Au moins 440 civils ont été tués entre juin et septembre 2021 au Soudan du Sud dans des affrontements entre factions du vice-président Riek Machar et l’armée loyale au président Salva Kiir, selon un rapport de l’ONU publié hier. Outre ces centaines de tués, 18 civils ont été blessés et 74 enlevés durant ces violences dans la région de Tambura, dans le sud-ouest du pays, affirme ce rapport de la mission onusienne au Soudan du Sud (Unmiss) et du Bureau des droits de l’homme de l’ONU.
Le rapport désigne nommément le mouvement du vice-président Riek Machar (le SPLM/A-IO) et les Forces de défense sud-soudanaises (SSPDF) loyales au président Kiir, «ainsi que leurs milices respectives comme responsables des violations et abus» commis durant ces affrontements politico-ethniques.
L’enquête de l’ONU a également recensé 64 civils victimes de violences sexuelles, «dont une fille de 13 ans qui a été victime d’un viol collectif à mort». Au moins 56 civils sont toujours portés disparus, ajoute le rapport, qui mentionne aussi «les pillages et destructions de biens, la conscription d’enfants, (...) les discours de haine (...) parmi les autres violations des droits humains découvertes par l’enquête». Ces violences ont fait fuir 80 000 personnes, estime l’ONU.
Tueries «à grande échelle»
Plus jeune pays du monde, le Soudan du Sud connaît une instabilité chronique depuis son indépendance du Soudan en 2011. Entre 2013 et 2018, il a sombré dans une sanglante guerre civile entre les ennemis jurés Riek Machar et Salva Kiir, qui a fait près de 400 000 morts et des millions de déplacés. Un accord de paix signé en 2018 a débouché sur un partage du pouvoir au sein d’un gouvernement d’union nationale investi en février 2020, avec Kiir au poste de président et Machar comme vice-président. Mais les dispositions de l’accord de paix restent largement inappliquées, en raison notamment des querelles persistantes entre les deux rivaux.
L’échec à mettre sur pied une armée et un commandement unifiés alimente notamment un climat de violence et d’impunité et l’ONU a mis en garde, en février, contre un «risque réel de retour au conflit» dans le pays.
L’enquête sur les violences autour de Tambura a établi que les deux camps «ont tué des civils à grande échelle». «Un grand nombre de victimes et de témoins interrogés ont régulièrement dépeint des hommes armés de fusils d’assaut AK-47 ainsi que de mitrailleuses (...) et d’autres armes, y compris machettes, couteaux et gourdins, se déplaçant en petits groupes, (...) avec leurs visages masqués, parlant une combinaison de langues, à savoir azande, balanda et arabe», raconte le rapport.
«Manipulation politique»
La région de Tambura, située dans l’Etat d’Equatoria-Occidental, est le théâtre de longue date d’une rivalité entre les ethnies Azande et Balanda. L’ONU dénonce une «manipulation politique des identités ethniques azande et balanda pour qualifier le conflit de violence intercommunautaire», affirmant que «la situation à Tambura a été caractérisée par de nombreux affrontements entre groupes armés organisés ou des milices, sous le commandement et le contrôle directs du SPLM/A-IO ou du SSPDF».
Les personnes à l’origine des violences «ont été identifiées, notamment des militaires de haut rang et des chefs communautaires et religieux», souligne l’ONU. La Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a demandé des «enquêtes rapides, approfondies et indépendantes» et que «les auteurs (soient) déférés devant la justice et tenus pour responsables».
Outre les civils, les travailleurs humanitaires sont régulièrement la cible d’attaques dans ce pays, parmi les plus pauvres au monde. L’Unmiss et le Programme alimentaire mondial ont condamné hier une «tentative d’embuscade» la veille contre un convoi d’aide dans l’Etat du Jonglei (centre), tandis que Médecins Sans Frontières a affirmé qu’une de ses équipes a été attaquée hier matin et ses véhicules brûlés en Equatoria-Central (sud). Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 591 «incidents» visant des humanitaires ont été recensés en 2021, plus qu’en 2020 (580) et 2019 (535).