Avec leurs bénéfices hors normes en 2022, beaucoup d’entreprises ont décidé de gratifier davantage leurs actionnaires sous une pluie de critiques leur reprochant de ne pas verser autant aux salariés ni d’en faire assez pour le climat.
En première ligne, l’énergie et ses 151 milliards de dollars de bénéfices net pour les cinq majors (Shell, Chevron, ExxonMobil, TotalEnergies, BP), alimentés par la hausse des prix de l’énergie dans le sillage de la reprise de la demande post-Covid et de la guerre en Ukraine. «Shell a versé plus à ses actionnaires qu’il n’a investi cette année dans les (énergies) renouvelables», signale Russ Mould, analyste de la société d’investissements AJ Bell. «Il y a un problème de répartition, surtout au niveau des grandes entreprises», juge Léa Guerin, de l’ONG Oxfam. «Chaque année, on a de nouveaux records de versements de dividendes, mais on entend jamais parler d’un record de salaires.» TotalEnergies va notamment investir 16 milliards de dollars, dont 4 milliards de dollars dans des «énergies bas-carbone», et payer près de 9 milliards d’euros de dividendes. Parmi les 33 entreprises du CAC 40 ayant publié leurs résultats annuels, aucun dividende n’est en baisse sur un an, selon un relevé de l’AFP. En 2022, les versements ont atteint un record à 56,5 milliards d’euros, selon la lettre financière Vernimmen.net. Société Générale veut, par exemple, redistribuer 90% de son bénéfice aux actionnaires, avec une hausse du dividende, malgré une chute de 64% du résultat net. S’exprimant sur le «débat» de savoir «si notre industrie doit rendre une partie de nos bénéfices au peuple américain», Darren Woods, patron d’ExxonMobil, qui en est à sa 40e hausse de dividende d’affilée, avait répondu en octobre: «C’est exactement ce que nous faisons avec notre dividende trimestriel.» «Reverser des profits aux actionnaires n’est pas la même chose que faire baisser les prix pour les familles», avait répliqué le président Joe Biden sur Twitter.
La tentation des rachats d’actions
Dans l’énergie, les investissements progressent légèrement avec les bénéfices, mais «on voit de plus grandes hausses des dividendes et rachats d’actions», des opérations destinées à soutenir le cours en Bourse, remarque Chris Wheaton, analyste du secteur à la banque américaine Stifel. «Le retour à l’actionnaire est désormais constitué d’une part très forte de rachats d’actions, c’est vraiment devenu un instrument important», explique à l’AFP Bénédicte Hautefort, fondatrice de la fintech Scalens, qui identifie «une tendance de fond en France comme à l’étranger». Chevron a annoncé fin janvier l’un des plus gros programmes de rachat d’actions jamais annoncés, allant jusqu’à 75 milliards de dollars, et ExxonMobil va débourser jusqu’à 50 milliards. Ces rachats sont «extrêmement appréciés des actionnaires», indique à l’AFP Quincy Krosby, du gestionnaire d’actifs américain LPL Financial. «Typiquement, la réaction immédiate est que le prix de l’action augmente.» En 2022, les rachats d’actions ont quasiment doublé par rapport à 2021, selon un rapport de BNP Paribas, à quelque 161 milliards d’euros dans 11 pays européens.
Retour aux salariés et taxe sur les superprofits
Les bénéfices énormes, alors que l’économie mondiale vacille et que l’inflation asphyxie le pouvoir d’achat en France et ailleurs, ravivent le débat sur la taxation des «superprofits» exceptionnels. Mais il est «vraiment compliqué de taxer ce qui n’est pas dans votre juridiction», note M. Wheaton, en référence aux profits réalisés par les groupes pétroliers en dehors du pays où se trouve leur siège social. TotalEnergies a versé deux milliards d’euros au titre d’une taxe sur les superprofits dans l’UE et au Royaume-Uni, autant que ce qu’il prévoit de débourser au premier trimestre pour racheter des actions. Dans le luxe, les quatre groupes français du secteur (LVMH, Hermès, Kering et L’Oréal) ont vu leur bénéfice net cumulé passer de 22 milliards d’euros en 2021 à 26,8 en 2022. LVMH, qui a payé 5 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés dans le monde, va verser 400 millions d’euros d’intéressement et de participation à ses quelque 39.000 salariés français ainsi que 12 euros par action. Un total de quelque 6 milliards d’euros, dont près de 3 milliards reviennent à la famille du PDG Bernard Arnault. Stellantis va gratifier ses actionnaires avec 4,2 milliards d’euros de dividendes et 1,5 milliard de rachats d’actions... et débourser 2 milliards pour verser des primes à ses salariés.