Toufik Hadkeheil, président du Caflex, Cluster algérien des fruits et légumes à l’export, revient dans cet entretien sur les différentes problématiques liées à l’exportation des fruits et légumes algériens vers le continent européen. Il souligne que la grande capacité de l’Algérie à alimenter de nombreux autres pays, étant «un pays pivot entre deux continents qui a beaucoup à apporter en termes d’exportations agricoles, puisque nos terres sont d’excellente qualité».
L’expert et professionnel de l’exportation affirme qu’il y a un fort engouement pour les produits algériens qui sont d’excellente qualité et n’ont souffert d’aucun rejet pour non-conformité avec la réglementation européenne sur le plan phytosanitaire. Au sujet de l’affaire de la pâte à tartiner El Mordjene, M. Hadkeheil estime que ce produit est victime de dispositions actuelles de l’accord d’association. «Lors des négociations, on nous a demandé de ne pas exporter de produits issus de l’alimentation animale, à l’image du miel, ou de produits issus du lait de Vache», dit-il, en notant la caducité de cet accord.
Propos recueillis par Samira Imadalou
Où en sont les exportations agricoles algériennes vers l’Union européenne ?
Elles vont bientôt débuter, car notre point fort au niveau des exportations concerne davantage la saison hivernale. En effet, il y a plusieurs facteurs, comme la récolte des dattes algériennes, d’une part, et d’autre part, il faut noter qu’en Europe, la production commence à chuter en raison de la saisonnalité. L’Europe ne produit pratiquement aucun produit agricole en plein hiver, mis à part quelques légumes, à l’image du chou-fleur ou des artichauts, et encore, ce n’est pas partout, et la quantité produite est très loin de satisfaire l’ensemble des besoins du vieux continent. La production se fait principalement au niveau des zones proches de la mer en raison de la douceur du climat. En revanche, il n’y a absolument pas ou peu de production sur le reste du continent à cause du climat. Et c’est là que nous intervenons, car la rareté du produit fait augmenter le prix, d’une part, et d’autre part, nous avons la possibilité de fournir de très grandes quantités. Les produits algériens sont demandés de par toute l’Europe. N’oublions pas que l’Algérie naguère était surnommée le grenier de l’Europe. Ce qui signifie qu’en saison hivernale, notre pays alimentait toute l’Europe, de l’Italie à l’époque des Romains, au Royaume-Uni en passant par la Gaulle. Un pays naturellement exportateur depuis plusieurs centaines d’années, voire des milliers, n’a pas d’autres vocations que de le rester et de s’adapter à son époque.
Quels sont les produits les plus demandés de l’autre côté de la Méditerranée ?
Tous les produits agricoles algériens sont prisés, la preuve en est la forte demande qui existe sur ce continent. Il faut savoir que l’Espagne, qui est le principal fournisseur européen, peine à pourvoir ses clients en produits agricoles en abondance en raison de plusieurs facteurs. Le premier résulte du manque d’eau. Suite au dérèglement climatique, la météo a énormément évolué de façon négative dans le sud de l’Espagne, ce qui a causé un assèchement des nappes phréatiques. En second lieu, une surproduction avec l’utilisation de produits phytosanitaires a appauvri la qualité de la terre et, par voie de conséquence, éliminé toute forme de vie sous terre dans le seul but d’augmenter les rendements. On y retrouve actuellement une terre totalement stérile à qui il va falloir beaucoup d’années pour se résorber. La Hollande est également fournisseur de produits agricoles pour l’Europe. Mais la guerre en Ukraine a rebattu les cartes, puisque auparavant, on chauffait les serres avec de l’énergie peu chère. Mais depuis que les Russes ont coupé les vannes énergétiques à l’Europe, les coûts de production ont explosé. L’Algérie est un pays pivot entre deux continents qui a beaucoup à apporter en termes d’exportations agricoles, puisque nos terres sont d’excellente qualité vu qu’elles sont enrichies avec de l’engrais naturel, et nous disposons d’un taux d’ensoleillement de 300 jours par an, sans oublier presque 10 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles, sans parler d’autres avantages, à l’image de la proximité avec l’Europe.
Quelle place pour les dattes algériennes sur ce marché ?
Elle est primordiale, car nous avons un produit de qualité de renommée mondiale, qui est unique, que l’on appelle «Deglet Nour». Ce produit est essentiellement exporté vers la France pour être re-dispatché vers l’ensemble des pays européens. Le premier choix va vers les tables des grandes officines et aussi celles de la communauté algérienne à l’étranger, et le second va vers la transformation, et se retrouve par exemple dans les barres énergisantes. L’ensemble de ces données font que nos dattes sont extrêmement bien considérées et reconnues à travers le monde. Et de temps en temps, on retrouve certaines personnes cherchant à dénigrer nos produits pour une simple et unique raison, qui est que notre produit les dérange, s’il ne les dérangeait pas, ils n’en parleraient pas. Ils nous font de la publicité gratuite.
Au-delà des difficultés rencontrées en Algérie concernant la régularité de la production, qu’en est-il justement des entraves au niveau européen ?
Pour être honnête avec vous, aucun produit n’a été rejeté pour non-conformité avec la réglementation européenne sur le plan phytosanitaire. Au contraire, le travail extraordinaire que font nos ingénieurs agronomes sur les exploitations agricoles et au niveau des services phytosanitaires fait que nos produits sont expédiés à travers le monde sans aucun souci. Et pour nous, c’est une fierté, car nos ingénieurs agronomes font un immense travail sur le terrain et qui est reconnu mondialement. Et cela mérite d’être souligné et d’être aussi encouragé. C’est une fierté que de voir des professionnels faire un tel travail avec un tel dévouement et une telle abnégation.
Quel rôle pour le Cluster dans ce cadre ?
Le Cluster algérien des fruits et légumes à l’export (Caflex) est là pour faciliter l’acte d’exporter et d’aider tous les jeunes qui désirent se lancer dans l’export à réaliser leur rêve, d’une part. D’autre part, lorsque nous constatons que certaines choses méritent d’être améliorées, nous le faisons remonter aux autorités compétentes.
Comment s’annoncent les perspectives à moyen terme pour les exportations de fruits et légumes de manière globale ?
Elles sont et seront excellentes pour plusieurs raisons. Les exportations se doivent d’être une locomotive pour le pays, car depuis l’ère romaine, l’Algérie, que l’on appelait Numidie, dispose de toutes les qualités requises pour être un partenaire de choix afin de redevenir le grenier alimentaire de l’Europe. Nous avons une grande proximité avec le vieux continent, à à peine une heure de vol de Marseille ou Barcelone, ainsi qu’une histoire commune et des goûts alimentaires très proches, notamment par rapport à la production de l’huile d’olive et du fameux régime méditerranéen, et surtout un potentiel immense non exploité. Toutes les raisons citées précédemment font que l’Algérie est le partenaire idoine pour une exportation durable.
Lors du dernier Conseil des ministres, le chef de l’Etat a appelé à lancer des études avant toute opération d’exportation pour ne pas créer de pénurie sur le marché national. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
C’est tout à fait logique, car avant de pouvoir exporter, on doit savoir ce dont on dispose comme stock. Cela prouve que le gouvernement réfléchit à une stratégie de satisfaction du citoyen algérien avant de pouvoir parler export. Il ne s’agit pas de créer des pénuries inutiles et ensuite racheter ces mêmes produits en devises fortes. Vous savez, tous les pays du monde vivent de l’exportation, l’Algérie peut nourrir beaucoup de pays, mais il faut le faire intelligemment, c’est-à-dire proposer une offre de produit au meilleur prix et au meilleur moment. Il reste tellement de choses à faire en matière d’exportation que les autorités ont besoin de coordonner avec l’ensemble des acteurs qui régissent ce secteur, car ce n’est qu’en étant réactif que l’on pourra faire avancer l’export des fruits et légumes et surtout augmenter les capacités d’exportation du pays.
Qu’en est-il de la polémique autour de la pâte à tartiner El Mordjene ?
Cette pâte à tartiner est victime des accords d’association avec l’Union européenne. En effet, lors des négociations, on nous a demandé de ne pas exporter de produits issus de l’alimentation animale, à l’image du miel, ou de produits issus du lait de vache. Or, tel est celui qui voulait prendre qui a été pris à son propre jeu. Puisque la pâte à tartiner a été conçue avec du lait de vache provenant de France, logiquement, ce produit ne devrait pas être interdit, mais il faut savoir que d’énormes enjeux économiques se cachent sous cette histoire de pâte à tartiner et que les Européens viennent de se rendre compte que s’ils ne freinent pas l’Algérie dans son essor, de lourdes conséquences risquent d’arriver dans les années à venir, pour la simple raison que nous avons une énergie pas chère et la possibilité de produire et d’inonder l’Europe de toutes formes de produits.
C’est pour cette raison que les Européens refusent de revoir l’accord d’association liant l’Algérie à l’Union européenne, où ils pourraient y laisser des plumes. Dans tous les cas, cet accord devrait être déclaré caduc, car il n’est pas dans l’intérêt de l’exportation algérienne. Il a été négocié à une époque où l’Algérie avait d’autres priorités. Aujourd’hui, la distribution des cartes a changé et, par voie de conséquence, on se doit de s’adapter au new deal.