Le déploiement à toute vitesse d’une intelligence artificielle (IA) de plus en plus «générale» est considéré comme inéluctable dans la Silicon Valley. Malgré la fascination qui submerge les voix appelant à ralentir le rythme, les risques sur plusieurs métiers restent omniprésents.
Si vous prenez ensemble l’invention de l’électricité, des ordinateurs, d’internet et des mobiles, vous restez en-deçà de ce à quoi nous allons assister. Toutes ces choses ont été créées par l’intelligence. Mais pour la première fois, nous sommes capables de créer l’intelligence elle-même.
C’est une arme à double tranchant, mais si ça se passe bien, elle pourra résoudre tous les problèmes (...), comme le réchauffement climatique», assure Siqi Chen, un entrepreneur basé à San Francisco, dans une déclaration à l’AFP.
Comme de nombreux autres acteurs de la tech, il est convaincu d’assister à un historique changement de paradigme.
Surtout depuis la présentation mardi par OpenAI de GPT-4, une nouvelle version encore plus puissante du modèle de langage naturel qui opère ChatGPT, l’interface d’IA générative utilisée par des millions de personnes depuis quelques mois pour rédiger des dissertations, des poèmes ou encore des lignes de code informatique.
ChatGPT va pouvoir traiter non seulement du texte, mais aussi des images et produire des contenus plus complexes, comme des plaintes judiciaires ou des jeux vidéo. GPT-4 représente ainsi une avancée dans la direction de l’intelligence artificielle dite «générale», celle des programmes «plus intelligents que les humains en général», selon Sam Altman, le patron de la start-up californienne.
Plusieurs métiers menacés
Jeudi, Microsoft, le principal investisseur d’OpenAI, a promis que «nous ne pourrions bientôt plus nous passer» des assistants à base d’IA générative, capables d’interagir avec les humains dans leurs langues et d’exécuter toutes sortes de tâches, du résumé d’une réunion à la création d’un site web ou d’une campagne publicitaire.
Ces outils vont libérer les humains «des corvées qui freinent la créativité» pour qu’ils puissent renouer avec «l’âme de leur travail», a déclaré Jared Spataro, un dirigeant du groupe informatique. «Je me suis servi de GPT-4 pour coder 5 microfonctionnalités pour un nouveau produit. Un très bon développeur voulait 6000 dollars et deux semaines. GPT-4 l’a fait en 3 heures pour 0,11 dollar. Ahurissant», a tweeté Joe Perkins, un entrepreneur britannique.
Siqi Chen reconnaît que la nouvelle technologie risque de le remplacer un jour. Mais il compte sur la capacité des humains à s’adapter, avec des solutions comme le revenu universel. Au-delà de la menace pour les professions intellectuelles et artistiques, l’IA générale suscite d’insurmontables débats de société.
Que va-t-il rester d’authentique, quand la moindre photo sur Instagram ou le moindre avis sur un restaurant auront été produits avec ou par une IA? Que va devenir l’apprentissage, quand il suffira de formuler des requêtes aux machines ? Qui doit prendre les décisions pour définir les algorithmes ?
Ralentir le rythme
«L’IA générale arrive plus vite que nous ne sommes capables de la digérer», remarque Sharon Zhou, fondatrice d’une start-up d’IA générative. «Cela va poser des questions existentielles à l’humanité. Si elle est plus puissante et intelligente que nous, est-ce que nous l’exploitons ?
Ou est-ce qu’elle nous exploite ?», questionne l’ancienne chercheuse de l’université de Stanford. OpenAI assure vouloir construire l’IA générale graduellement, dans le but de bénéficier à toute l’humanité.
Elle compte sur l’utilisation à grande échelle de ses modèles pour détecter et rectifier les problèmes. Mais l’entreprise semble elle-même dépassée par les événements. Greg Brockman, un des cofondateurs, a reconnu dans une interview à The Information que ChatGPT n’était pas aussi neutre en termes de valeurs qu’ils l’auraient voulu.
Ilya Sutskever, le directeur scientifique, aimerait «qu’il y ait un moyen de ralentir le rythme de sortie de ces modèles aux capacités sans précédent», d’après un entretien à la MIT Technology Review. Et la start-up, dont le nom signifie «IA ouverte», se voit reprocher son manque de transparence. La sortie de GPT-4 marque «sa transformation de laboratoire de recherche à but non lucratif en entreprise capitaliste», juge Will Douglas Heaven, expert de cette revue scientifique.
Mais malgré les critiques, les inquiétudes et les risques réels ou fantasmés, le secteur reste convaincu que l’IA générale arrive, inexorablement. Parce que la course entre les entreprises est lancée, explique Sharon Zhou, mais aussi entre les pays, notamment les Etats-Unis et la Chine. «Le pouvoir est entre les mains de ceux qui savent bâtir tout ça», souligne-t-elle. «Et nous ne pouvons pas nous arrêter, parce que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.»