Sources d’eau du Djurdjura : Entre captage anarchique, réchauffement climatique et menace de pollution

09/07/2024 mis à jour: 01:18
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Photo : D. R.

Il est essentiel de repenser la gestion des sources d’eau du massif du Djurdjura et d’adopter une approche plus durable et respectueuse de l’environnement.

Bien que le Djurdjura, cette majestueuse chaîne montagneuse du nord de l’Algérie, soit bien connue, elle ne cesse d’impressionner et d’émerveiller ses visiteurs. Ces derniers, qu’ils soient touristes, chercheurs ou simples amateurs de la nature, tombent irrémédiablement sous son charme. Outre ses forêts luxuriantes, ses sommets escarpés et ses sites naturels inscrits comme aires protégées, cette région montagneuse recèle une richesse hydrique exceptionnelle.

En effet et d’après les responsables du Parc national du Djurdjura (PND), on y dénombre plus de 300 sources d’eau naturelles réparties sur les deux versants de la majestueuse chaîne montagneuse. La nature calcaire et karstique du sous-sol fait du Djurdjura un gigantesque réservoir d’eau douce. Les abondantes précipitations sous forme de neige et de pluie durant la saison froide et le printemps s’infiltrent profondément dans le massif montagneux, alimentant un vaste réseau souterrain.

En outre, les gouffres et autres cavités naturelles permettent aux eaux superficielles de ruisseler et de finir aussi dans les profondeurs de la terre. Ces gouffres entonnoirs ne sont en réalité que la partie visible d’un labyrinthe souterrain s’étendant sur des kilomètres dans les entrailles de la montagne. Et c’est par l’intermédiaire des résurgences que l’eau emmagasinée jaillit à la surface, nourrissant la faune et la flore du parc, mais aussi les populations riveraines qui en dépendent pour leurs activités agricoles et domestiques.

Des gouffres... jaillit la vie !

Le cas du village Imesdourar dans la commune de Saharidj, au nord-est de Bouira, est édifiant. Dans chaque recoin on y trouve une source qui coule à longueur d’année. Au Djurdjura, presque toutes les sources naturelles d’eau portent des noms qui témoignent de leur importance culturelle et historique pour les populations locales.

Parmi les plus connues, on peut citer les sources aux débits impressionnants, comme Tinzert et Laïnnsar Abarkane, respectivement situées dans les communes de Boghni à Tizi Ouzou et de Saharidj à Bouira. De plus, chaque source a son propre goût, reflétant la composition unique de ses eaux souterraines.

Certaines contiennent même naturellement du dioxyde de carbone, ce qui leur confère une saveur pétillante et une fraîcheur particulière. Ces sources d’eau gazeuse naturelle, à l’instar de Tiguerguert à Tikjda et Laïnsar El Gazouz à Aghbalou, sont une véritable curiosité géologique.

Par ailleurs, des vertus thérapeutiques sont attribuées à plusieurs sources, notamment leur efficacité contre les maladies dermatologiques. 
Véritable château d’eau naturel, le Djurdjura joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement en eau douce de plusieurs localités. Ce sont les travaux de recherche menés par le docteur en géoscience, Abdelkader Saâdallah, qui ont mis au jour l’existence d’un réservoir de plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes d’eau douce dans la chaîne montagneuse du Djurdjura.

«Pour le moment, les études structurales mettent en évidence la présence d’un énorme volume rocheux, essentiellement carbonaté, sur une longueur de près de 100 kilomètres, plongeant vers l’Ouest. En estimant son volume et en ne prenant comme pourcentage que 5% de la roche, on arrive à ce résultat de 60 milliards de mètres cubes», a-t-il révélé dans une interview accordée à El Watan en 2017. Cette richesse hydrique représente un trésor à préserver pour les générations futures face aux défis du changement climatique et de la raréfaction de la ressource en eau.

Entre valorisation et surexploitation...

Dans ses efforts pour préserver la richesse hydrique du Djurdjura, la direction du PND, basée à Bouira, a réalisé plusieurs aménagements de sources. Une quarantaine de bassins ou abreuvoirs ainsi que des bâches à eau ont été réalisés dont la valeur moyenne est estimé à 1 million de dinars l’unité. Les infrastructures sont utilisées pour réorienter les cheptels en dehors des zones sensibles, la faune sauvage, la lutte contre les incendies, etc. Plusieurs autres sources seront aménagées dans le futur, indiquent les responsables du PND.

Par ailleurs, le captage des sources pour alimenter les ménages en eau potable est très répandu. Plusieurs villages avaient acheminé les eaux grâce à des opérations de volontariat. Une étude menée en 2016 a révélé que pas moins de 70 sources ont fait l'objet de captage. Cependant, dans certains cas, c’est tout le débit des sources qui est capté, privant ainsi la faune et la flore d’une partie de l’eau qui est la leur. «Cette surexploitation des sources a notamment entraîné des conséquences néfastes sur la biodiversité locale.

Parmi celles-ci, on peut noter les déplacements forcés de populations de singes magots qui se sont vus privés de leur accès à l'eau. De plus, les réseaux de distribution d'eau en aval connaissent également des fuites importantes, ce qui engendre des pertes et un gaspillage de cette précieuse ressource», explique Loundja Chabi, chargée du département Protection et promotion des ressources naturelles et des sites au sein du PND.

Face à ces problématiques, il devient essentiel de repenser la gestion des sources d’eau du massif du Djurdjura et d’adopter une approche plus durable et respectueuse de l’environnement. Cela passe par une meilleure régulation du captage, le développement d’infrastructures plus performantes et une sensibilisation permanente des populations à l’importance de préserver cette ressource vitale dont la rareté se fait sentir d’année en année.

Il est à souligner que certaines sources ont même tari à cause de la rareté des précipitations. «Le débit écologique n’atteint même pas 30% du débit total d’une source. Il nous faut le soutien et la collaboration de toutes les parties prenantes, les APC, l’Algérienne des eaux, les villageois... Nous visons un partage équitable de la ressource hydrique qui évitera une disparition ou le déplacement de certaines espèces», ajoute Mme Chabi.

L’Homme «source» de pollution

Les différentes études menées, un peu partout dans le monde, dans les régions karstiques, ont démontré la vulnérabilité de ces écosystèmes face aux nombreuses formes de pollution. La couche plus ou moins fine des sols qui permet l’infiltration des eaux, pourrait aussi faciliter la propagation rapide des polluants et impacter la pureté et même contaminer les eaux souterraines.

En ce qui concerne les grandes cavités, le problème est plus sérieux. A titre d’exemple, le gouffre d’Aswel à Tikjda est l’un des plus exposés à la pollution. C’est un entonnoir qui récupère d’énormes quantités d’eau. Le lieu est visité à longueur d’année par des milliers de personnes qui y pénètrent pour le découvrir de l’intérieur et se rafraîchir pendant les journées chaudes.

Cependant, des visiteurs sans scrupules laissent leurs déchets dedans exposant au danger les eaux souterraines. En 2010, le cadavre d’un individu, en pleine décomposition, a été découvert par une équipe de spéléologues amateurs dans ce même gouffre, à 35 m de profondeur. D’autres spéléologues avaient aussi retiré des animaux morts.

Les opérations de nettoyage se sont soldées aussi par la récupération d’importantes quantités de déchets de différents calibres, laissées par les milliers de visiteurs des lieux. En outre, la cavité naturelle est sujette à une autre forme de pollution préoccupante. La proximité de la RN33, une route très fréquentée, pose un véritable défi. «Les nombreux véhicules qui y passent jour et nuit, laissent malheureusement des résidus polluants à travers les tuyaux d'échappement sur la chaussée environnante», explique Karim Maache, le directeur intérimaire du PND.

Ces polluants, tels que les particules fines, les hydrocarbures et les métaux lourds, sont ensuite entraînés par les eaux de pluie qui se dirigent généralement vers le gouffre. Cela risquerait gravement de contaminer les eaux souterraines, qui seraient une ressource en eau potable, notamment dans certains villages des deux versants du Djurdjura.

Interrogé à ce propos, Malek Abdesselam, hydrogéologue, explique que la pollution des gouffres et autres cavités naturelles a un impact direct sur les eaux des sources. «Les eaux dans les conduits karstiques circulent comme les eaux de surface. Les expériences de traçage du circuit de l’eau souterraine ont révélé cette spécificité», a-t-il expliqué. Le scientifique insiste sur la prise de dispositions d’une manière continue et régulière pour protéger les sources.

Pour remédier un tant soit peu à cette situation, le PND a, dans sa feuille de route, prévu d’intervenir. Selon le directeur intérimaire, une équipe de spéléologues expérimentés viendra incessamment pour mener une opération de nettoyage minutieux du gouffre, jusqu’au fond de la cavité. De plus, un projet de réalisation d’un grillage autour des zones sensibles des gouffres est d’ores et déjà prévu, afin de mieux protéger ces écosystèmes fragiles. Cependant, cette mesure, qui a déjà été annoncée il y a plusieurs années, n’a pas été concrétisée sur le terrain, faute de moyens financiers.

L’université s’implique

L’administration du PND, a proposé des travaux de recherche à différentes universités algériennes, portant sur le thème du «Réchauffement climatique et ses conséquences sur les ressources hydriques du Djurdjura». Il s’agit, pour une première étape, de thèses de fin d’étude en master. D’autres seront réalisés par des doctorants. Et ce sont les étudiants de l’université Akli Mohand Oulhadj de Bouira qui ont relevé ce défi. «Le PND a tracé des axes de recherche prioritaires en fonction des besoin de la gestion.

Le thème a été proposé à plusieurs universités et instituts. Actuellement, les recherches sont limitées à la qualité de l’eau des sources. Des prélèvements ont été effectués à travers plusieurs points. Nous attendons les résultats incessamment», a fait savoir notre interlocutrice, qui ajoute que des analyses antérieures avaient révélé la présence de polluants dans les eaux des sources. Néanmoins, après le traitement au niveau des réservoirs alimentant les villages, l’eau a été purifiée.

Par ailleurs, le problème peut se poser de manière significative si les eaux des sources sont polluées par des métaux lourds. Contacté à ce propos, le professeur Lotfi Mouni, directeur du laboratoire de gestion et valorisation des ressources naturelles et assurances qualité, à l’université de Bouira, explique que la spectroscopie d’absorption atomique (SAA) est la méthode employée pour identifier et quantifier la présence de métaux lourds dans l’eau.

Cependant, il met en garde contre les pièges potentiels du processus d’analyse. «Les résultats peuvent être trompeurs si certains paramètres ne sont pas pris en compte. La SAA comporte deux dispositifs : la flamme d’acétylène, qui atomise l’eau, et le four.

La flamme a une sensibilité en milligrammes, alors que les métaux lourds sont présents en microgrammes. C’est dans le four que l’on peut détecter ces infimes quantités», dira-t-il. Le professeur a également souligné le danger de l’effet cumulatif de métaux lourds dans l’organisme humain, lesquels peuvent être à l’origine de diverses pathologies. 
 

 

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