans l’aide de la communauté internationale. Nous estimons aujourd’hui qu’il est de notre devoir d’aider l’Afrique à se développer.»

Dans les années 1960, après la guerre de Corée, le pays était effectivement l’une des nations les plus pauvres du monde. Il avait alors même reçu de l’aide de certains pays africains. Grâce à son agriculture transformatrice, la Corée du Sud est devenue aujourd’hui l’une des plus grandes économies du monde. L'économie de la Corée du Sud est, en effet, un marché, dont le produit intérieur brut nominal était en 2021 le 11e plus élevé au monde avec un montant de près de 1800 milliards de dollars américains.

Le tropisme africain des Coréens se traduit déjà par le lancement en juillet 2023 de la «Korean rice belt» (La ceinture coréenne de riz) pour renforcer la sécurité alimentaire du continent, qui est aujourd’hui des plus fragiles. Malgré une croissance rapide, la faim est effectivement toujours omniprésente dans certains pays, touchant quelque 283 millions de personnes. Près de 600 millions de personnes sur le continent n’ont par ailleurs toujours pas accès à l’électricité.

La «Korean rice belt» est, dans les faits, un vaste programme d’investissements de 80 millions de dollars ayant pour but de développer des infrastructures agricoles pour la culture du riz. Ce projet vise donc à favoriser la production locale avec un objectif : 10 000 tonnes de riz supplémentaire en 2027.

De quoi nourrir 30 millions de personnes, d’après le gouvernement sud-coréen. En reliant les pays du Sénégal au Kenya, le projet favorise aussi les échanges commerciaux entre les nations africaines, créant ainsi des opportunités de croissance économique partagée. D’après la Coalition pour le développement du riz africain (CARD), en 2020, le continent a consommé près de 33 millions de tonnes de riz, dont 15 millions ont été importées.

Séoul apporte également à de nombreux de pays, à travers la Rural Developement Administration (RDA) ou l'Agence coréenne de coopération internationale (KOICA), son expertise pour moderniser leur agriculture. Les Sud-Coréens s’investissent également beaucoup dans la formation de cadres africains à travers l’octroi de bourses d’études. Plusieurs dirigeants africains actuels sont d’ailleurs diplômés de la prestigieuse KDI School, école spécialisée dans la formation de managers de haut niveau.

Pour «conquérir l’Afrique», les autorités coréennes comptent en revanche sur certains de leurs groupes les plus emblématiques de l’industrie coréenne, comme Hyundai et Samsung, qui ont permis à leur pays de devenir un des quatre dragons asiatiques. Les représentants de ces deux grands conglomérats à la recherche de relais de croissance seront d’ailleurs présents lors du sommet de juin prochain pour explorer des opportunités d’affaires et rencontrer des leaders africains.

Au-delà du business et des questions liées au développement, assure le vice-ministre coréen des Affaires étrangères, Chung Byung-won, la Corée du Sud veut également contribuer à stabiliser davantage l’Afrique. «Sans paix et sécurité, il n’est pas possible de bâtir une économie ou de construire une prospérité durable», assène-t-il.

Mais derrière l’objectif minutieusement pensé qui consiste à se rapprocher de l’Afrique, l’Etat sud-coréen nourrit une ambition plus grande : celle d’être un «pivot mondial». L’aveu est aussi de Chung Byung-won, qui s’est enorgueilli d’ailleurs du fait que son pays occupe un poste de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Pivot mondial

Pour endosser ce rôle de pivot mondial, il apparaît que la Corée du Sud a aussi grandement besoin de l’Afrique. C’est, du moins, le point de vue soutenu par Kamal Gaballa, spécialiste de l’Asie et ancien correspondant du quotidien égyptien Al Ahram au Japon. L’éditorialiste égyptien, qui vient de consacrer un ouvrage à la Corée du Sud, explique ainsi l’intérêt de la Corée du Sud pour l’Afrique par des considérations à la fois économiques et politiques.

Selon lui, «Séoul a besoin, pour jouer un rôle sur le plan international à la mesure de son poids économique, de tisser un réseau d’alliances et de s’assurer un réservoir de voix». C’est précisément sur l’Afrique, poursuit-il, que les autorités sud-coréennes comptent.

Pour Kamal Gaballa, «les nations africaines peuvent effectivement permettre aux Coréens de peser sur des dossiers qui sont pour eux importants». S’agissant de la coopération commerciale et économique entre l’Afrique et la Corée du Sud, le journaliste égyptien s’est dit convaincu que «les pays africains peuvent grandement tirer profit d’un partenariat avec Séoul, surtout que l’expertise sud-coréenne n’est plus à démontrer dans de nombreux domaines».

Selon lui, «le modèle de développement de la Corée du Sud peut sans nul doute inspirer les Africains et leur servir d’exemple». «Les Africains ont tout à gagner à travailler avec les Coréens d’autant qu’ils viennent à nous avec humilité et des intentions que je considère saines. Ils ne sont pas dans des logiques prédatrices.

Au contraire, ils proposent de mettre en partage leur expérience», souligne Kamel Gaballa, qui pense que «l’absence d’un passé colonial entre la Corée du Sud et l’Afrique est une plus-value qui est de nature à instaurer plus rapidement la confiance entre les deux partie». Il revient maintenant, conclut-il, aux Africains de trouver le moyen de tirer le meilleur parti du partenariat qui leur sera proposé le 4 juin prochain à Séoul. 
 

 

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