Depuis plusieurs années maintenant, les dernières statistiques du Partenariat mondial pour la réduction des gaz torchés (GGFR), un organisme administré par la Banque mondiale, ont évoqué encore une fois la responsabilité des pays africains dans le torchage du gaz associé au pétrole et pointe trois pays l’Algérie, la Libye et le Nigeria qu’elles considèrent parmi les neufs plus grands torcheurs du gaz au monde.
Ces chiffres statistiques commencent à partir du cinquième plus gros torcheurs mais ne précisent ni les circonstances et encore moins les efforts des pays gros pollueurs. Ainsi, lit-on dans ce rapport, le Nigeria est le pays ayant enregistré la plus forte baisse du volume du gaz torché, l’Algérie en brûle beaucoup plus de gaz. Mais ce qui est rassurant selon le rapport, le gaz torché dans le monde s’est réduit à moins de 140 milliards de m3. Les sensibilisations sur le torchage et son effet sur le climat commence à porter ses fruits mais juge le «processus lent». Cependant, les rapports «tombent» sur les petits producteurs africains mais cite sans commenter les gros torcheurs comme les Etas Unis, l’Iran, l’Irak et plus particulièrement pour des raisons d’embargo, la Russie.
Pourtant, un rapport récent d’un Think Tank au service de l’Union européenne (UE) Bruegel situe un peu plus les vrais responsables de cette lenteur en jugeant l’organisation européenne d’un manque de stratégie claire en matière de diplomatie verte et encore plus sur les ressources appropriées.
La cause, lit-on dans cette note de réflexion, est loin du souci de « sauver la terre » mais l’institution européenne se sent moins responsable dans les émissions mondiales annuelles. Pour ce groupe de réflexion, il est essentiel pour l’UE et les autres de soutenir la décarbonation à l’étranger pour atteindre l’objectif mondial de « Zéro Emission Nette ». Plus loin, le rapport recommande que «la diplomatie verte et les partenariats de l’UE doivent être renforcés et élargis de manière pragmatique et cohérente».
1-Pourquoi ce soutien est important pour les pays africains plus particulièrement.
Le torchage, en général s’explique par le fait que les compagnies pétrolières ne souhaitent pas investir dans la récupération du gaz accompagnant l’extraction du pétrole du fait que cela nécessite la mise en place d’infrastructures différentes de celles utilisées pour le gaz alors que la rentabilité des investissements est loin d’être assurée si les volumes de gaz associés ne sont pas importants et que les prix sur le marché mondial sont faibles. Il faut préciser par ailleurs que pour les petits pays producteurs de pétrole, le torchage leur coûte cher et leur occasionne des pertes surtout pour les entreprises opératrices dont les gouvernements ont parfois peu d’influence sur elles. Ainsi pour l’exemple la Libye, le Nigeria et l’Algérie ont brûlé en 2002, au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie qui ont fait flamber les prix à 10,028 dollars le m3 plus de 20 milliards de m3 qui équivaudrait à ce prix à une perte de 120 milliards de dollars. Aujourd’hui, les cours se situent autour de 1,22 dollars en juillet 2024. C’est pour cela, les infrastructures qui accompagnent ce torchage devront être soutenues pour aider ces pays dont les économies en dépendent des recettes des hydrocarbures.
2- L’Algérie est pionnière dans la décarbonation.
Pour la simple raison qu’elle a débuté parmi les premiers, la séquestration du gaz carbonique (CO2). Cette opération a été au départ « mise en œuvre » en 2004 par les trois associés sur l’exploitation du gisement In Salah à savoir ; le groupe Sonatrach, British Petroleum (BP) et Statoïl chacun en fonction de sa part dans le projet global. Cependant, la supervision du projet de séquestration a été confiée à une filiale créée en la circonstance Joint Industry Project (JIP) qui associe les partenaires pétroliers dans les proportions ci-après : 35% pour Sonatrach, 33,15% pour BP et 31,85% pour la norvégienne Statoïl. Il faut souligner que ce projet de séquestration du Dioxyde de Carbone sur ce site d’une superficie de 3000 km2 était considéré à son démarrage comme « le plus grand site onshore d’expérimentation et de séquestration du CO2 en Afrique et dans le monde d’où son éligibilité à un exploit ».
Ce projet devait y traiter 1 million de tonnes par an de CO2 par leur extraction, compression et injection dans les réservoirs à travers les puits poubelles. Le coût total du projet prévu à 110 millions de dollars dont 30 millions de dollars de cofinancement du département de l’Energie américain et de la Direction générale de la recherche de l’Union européenne dans le cadre du sixième programme-cadre de recherche et développement européen (PVRD). Rappelons que sur le plan géologique, le site choisi, a été découvert en 1957 par le forage KB1 qui a rencontré les réservoirs Tournaisien du Carbonifère et le Siegenien-Gédinnien du Dévonien inferieur à une profondeur de 1700 à 3350 m. Les trois réservoirs à l’époque ont débité du gaz. Le choix de l’endroit exact de la séquestration du CO2 a été sélectionné sur la base, disent les responsables de l’époque de leur intégrité et l’épaisseur du réservoir, leur capacité de stockage, leur porosité et surtout leur modeste pression.
Le projet dans sa phase d’élaboration prévoyait un traitement de 30 millions de tonnes sur 30 années pour réduire 60% du gaz à effet de serre (GES). Les différents rapports de contrôle officieux livrent des chiffres malheureusement en-deçà de ce qui est prévu. En effet, en 7 ans seulement 3,8 millions de tonnes de CO2 ont été stockés et « aucune fuite du CO2 n’a été signalée pendant la durée de réinjection». Durant cette opération qui a duré 7 ans, le site a été étroitement surveillé grâce à des techniques par Satellites InSar (Interforometric Synthetic Aperture Radar). Ce système de surveillance sophistiqué devait justement surveiller les déformations du sol liées à la pression d’injection et « la réponse mécanique de la roche qui en résulte dans le réservoir et les morts-terrains». En dernier ressort, le rapport dit que l’analyse des données sismique et géomecaniques réalisées en 2010, a conduit à la décision de suspendre l’injection du CO2 en juin 2011.
Dans l’attente d’une nouvelle stratégie d’injection actuellement en cours de révision. Ceci n’arrête pas le cours de la poursuite aussi bien de la mise en œuvre du projet dans sa globalité que celui de la surveillance. Ce qui est sûr confirme ce rapport que des inquiétudes concernant d’éventuelles fuites verticales dans la roche couverture et qui ont contraint à un programme de recherche et développement intensifié pour comprendre la réponse géomecanique à l’injection du CO2. Depuis bientôt 13 ans, aucune réponse n’a été donnée ni dans les causes de ces fuites, leurs conséquences et surtout la reprise de cet exploit en l’honneur de l’Algérie de répondre présent lorsqu’il s’agit d’un exploit mondial de ce niveau. .Tout ce qu’on constate, ce projet est venu avec l’arrivée de Chakib Khalil et s’est arrêté quelques mois après son départ. Est-ce une simple coïncidence ? Difficile de répondre. Toujours est-il que du côté technico-financier, aucun ne se soucie de cet exploit à encourager.
1- L’Algérie par le biais de Sonatrach, a tout un programme de torchage.
Le gaz associé dans les gisements pétrolifères, a toujours été une préoccupation première dans la conduite de l’exploitation des gisements en Algérie. La réinjection du gaz associé dans le champ de Hassi Messaoud plus tard généralisée à d’autres en est un autre exploit mondial. Pourquoi ?
Le champ de Hassi Messaoud est classé parmi les 10 super-géants, dans le monde de la stature de Ghawar en Arabie Saoudite Cantarel du Mexique, Burgan au Koweït et Daqing en Chine, pour ne citer que ceux-là. Il a été découvert en 1956 et mis en exploitation depuis 1958, en utilisant principalement le balayage par gaz miscible comme méthode de maintien de pression et de récupération améliorée. Sonatrach opère ainsi le plus grand projet d’injection de gaz miscible au monde, avec une production à un taux de soutirage inférieur à 2 %, un des plus bas au monde. Une stratégie qui vise une production à très long terme à condition de respecter strictement toutes les procédures ainsi que les principes de conservation et d’optimisation des réserves, en veillant principalement à l’injection de gaz et d’eau en volume et en répartition adéquats. Les conditions de miscibilité sont strictement respectés et enfin plus globalement en assurant toute la gestion technique et logistique du champ qui devient de plus en plus complexe avec son système réservoir-puits-réseau de surface- installations de surface.
De nombreuses tentatives ambitieuses pour surexploiter ce gisement ont été déjoués pour que ce champ dans ses deux parties, l’une centrale et l’autre dite zone complexe, poursuivent leur production et donnent le meilleur de lui-même. Il faut dire aussi que depuis 2010, date de départ de l’ancien ministre de l’énergie Chakib Khelil qui a fondé son ambition pour surexploiter ce géant pour atteindre une production de 2 millions de barils par jour, a été vite abandonnée pour revenir au plan de développement initial tout en respectant les caractéristiques pétro-physiques des couches productrices et le maintien permanent de la pression du gisement par les travaux de work over.
Donc le champ de Hassi Messaoud a connu des déclins, liés principalement à des problèmes d’exploitations et jamais un déclin fatal lié aux réserves, en général en phase de plateau depuis des décennies grâce au maintien de la pression par injection d’eau, de gaz miscible, et un programme de forage et de stimulation de puits. Il a connu aussi une croissance. Théoriquement si l’on se réfère au plan de redéveloppement aussi bien pour la partie centrale que celle complexe et les upsides, le taux de récupération est variable d’une zone à l’autre. Pourquoi ? Les roches géologiques de son réservoir, composé principalement des grès du combrien sont caractérisées par une très forte hétérogénéité.
Cette dernière se constate par les différences de niveau de récupération qui atteignent dans certaines zones jusqu’à 40% mais d’autres restent moins productives dans une fourchette allant de 3 à 8%. Mais en moyenne le taux n’est jamais descendu moins de 25%, passé à 28 % en 2006 suite à la 3D et des puits horizontaux, à la période 2015 au premier semestre 2017 il devait dépasser 28,5% suite aux études EOR (Enhanced oïl Recovery).
«Si on améliore ce taux 0,1, 0,2 à 1% par an, on pourrait récupérer 5 milliards de barils soit autant que toutes les réserves de pétrole découvertes depuis la loi 86-14», avait affirmé un ancien responsable de Sonatrach rapporté par Algérie Watch (01). Les réserves, quant à elle, ont augmenté durant les années 2000 suite à la quasi généralisation du forage horizontal, et des reprises en short radius, avec une stricte gestion de l’injection de gaz et d’eau ayant permis de drainer, de mobiliser et de préserver les réserves. Hassi Messaoud a subi un déclin faible en 2011, lié principalement à la gestion et à l’exploitation, le déclin s’est accentué fortement de 2012-2014. Une reprise de la croissance a été réalisée à partir de l’année 2016, avec une mobilisation des réserves.
L’année 2018 a malheureusement connu le retour au déclin par un ralentissement de la réinjection pour des contraintes commerciales. Il faut préciser par ailleurs qu’en dépit de cette volonté de Sonatrach, un arrêt pour des raisons diverses d’une station de cette réinjection pourrait obliger le mastodonte à brûler près de 10 millions de m3 de gaz par jour.
Dans le cadre justement de sa contribution à éviter l’émission du gaz à effet de serre, le groupe a mis en œuvre un vaste programme touchant la majorité de ses gisements pétrolifères l’objectif 0 à un maximum de 1% d’émission en 2030.. Fortement assisté par des cabinets de renommée internationale comme Degolver Mac Naughton (DMN) et Core Laboratries, ce programme est en cours et en bonne voie.
Par Rabah Reghis, économiste pétrolier