Syna Awel. Interprète et auteure : «Ma musique est le brassage des cultures dans un mélange de traditions et de modernité»

29/10/2024 mis à jour: 06:52
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La chanteuse Syna Awel vient de sortir en France son nouvel album en langue kabyle intitulé Awel. Dans cet entretien, elle revient avec beaucoup de sincérité sur sa musique aux ondulations orientales, jazzy, électro ou encore latino. Elle parle aussi de son penchant pour les contes pour enfants. Entretien.

 

Comment êtes-vous venue dans la sphère musicale ?

Je suis venue dans l’univers musical tout naturellement. J’ai grandi dans une famille d’artistes. Mon regretté père était un auteur et compositeur qui jouait de la guitare et qui a fait beaucoup de musique. J’ai donc commencé comme cela. Il a fait chanter ma grande sœur qui interprétait, justement, les chansons de mon père puisque lui ne chantait pas. Etant petite, j’allais avec ma sœur dans les studios pour enregistrer cette musique de mon père. J’ai pu assister à de nombreux concerts avec mon paternel. Je parle très peu de ma mère, mais il faut dire qu’elle chantait tout le temps. Elle faisait à manger et le ménage tout en chantant en kabyle et arabe. Voilà comment je me suis retrouvée dans la musique. Il faut avouer que j’étais très envieuse. Il y avait un désir, chez moi, de chanter. J’en avais parlé, à l’époque, à mon père qui m’avait dit que je pouvais monter sur scène. C’est ainsi que j’ai pu interpréter, en étant toute petite, une chanson en première partie, puis deux chansons. Ensuite, à l’adolescence, il y a eu une rupture musicale entre mon père et ma sœur, car je n’aimais pas la variété française. Je préfère de loin la soul music. J’ai donc intégré un groupe de soul music en France. J’ai fait quelques pianos-bars et des scènes, parfois avec ce groupe. Ensuite, je suis partie en Espagne pour mes études supérieures. Et là, j’ai découvert la salsa. J’adorais chanter et danser cette musique. A mon grand bonheur, j’ai  intégré un groupe de salsa. Quand je suis revenue en France, j’ai proposé au groupe de faire de la salsa. Et du coup, on a continué à faire de la salsa.


Syna Awel s’est-elle construit à travers les nombreux voyages et les scènes ? 

Effectivement, ma musique m’a permis de beaucoup voyager, de faire des scènes et de rencontrer un public formidable. Je dois avouer que j’ai acquis de l’expérience et de la maturité au fil des ans.


Quels sont les artistes qui ont influencé votre parcours artistique ?

Il y a eu cette rencontre à l’âge de 13 ans avec l’artiste Aït Menguellet. Un peu plus tard, avec le regretté Idir. Il y a aussi certains musiciens brésiliens qui m’ont influencée et pleins d’autres.


Parlez-nous de votre premier album qui n’est jamais sorti dans les bacs des bons  disquaires…

Effectivement, ce premier album qui n’est jamais sorti, je l’ai fait à Nice en 2014 avec le compositeur et guitariste brésilien Marcus Cecconi qui a sa petite notoriété. Le projet en question découlait de la soul où l’on pouvait découvrir ce brassage de cultures dans un mélange de traditions et de modernité. Et là, je travaille sur un festival «Les Nuits du Sud» et je rencontre l’artiste Jimmy Cliff. Il se passe quelque chose de magique. Il me parle comme si j’étais sa petite fille. Je suis très surprise. Dans le trajet en voiture, je lui parle de ma passion pour la musique et de ce que je fais. Il me dit qu’il aimerait bien écouter ma musique. Je lui laisse une clé USB des prémices de cet album qu’on avait fait avec Cecconi Fircus, principalement sur ordinateur. Quelques jours après, le chef d’orchestre de Jimmy Cliff me rappelle pour me dire qu’il fallait que je vienne aux Etats-Unis pour enregistrer mon album. J’y suis allée une première fois et une deuxième fois en Jamaïque. J’ai eu cette grande chance de pouvoir enregistrer mon album dans le studio de Bob Marley avec des musiciens qui ont joué avec lui. Je pense, d’ailleurs, sortir cet album en kabyle parce qu’à l’époque, je chantais en anglais. Je reviens, donc, avec cet album en France. Je le présente à un producteur français qui me dit que j’ai une jolie voix et qu’il y a de belles propositions. Mais me dit, par contre, c’est quoi mon identité d’artiste. Le mot identité me fait écho puisque j’étais dans une longue psychanalyse déjà. Pour information, j’ai fait des études en psycho et je voulais être psychanalyste. Ensuite, je me dis qu’il fallait que je fasse un gros travail de réappropriation de mes origines. A partir de là, je me sens forte et heureuse. C’est à cet endroit-là pour que je trouve que la vie est belle.

Vous faite donc ce lien d’appropriation de votre identité en laissant de côté ce premier album en anglais… 

Exactement, je fais le lien avec ce premier album en anglais. Je le laisse de côté et je recompose un autre album en français. J’ai eu l’immense bonheur et privilège de faire la première partie de l’un des concerts du regretté Idir en 2018. Pour la circonstance, mon père me traduit une de mes chansons en langue kabyle, et ce, à deux mois de l’événement en question. A la fin du concert, Idir me donne un précieux conseil. Il me dit que je suis une artiste accomplie et que cela se voit quand je chante en kabyle. «C’est toute ton âme qui est présente», me lance-t-il. Je  suis très surprise par ses éloges et je lui dis que je ne me sens  pas légitime. Il me dit de foncer. De là, je sollicite mon père pour traduire toutes mes chansons en kabyle. Je fais la rencontre d’une étoile dans ma vie, le batteur et le percussionniste Karim Ziad qui me dit que mon projet est intéressant. Il accepte de rentrer en studio avec moi mais à une seule condition, c’est  qu’il choisisse lui-même les musiciens. C’est ainsi que je me suis retrouvée avec des musiciens professionnels, à l’image de David Aubaile au piano et aux flûtes et Pierre Bonnet à la basse. Mes dix chansons sont une invitation au voyage dans des ambiances orientales.  


Comment s’est déroulée le choix du nom de votre album et la sélection de vox dix chansons ?

Mon père m’avait expliqué «Awal» en kabyle qui signifie parole. C’était joli. Pour moi, tout est question de parole dans la vie. Il y a dix titres dans l’album dans lequel je parle de mes réflexions sur la vie et la psychanalyse. J’essaye de donner des clés dans la vie aux gens pour avoir une vie plus facile. Par exemple, Amchiche parle de la peur. Je n’avais pas conscience  avant de faire ce travail, à quel point la peur m’a inhibée. Elle m’a empêchée de réaliser des choses. Je parle de la voie où je fais un parallèle entre la voie et la voix. Je dis que les chemins nous emmènent jusqu’à l’incantation. 

C’est un genre de formule magique que j’ai  appris de ma mère. Quand j’avais trop de pression, elle me disait : Demain, il fera jour. Cette chanson est venue, d’ailleurs, de cette réflexion-là. Yemma Gouraya  est une chanson spirituelle. Je l’ai chantée à travers le monde. Celle-ci me fait rappeler mon enfance où l’on faisait dans ce lieu des vœux et l’aumône. Du coup, j’ai trouvé que c’était un beau symbole de représenter les Kabyles dans le partage et la spiritualité. Le dernier titre Adouralagh  (je reviendrai) est un des textes que mon défunt père m’a laissés dans une pochette. Je voulais que mon père soit présent dans cet album, car il a beaucoup travaillé dessus. Il est parti d’une mort foudroyante en mai 2022. Dans le titre  C’est la vie, il y a carrément une chanson sous forme de valse dans laquelle j’essaye de dire qu’il faut prendre les choses avec légèreté. 

 

 

Cet album est certes disponible en France. Mais à quand une sortie en Algérie ?

Je rêve de produire mon album en Algérie et de monter sur scène. Le premier single, issu de cet album Mazal, Mazal a fait le buzz au YouTube. Quand on se base sur les statistiques, c’est beaucoup plus les Algériens qui ont aimé cette chanson. Pour ne rien vous cacher, j’ai pris contact avec deux producteurs en Kabylie que je compte voir dans les prochains jours.

Quel est le message que véhicule votre musique ?

Je veux dire aux enfants issus de l’immigration qu’il faut aller creuser dans ses origines et ses sources. Et combien il y a de contes qui parlent des racines. Il faut exploiter toute cette précieuse matière.


Comptez-vous exploiter prochainement d’autres textes familiaux anciens ?

Récemment, j’ai récupéré un vieux téléphone de ma mère qui avait enregistré des heures  d’enregistrement de ma grand-mère, laquelle était conteuse. Il s’agit d’un trésor. Je garde  précieusement cet enregistrement pour un futur projet que je compte mener à bien. De le chanter et de l’écrire dans des livres. 


Justement, parlez-nous de votre passion pour l’écriture puisque vous êtes auteure de trois contes pour enfants en France ? 

L’écriture est arrivée tout naturellement. Mon public jazz n’était pas berbérophone. Lors de mes concerts, entre les chansons, mon coach scénique m’a conseillée d’intervenir sur scène en français pour donner le thème et la morale de chaque titre. Quand j’expliquais cela à la fin de mes concerts, il y avait des gens qui venaient me dire où on pouvait trouver mes contes. 

Cela a été le déclic. Petite-fille de conteuse, je me devais de suivre cette voie de l’écriture. Et un jour, Emile Calat, qui illustre mes livres actuellement, me dit que les éditions du Jasmin à Paris cherchent des contes comme les miens. Elle me demande si cela m’intéresse de les faire sous la forme de contes. Pendant le confinement, j’ai pris le temps de le faire. Le premier conte Amchiche est sorti durant la pandémie de la Covid-19. Comme cela marchait bien, j’ai entrepris de faire le deuxième, Princesse Nelya à contresens, et le troisième, Princesse Nelya à contresens. Je rappelle que les contes sont écrits en français avec de petits mots en kabyle. Ce sont des histoires tirées de mes chansons. J’ai des influenceuses qui sont en Algérie et en France qui ont posté mes bouquins. Et là, il y a énormément d’Algériens qui me demandent où ils peuvent trouver mes livres. J’espère de tout cœur pouvoir éditer mes contes en Algérie. La semaine dernière, j’ai pu aller à la rencontre de mes lecteurs lors de deux ventes-dédicaces réussies. Quel bonheur !
 

D’autres projets en perspective ?

J’ai un projet électro où je reprends des chants traditionnels, version électro, pour essayer de donner accès à cette jeunesse algérienne. J’ai, d’ailleurs, fait une reprise d’une chanson d’Aït Menguellet Les trois jours de ma vie qui m’ont marqué.
 

Propos recueillis par Nacima Chabani

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