Emballés sous plastique, ils attirent avec leurs couleurs chatoyantes, mais à chaque fois c'est le même scénario: à la Foire internationale du livre du Caire les visiteurs lisent la quatrième de couverture et une fois arrivés au prix... reposent les ouvrages rapidement. Avec une inflation au plus haut et une livre égyptienne au plus bas, la 54e édition de ce grand raout littéraire, qui se tient du 25 janvier au 6 février, nage en plein paradoxe.
La Foire a attiré plus d'un demi million de personnes en un weekend «alors qu'on s'attendait à beaucoup moins», affirme à l'AFP Waël al-Mulla, patron de la maison d'édition Masr El Arabia. Mais cette année, les ventes ne sont pas au rendez-vous et les plus de 800 éditeurs ont du mal à rentrer dans leurs frais en participant au «joyau des salons du livre», comme il le décrit. Les Egyptiens ont dû drastiquement réduire leur consommation, et les livres ont été parmi les premières victimes des coupes dans les budgets familiaux. «Après tout, les livres sont un produit de luxe, donc ils ne sont absolument pas une priorité dans les dépenses», poursuit Waël al-Mulla.
Des prix qui s'envolent
Le syndicat des éditeurs a bien favorisé les achats avec paiement différé, populaires en Egypte, et les maisons d'édition de l'Etat continuent à vendre les classiques à moins d'un euro. Mais dans un pays où la plupart des biens sont importés, la dévaluation n'a pas touché que les portefeuilles des ménages. Les maisons d'édition, étranglées par un prix du papier multiplié par quatre en 2022, ont dû doubler leurs prix cette année.
L'an dernier encore, avant que la livre n'entame sa descente aux enfers,«avec 2000 livres», qui valaient alors 125 euros contre 62 aujourd'hui «on pouvait remplir une valise de livres, aujourd'hui, c'est impossible», explique à l'AFP Mohamed El Masry, 38 ans, à la tête des éditions El Rasm Bel Kalemat. Des valises, pourtant, on en voit encore beaucoup dans les allées de la Foire du livre. Mais la stratégie pour les remplir a changé.
«On voit des gens arriver en groupe: ils décident ensemble ce qu'ils veulent acheter, paient chacun une partie des livres et après se les prêtent», a constaté Abdallah Sakr, directeur de collection chez El Mahrousa. «Tout le monde est choqué par les prix mais tout le monde a encore envie de lire, donc les gens achètent deux livres au lieu de cinq ou un seul au lieu de deux», raconte encore à l'AFP cet Egyptien de 33 ans.
Suspensions d'activités
Pour continuer à exister, les éditeurs aussi ont dû s'adapter, assure Waël al-Mulla. «Beaucoup ont réduit leurs marges et leurs impressions. Et désormais, je choisis les livres avec plus de précautions: je ne prends que les titres dont je sais qu'ils se vendront bien», dit-il. Car déjà, poursuit-il, «des éditeurs ont réduit la voilure au minimum, suspendu leurs activités en attendant une reprise ou carrément fermé».
Au bout d'une aile de la Foire du livre, un espace fourmille: ici, les bouquinistes du marché centenaire d'Azbakeya, des livres d'occasion et des copies piratées ont pris leurs quartiers. Mohammed Chahine, qui vient tous les ans à la Foire du livre, dit avoir foncé «droit dessus» avec ses trois enfants. «C'est la section la plus populaire du Salon», assure Malak Farid, étudiante en ingénierie de 18 ans. «Même si les bons livres partent vite car il y a peu de copies».
Mohamed Attia, lui, fait chaque année le déplacement depuis sa ville de Dakahlia, à 150 kilomètres au nord du Caire. D'habitude, cet imam quadragénaire explore l'ensemble de la Foire mais cette année, il ne regarde que les étals des bouquinistes. «Les prix des livres ont explosé», dit-il à l'AFP, mais «pas ceux des vendeurs d'Azbakeya», toujours quasiment tous en dessous d'un euro. Et trouver un produit dont le prix n'a pas monté en flèche est une gageure en Egypte aujourd'hui. Quitte à se contenter d'un livre photocopié ou traduit à la va-vite avec une coquille dès le titre et une mise en page plus qu'aléatoire.