Vouloir évoquer ce qu’en France on appelle la Guerre d’Algérie en cinq épisodes de moins d’une heure sous le titre C’était la guerre d’Algérie, la gageure n’est pas mince.
Pas sûr que cela soit vraiment réussi, sauf à considérer que cette œuvre est destinée principalement à un public français, malgré la présence assurée de téléspectateurs algériens devant la chaîne France 2 lundi et mardi soir. Ils n’y trouveront peut-être pas satisfaction à la mesure de l’exigence de vérité que les Algériens sont en droit d’attendre 60 ans après l’indépendance chèrement acquise.
Or, les témoignages sont pour beaucoup des archives, donc datés. Les images sont souvent décalées par rapport aux faits énoncés. Evidemment, tout de la guerre est retracé. A la fois chronologiquement et sur le plan des forces en présence, «les ravages de la première colonisation, les promesses non tenues de la IIIe République, la répression de Sétif, la guerre votée par la gauche, la torture couverte par ses ministres, les coups tordus de la Main rouge et autres barbouzes, l’abandon des harkis, comme le mépris que la classe politique de 1962 a entretenu vis-à-vis des Européens d’Algérie», écrivent Benhamou et Stora.
Déjà, dès le début, un trouble se fait jour lorsque la présentation annonce que l’indépendance marque «la naissance d’une nation». On pourrait simplement remarquer que sous le nom de Régence d’Alger, l’Algérie existait préalablement à l’invasion de 1830, puis dans l’Etat de l’Emir Abdelkader jusqu’en 1847. Par ailleurs, les termes de la fin du dossier de presse sont malencontreux.
On y lit en effet : «La volonté de pacifier et de réconcilier.» Pacifier ? On croirait lire des déclarations officielles en 1956 lorsque les pouvoirs spéciaux furent votés par l’Assemblée nationale française dans un but de «pacification» de l’Algérie !
DES COLONIAUX DÉCIDÉS à NE RIEN CÉDER DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE
Cette série, que nous avons pu découvrir dans une version de travail grâce à l’amabilité de France 2, fait ressortir les deux camps classiquement cités : celui des nationalistes algériens qui déclenchent la lutte de libération pour mettre fin à 13 décennies de colonisation, et celui des coloniaux bien décidés à ne pas céder l’Algérie française et qui feront tout, de 1954 à 1962, pour tenter d’empêcher l’indépendance. C’est le point le plus juste de ce documentaire de «théâtraliser» cette opposition cruelle des tenants de l’Algérie française face à la volonté de leurs sujets coloniaux d’en finir avec la domination.
Ce parti des grands colons qui fit tomber Mendès France en 1956 et n’aura de cesse, comme il le fait depuis 1919, de s’arroger la propriété d’un pays spolié, entraînant ses pauvres gens dans le dénuement, la misère et les persécutions : «On vivait comme des lézards au soleil», dit l’un. Un autre reconnaît : «Nous étions très ingénus.» Le commentaire revient sur la dureté du FLN dans son combat : «Le FLN recrute par la conviction nationaliste ou par la terreur.» Et le film de parler de la «force de coercition redoutable» du FLN face à ceux qui ne voulaient pas rejoindre le «nidham» et par là contrarier la volonté d’en finir avec le colonialisme quand ils ne l’empêchaient pas. Peut-on mettre les ombres noires de cette révolution en opposition avec la puissance incommensurable des hélicoptères français et les avions avec leur chapelet de bombes et de napalm ? Ou encore la destruction sanguinaire des soldats français de villages entiers ?
LES LUTTES SANGLANTES POUR CHASSER LA COLONISATION
Des témoins dans le film disent la nécessité de cette lutte difficile, dramatique pour imposer l’idée même de lutte pour l’indépendance. Et Germaine Tillion de rappeler ses propos à Jacques Soustelle lorsqu’en 1955 il l’invite à rejoindre son équipe à Alger : «Je lui ai fait un tableau exact, c’est-à-dire dramatique de l’Algérie.» Elle qui, en 1956, créa le néologisme de «clochardisation» pour parler de la situation algérienne, dressant le tableau de l’horreur de la colonisation.
La parole est donnée à un harki qui met en parallèle combattants algériens et armée française : «L’armée française a tué, massacré, mais le FLN aussi.» Pourquoi 60 ans après «refaire ce film» alors que l’histoire a maintenant clairement établi les ravages de la colonisation et les luttes sanglantes pour s’en débarrasser, en Algérie comme ailleurs ?
Evidemment, parler des massacres du Constantinois et les attribuer aux seuls combattants de Zighout Youcef, c’est aller vite en besogne. Sauf à affirmer en commentaire que «le pari du chef FLN du Constantinois a réussi : le sang a séparé les deux communautés». Comme si un jour les «deux communautés» avaient été proches !
Les spectateurs algériens seront vigilants à d’autres moments dans le documentaire où, si Georges-Marc Benhamou et Benjamin Stora suivent l’histoire telle qu’elle s’est passée, ils choisissent de n’en tirer aucune conséquence.
L’histoire, c’est aussi le temps de la réflexion. Les six dernières décennies ont apporté à ce sujet une manière plus réaliste de rapporter les faits en prenant en compte le contexte. L’âpreté de la guerre est fille de l’atrocité coloniale. C’est dit dans le film, mais cette parole reste globalement celle des témoins, pas celle du narrateur.
LES PERDANTS DE L’HISTOIRE
Étonnamment du reste, le film fait resurgir les perdants de l’histoire, quoi qu’on pense d’eux : Albert Camus (échec de la trêve civile de 1956), Ferhat Abbas (utilisé par le FLN comme vitrine) et Messali Hadj dont la révolution a été confisquée.
Pour ce dernier, de longues minutes sont consacrées à la lutte entre militants nationalistes MNA et FLN. Jusqu’à parler trop vite du tragique massacre de Melouza (1957), qui, si l’histoire ne fait plus l’impasse sur l’implication du FLN, est très compliquée en amont de l’événement.
Et commence par la folle équipée de Mohamed Bellounis, qui prétend pouvoir implanter un maquis coupé de la réalité, lequel se tournera après Melouza vers une éphémère, fantasque et mortelle jonction avec l’armée française.
Enfin, les auteurs introduisent dans leur traitement de la Guerre d’Algérie un concept particulier, celui de la guerre entre Algériens, parlant de «guerre civile» au sujet des affrontements sanglants entre FLN et messalistes. Avec ce constat : «L’histoire algérienne a, elle aussi, ses tabous et sa raison d’Etat, une histoire ‘‘idéale’’ du nationalisme algérien…» Certes, mais l’histoire est ainsi faite.
L’objectif était la libération du pays. Pour vaincre la France, le coût a été très élevé en vies algériennes perdues, mais la plus grosse hécatombe est le fait de la puissance coloniale pendant 132 ans de misère dont jamais on a tiré cinq heures d’antenne.
Lundi et mardi à 21h10, sur France 2, suivi d’un débat