Dans un atelier de Shunde (sud de la Chine), un artisan joaillier donne de légers coups de marteau pour graver avec dextérité de petits motifs d’épines de pin sur une fine plaque d’or.
Ces types de pièces sont d’ordinaire achetées pour être offertes ou simplement réaliser un investissement. Mais les bijoutiers doivent désormais composer avec un groupe de consommateurs qu’ils voyaient peu auparavant : les jeunes.
Pourquoi investissent-ils dans l’or plutôt que dans d’autres produits plus traditionnels (épargne rémunérée, Bourse, immobilier) ? En premier lieu, en raison des difficultés économiques postpandémie : le chômage touche particulièrement les jeunes qui veulent ainsi investir dans un produit sûr. Il y a aussi la crise dans l’immobilier.
C’était jadis le secteur privilégié pour investir en Chine, mais les prix baissent et n’incitent pas à acheter, le risque de perdre de l’argent à la revente étant désormais élevé. Enfin, la récente chute boursière en Chine a refroidi nombre d’investisseurs potentiels.
«Avant, seules les personnes âgées achetaient des bijoux en or», déclare à l’AFP Tan Ruikun, maître artisan chez le géant chinois de la joaillerie Chow Tai Fook, lors d’une visite de leur atelier de Shunde, dans la province du Guangdong. «Les jeunes d’aujourd’hui sont différents. Ils en achètent aussi en raison de sa capacité à conserver sa valeur.»
Refuge
Les sourcils froncés par la concentration, ses collègues tordent avec minutie de petites boucles d’or afin de créer un bijou aux motifs complexes. D’autres regardent à travers des microscopes pour ajouter des pierres précieuses à un pendentif en or. Un produit conçu à la suite de commentaires de jeunes clients, que Chow Tai Fook souhaite séduire avec des éléments plus modernes.
Dans un marché aux bijoux de Shanghai, Zhang Jie, travailleuse indépendante de 30 ans, juge ces nouveaux styles de bijoux «jolis en plus d’être durables». Les cours mondiaux de l’or ont atteint un niveau record en décembre «et ça a encore grimpé cette année, donc c’est un actif à la valeur assez stable», déclare-t-elle à l’AFP.
Les Chinois, nés entre 1980 et la fin des années 2010, «deviennent le principal moteur» de la popularité de l’or, indique à l’AFP Nikos Kavalis de Metals Focus, un cabinet de recherche sur les métaux précieux. Chez les moins de 40 ans, la «génération Z» (les 14-27 ans) est celle qui achète le plus d’or, selon une étude de Chow Tai Fook. «Les bijoux en or pur continuent de servir de refuge pour les consommateurs chinois dans le contexte économique actuel», indique le rapport. Ils ont été parmi les biens les plus vendus en Chine en 2023, en raison de la baisse de la consommation dans les autres secteurs.
«Quand j’ai commencé à gagner ma vie (...) j’ai acheté d’autres produits de luxe, mais ils se dépréciaient beaucoup lorsqu’on voulait les échanger contre de l’argent», déclare Feng Ning, 24 ans, une cliente du marché de Shanghai. «Mes amis et moi, on a donc opté pour l’or», explique cette employée du secteur médical. Sur le réseau social Xiaohongshu, équivalent chinois d’Instagram, beaucoup de jeunes s’échangent des bons plans.
Selon le Conseil mondial de l’or, la consommation du métal en Chine l’an passé a été stimulée par des «produits plus légers que 10 grammes ou moins chers que 2000 yuans» (257 euros), ce qui reflète les budgets plus serrés des jeunes. Ceux-ci sont généralement friands de créations originales. Parmi-eux, le style «guochao» (traduisible par «chinois et branché»), des pièces avec des éléments de la culture traditionnelle remis au goût du jour.
Chow Tai Fook, marque vieille de 95 ans et souvent associée à une clientèle âgée et fortunée, souhaite dépoussiérer son image, indique à l’AFP son directeur général Kent Wong. «Les jeunes sont de plus en plus fiers et confiants dans la culture chinoise», souligne Chow Tai Fook qui vient juste de lancer une série de bijoux modernes inspirés de la dynastie Tang (618-907). «C’est ainsi que nous transmettons nos traditions», déclare-t-il.