Des échauffourées ont eu lieu hier entre la police et une centaine de manifestants qui protestaient à Tunis contre un référendum prévu en juillet par le président Kaïs Saïed, rapporte l’AFP. La police a bloqué les manifestants qui tentaient d’atteindre le siège de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) dont le président a été nommé par K. Saïed.
Depuis le 25 juillet 2021, le président Saïed, assurant agir dans l’intérêt de la Tunisie face aux blocages politico-économiques, concentre tous les pouvoirs et dirige le pays par décrets-lois. Dans une feuille de route censée sortir le pays de la crise, il a prévu un référendum sur des amendements constitutionnels le 25 juillet, avant des législatives le 17 décembre. Le 22 avril, il s’est arrogé le pouvoir de nommer trois des sept membres de l’Isie dont le président.
Le 9 mai, il a nommé Farouk Bouasker, ancien membre de l’Isie, président de cette instance en remplacement de Nabil Baffoun qui a critiqué le coup de force de juillet 2021. Jeudi, il a révoqué 57 magistrats pour corruption et entrave à des enquêtes, après avoir renforcé sa tutelle sur le système judiciaire.
La liste de ces magistrats a été publiée au Journal officiel dans un décret justifiant leur révocation pour «dissimulation d’affaires terroristes», «corruption», «harcèlement sexuel», «collusion» avec des partis politiques et «perturbation du fonctionnement de la justice». Parmi les magistrats limogés qui pourront faire l’objet de poursuites, sont cités un ancien porte-parole du pôle de lutte contre le terrorisme, un ancien directeur général des douanes et l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Les révocations concernent aussi des magistrats soupçonnés d’avoir entravé l’enquête sur les assassinats en 2013 de deux dirigeants de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, imputés à des djihadistes.
Le Président a amendé la loi qui régit le CSM, autorité de tutelle de la justice tunisienne, pour pouvoir les révoquer, invoquant une «atteinte à la sécurité publique ou à l’intérêt suprême du pays». Le décret lui permet de limoger «tout magistrat en raison d’un fait qui lui est imputé de nature à compromettre la réputation du pouvoir judiciaire, son indépendance ou son bon fonctionnement».
Les opposants au président l’accusent de se diriger vers l’autocratie et de vouloir mettre en place une instance électorale docile avant le référendum et les législatives. De nombreux Tunisiens soutiennent cependant ses actions contre un système qui, à leur avis, n’a pas amélioré leur qualité de vie au cours de la décennie qui a suivi la révolte de 2011 ayant renversé le dictateur Zine Al Abidine Ben Ali. Outre la crise politique, la Tunisie est en proie à de graves difficultés économiques. Elle demande une aide d’environ quatre milliards de dollars, la troisième en 10 ans.
Le poids de l’UGTT
Le gouvernement a soumis un plan de réformes au FMI qui prévoit un gel de la masse salariale de la Fonction publique, une réduction progressive de certaines subventions étatiques et une restructuration des entreprises d’Etat. Mais l’institution de Bretton Woods veut que ces promesses soient soutenues par les partenaires sociaux dont la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) pour garantir leur application.
Or, celle-ci a annoncé mardi une grève nationale du secteur public le 16 juin pour protester contre l’inflation galopante et empêcher une privatisation des grandes entreprises étatiques. «Tout le personnel» des 159 institutions et entreprises publiques cessera le travail afin d’obtenir «des négociations immédiates pour restaurer le pouvoir d’achat des Tunisiens», a indiqué l’UGTT dans un communiqué.
La centrale demande «des garanties» pour que les entreprises publiques, dont beaucoup de monopoles (office des céréales, électricité, carburants, phosphates, entre autres), ne soient pas privatisées. Elle a accusé le président Saïed de «saper les principes de la négociation et de revenir sur des accords conclus précédemment».
Le 23 mai, l’UGTT a annoncé dans un communiqué son refus de participer au «dialogue national sous le format proposé par le Président (…) qui n’a pas fait l’objet de consultations préalables et ne répond pas aux attentes des forces nationales pour mettre en place un processus patriotique permettant de sortir de la crise».
Elle a observé que ce dialogue vise à «cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l’avance et les faire passer par la force comme faits accomplis». Pour la centrale syndicale, «non seulement ce dialogue n’est pas de nature à sortir le pays de la crise, mais il risque de l’aggraver et la prolonger».
Le 20 mai, le Président a désigné un juriste proche de lui, Sadok Belaïd, à la tête d’une commission chargée d’élaborer une Constitution pour «une nouvelle République» après la tenue d’un «dialogue national» dont les partis politiques sont exclus.