Torture, agressions sexuelles, viols, privation de nourriture, de soins médicaux, de visite d’avocats et de membres de la famille, amputation d’un des membres sans anesthésie, enchaînement des membres et bandage des yeux font partie du traitement violent et inhumain des détenus palestiniens dans les prisons israéliennes qui abritent plus de 24 000 détenus, pour des capacités ne dépassant pas les 12 000, selon des sources officielles. Si la prison Sde Teiman, d’où ont été libérés les 56 détenus ayant témoigné sur les graves violations dont ils ont fait l’objet, a été fermée, plusieurs autres sont de véritables mouroirs. Retour vers l’autre guerre contre les Palestiniens dans les prisons israéliennes.
Jamais le débat sur les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes n’a été aussi enflammé que durant ces derniers jours, levant, dans son sillage, le voile sur une situation terrifiante et déshumanisée à laquelle sont soumis les prisonniers. Torture physique et morale, enchaînement, isolement, privation de soins, de nourriture et d’eau, de literie, des avocats et des membres de la famille font le quotidien de ces milliers de Palestiniens arrêtés depuis le 7 octobre dernier à Ghaza et détenus dans des centres de détention de Sde Teiman, Anatot, Damon ou Ofer, cités parmi les prisons mouroirs.
Selon les données des services pénitentiaires israéliens, citées par l’Ong de défense des droits de l’homme, Hamoked, qui assiste les Palestiniens victimes de violations, jusqu’au 1er juillet courant, Israël détenait 2059 prisonniers condamnés, 2783 personnes en détention provisoire, 3379 personnes en détention administrative sans jugement et 1402 détenus, classés comme «combattants illégaux».
Ces statistiques concernent, souligne l’ONG, tous les détenus y compris ceux qui se trouvent à la prison Ofer, en Cisjordanie, et précise que «l’écrasante majorité des détenus de sécurité sont des Palestiniens des territoires occupés.
La détention de prisonniers et de détenus des territoires occupés en Israël constitue une violation flagrante de la 4e Convention de Genève, qui interdit le transfert de prisonniers et de détenus hors des territoires occupés et viole également les droits humains fondamentaux consacrés, entre autres par la loi israélienne».
Ces chiffres dépassent largement les capacités des centres de détention poussant les responsables des services du Shin Beth (agence de sécurité israélienne) à décider de libérer les détenus qualifiés de «moins dangereux» et ne garder que ceux considérés comme les «plus dangereux».
Des élargissements qui ont suscité des échanges houleux d’accusations entre les plus hauts responsables des institutions sécuritaires israéliennes et levé le voile sur le traitement inhumain, voire violent à l’égard des prisonniers palestiniens soumis à des actes de tortures ayant abouti à la mort de nombreux détenus.
Le patron du Shin Bet, Ronen Bar, s’en est pris au gouvernement, particulièrement au ministre extrémiste de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, qui a fait campagne pour une gestion plus restrictive des droits des détenus, voire leur exécution sommaire, l’accusant d’avoir ignoré des mois de mise en garde contre la surpopulation carcérale et ses appels pour de nouveaux centres d’accueil.
La polémique a démarré avec la libération, lundi dernier, du docteur Mohammed Abu Selmiya, directeur de l’hôpital Al Shifa à Ghaza, avec plus d’une cinquantaine d’autres détenus du centre de Sde Taiman, et ses témoignages sur la torture, le mauvais traitement, l’isolement, l'enchaînement, les privations de médicaments, de soins, de nourriture, d’eau, etc.
Témoignages choquants sur la déshumanisation des conditions de détention
Des récits qui ont fait réagir de nombreuses ONG internationales des droits de l’homme ainsi que les experts onusiens qui ont dénoncé des violations graves aux droits internationaux et humanitaires. Mais l’extrémiste Ben-Gvir n’a pas pour autant changé son avis sur le maintien des conditions terrifiantes de détention imposées aux Palestiniens.
«Il y a une surpopulation dans les prisons (…) Je n’ai jamais pensé à libérer des ''terroristes'' des prisons à cause de la surpopulation (…) C’est l’essence même du désaccord entre moi et le chef du Shin Bet, Ronen Bar, qui estime que les conditions de détention des ''terroristes'', y compris la surpopulation, donnent une mauvaise image dans le monde et pourraient conduire à une escalade (…) J’ai déjà proposé une solution beaucoup plus simple, qui consiste à légiférer en faveur de la peine de mort pour les ‘’terroristes’’, ce qui résoudrait le problème de la surpopulation – une législation à laquelle le Shin Bet s’oppose également fermement», a-t-il déclaré.
«C’est une bombe à retardement», a répondu Ronen Bar pour dénoncer la surpopulation carcérale. Selon lui, le nombre de détenus palestiniens de la bande de Ghaza et de Cisjordanie a bondi de 14 000 à 21 000 depuis le 7 octobre, «soit presque le double des capacités des prisons», a-t-il averti, avant de préciser qu’il était «contraint» de relâcher certains prisonniers jugés les moins dangereux, afin de faire de la place.
Pour le patron du Shin Beth, «il y a urgence» à libérer les espaces ou à mettre en place de nouveaux. «La surpopulation carcérale est telle, que nous sommes obligés de renoncer à arrêter des Palestiniens de Cisjordanie qui préparent des attentats contre des Israéliens (…) Le niveau de risque élevé d’attentats nécessite des actions préventives de grande ampleur qui provoquent de nombreuses arrestations.» Cela n’a pas pour autant convaincu le Premier ministre Netanyahu.
Pour lui, la décision du Shin Beth est une «grave erreur et un échec moral», dont il n’a pas été mis au courant. Il a donc annoncé la mise en place d’une commission qui aura la mission de statuer sur les mises en libération. Largement médiatisées, toutes ces querelles n’ont pas pour autant fait de l’ombre aux témoignages poignants des détenus libérés sur les graves violations dont ils ont été victimes lors de leur détention de plusieurs mois et qui ont laissé de lourdes séquelles sur leur santé physique et morale.
«La crise dans les prisons porte atteinte à la légitimité de la poursuite de la guerre, car elle affaiblit la défense d’Israël face à la Cour pénale internationale», a averti le chef du Shin Beth en faisant allusion aux mandats d’arrêt internationaux, réclamés le 20 mai dernier par le procureur en chef de la CPI et que les magistrats de la Chambre préliminaire de cette juridiction devraient entériner.
Raison pour laquelle la Cour suprême de l’Etat hébreu a ordonné la fermeture, depuis mercredi dernier, du centre de détention de Sde Teiman dans le sud d’Israël, d’où ont été libérés lundi dernier les 56 détenus. Au moins 9623 prisonniers palestiniens sont détenus par Israël, a déclaré le groupe de défense des droits de l’homme Hamoked, citant les données de l’administration pénitentiaire israélienne.
«Au 1er juillet 2024, Israël détenait 2059 prisonniers condamnés, 2783 détenus et 3379 détenus administratifs sans procès. Israël détient également 1402 personnes qualifiées de ''combattants illégaux''», a déclaré le groupe. Le terme «combattants illégaux» est utilisé par Israël pour désigner les Palestiniens de la Bande de Ghaza détenus au cours de l’offensive qu’il mène contre l’enclave depuis le 7 octobre dernier.
Une couverture légale pour la pratique de la torture
Pour le Club des prisonniers palestiniens «les éléments les plus marquants reflétés dans les récits des détenus et les témoignages d’un certain nombre d’entre eux lors des visites limitées dans les prisons et centres de détention «israéliens» sont le maintien des détenus enchaînés et les yeux bandés, 24 heures sur 24 et les yeux bandés, les passages à tabac avec tous les moyens et outils, y compris des matraques et des chiens policiers, la privation de nourriture, pratiques humiliantes en utilisant divers moyens et outils, les insultes à tout moment et intimidations et des menaces, l’interdiction des communications entre détenus sous peine de sanctions, la privation de soins médicaux et amputation (dont certains, faute de soins ou en conséquence aux mauvais traitements, d’un des membres sans anesthésie, agression sexuelles, viols».
Selon l’Ong, «les récits et les témoignages des détenus de Ghaza constituaient un changement notable dans le niveau de brutalité du système d’occupation, qui reflétait un niveau sans précédent de crimes de torture, de tortures et de famines, ainsi que de crimes médicaux organisés, qui ont entraîné le martyre de dizaines de détenus, en plus des exécutions sur le terrain qui ont été perpétrées contre d’autres, bien que les institutions compétentes n’aient annoncé que six témoins parmi les 18 martyrs arrêtés depuis le début de la guerre du génocide, dont le médecin Adnan Al Barch, tandis que l’occupation continue de cacher les noms des détenus qui ont été tués dans les prisons de l’occupation».
Des récits d’horreur qui ont poussé les experts de l’Onu, à exprimer leur «inquiétude face aux abus inacceptables», subies par les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes, avant d’exiger «une enquête indépendante». Intervenant à partir de Genève, la porte-parole du Haut-Commissariat des droits de l’homme, Ravina Shamdasani, a déclaré avoir «reçu des rapports très inquiétants et très pénibles sur la façon dont les détenus palestiniens sont traités par les forces israéliennes depuis le 7 octobre».
Ces informations font état de personnes détenues au secret... de torture, de mauvais traitements, de menottes, de privation de nourriture, d’eau, de médicaments (…) mais également signalant «des allégations d’abus sexuels sur des détenus». Pour l’experte : «C’est inacceptable et cela doit cesser», dit-elle.
Parallèlement à ce point de presse, dans une déclaration commune, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats, Margaret Satterthwaite, et la rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, ont déclaré affirmé que «le double système des tribunaux israéliens en Cisjordanie fournit une couverture légale à la torture et aux traitements cruels contre les détenus palestiniens et rend impossible la tâche de leur défense».
Pour les deux expertes onusiennes, «les garanties d’un procès équitable et public, conformément aux normes internationales, incluent l’indépendance et l’impartialité des tribunaux et exigent que le système judiciaire ne s’appuie pas sur le pouvoir discrétionnaire d’une branche quelconque du gouvernement, en particulier du pouvoir exécutif et les forces armées».
Les deux rapporteurs ont par ailleurs expliqué que «le double système judiciaire établi en Cisjordanie, en violation du droit international, a renforcé la légitimité de l’occupation et des colonies illégales dans le territoire palestinien occupé grâce à un régime de sanctions militaire strict qui n’est appliqué que aux Palestiniens sans garantie d’une procédure régulière». Ils ont appelé Israël à «annuler l’ordre militaire et les lois et réglementations connexes à dissoudre le tribunal militaire et à garantir le droit à un procès équitable en Cisjordanie».