L’année universitaire 2023/2024 est en passe de boucler son premier semestre qui a vu l’introduction officielle de l’apprentissage de l’anglais dans les filières transversales. En faire une évaluation est un peu tôt, de l’avis de la communauté. S’intéresser à l’acclimatation des étudiants à cette nouvelle donne dans leur cursus est plus approprié.
Qui peut mieux nous renseigner que ceux qui fréquentent les bancs des facultés scientifiques ? Nous nous sommes ainsi adressés à des étudiants en filières techniques du campus Chaâb Errssas de l’université frères Mentouri (Constantine 1).
En pleine période de contrôle, nos jeunes interlocuteurs, inscrits au tronc commun ST (sciences et technologie), semblent s’adapter sans enthousiasme ni désappointement à la situation. «Nous suivons deux cours qui sont dispensés en anglais : la physique et les mathématiques… nous avons tous des difficultés de compréhension», souligne l’un d’eux. Son camarade précise toutefois que les cours en question sont expliqués en parallèle en arabe : «Les cours sont ainsi mieux assimilés.»
Dans ce groupe de six étudiants, ils sont unanimes sur le fait de se sentir tels des cobayes dans cette transition «linguistique». Rencontrés à la sortie du contrôle du module de physique, ces futurs ingénieurs en génie électrique, mécanique ou civil brandissent leur sujet rédigé recto verso, pour étayer leurs propos. «Le sujet est en anglais sur une face, et on arabe sur l’autre... nous avons le choix de répondre dans l’une ou l’autre langue, soit dans celle où nous sommes plus à l’aise.» Et pour eux, c’est la réponse en langue arabe qui a primé. Sont-ils pour autant représentatifs des centaines d’étudiants affiliés au tronc commun ST ?
Il faut croire que oui, selon l’avis de certains membres de la communauté universitaire. Ils viennent ainsi confirmer qu’une période d’adaptation est nécessaire. L’introduction de la langue de Shakespeare dans l’enseignement supérieur fait partie de la politique de la réforme de l’université algérienne. Ce dispositif a été préparé en amont où des mesures ont été prises pour franchir ce cap. A rappeler que le département de Kamel Beddari a misé sur «la formation, avant la fin de l’année universitaire 2022/2023, d’au moins 80% des enseignants de sciences et technologie et la totalité de ceux des sciences sociales et humaines».
APPRENTISSAGE CONTINU
Cette formation de quelques semaines a essuyé plusieurs critiques de la part de la communauté universitaire. Ni la tutelle ni la commission nationale chargée du suivi et de l’évaluation du programme de formation des enseignants et des étudiants du 3e cycle en langue anglaise n’ont communiqué son évaluation.
Seules quelques statistiques ont été livrées par le ministre de tutelle lors d’une session plénière à l’Assemblée populaire nationale (APN), le 28 décembre dernier. Il a porté à la connaissance des parlementaires que 64 000 enseignants universitaires sont en formation d’apprentissage en anglais, dont 28 000 en présentiel et 36 000 autres en distanciel.
«Dans ma section, les enseignants semblent maîtriser cette langue, c’est nous qui avons beaucoup de lacunes, et cela remonte au lycée, voire au collège…», intervient un autre en première année qui se joint à la discussion. Ces étudiants témoignent d’une réalité.
Les épreuves d’examen rédigées en double langue reflètent le besoin d’une période d’adaptation. «L’évaluation de l’officialisation de la langue anglaise dans certaines filières ne peut s’effectuer qu’une fois l’année universitaire en cours clôturée», commente une jeune enseignante, en expliquant : «Le taux de réussite, de progression ou d’échec au sein des promotions concernées pourra renseigner sur l’efficacité de cette approche.»
Et à cette maître-assistante, issue de la dernière opération de recrutement massif effectuée par le MESRS, de préconiser des «cours de soutien en anglais pour les étudiants afin de renforcer les capacités d’apprentissage». Une suggestion que d’autres partagent, même s’ils ne suivent leur cursus qu’en langues arabe et française. A l’image de ces cinq étudiants, croisés sur l’esplanade de l’université Salah Boubnider (Constantine 3).
Inscrits en première année à la faculté de la gestion des techniques urbaines (GTU), ils ont émis le vœu d’étudier en anglais où «ils se débrouillent», justifiant leur choix par «l’attractivité d’une langue qui domine la recherche, la technologie… le cinéma et la musique».
Sur le même campus, deux de leurs copains, étudiants en architecture, apprécient le module de l’expression orale, dans sa version anglaise.
«C’est une matière qui n’est pas assujettie à la notation, mais qui nous permet un perfectionnement de nos acquis linguistiques», soutiennent-ils. Un apprentissage sans contraintes qui peut faire ses preuves.