Situation déplorable dans les cimetières de Constantine : Une sérieuse réorganisation s’impose

14/09/2023 mis à jour: 18:11
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Même dans leur repos, les morts sont rattrapés par les décharges (Photo prise au cimetière central mardi 12 septembre 2023) - Photo : El Watan

Les autorités sont appelées à engager une action immédiate pour mettre de l’ordre dans ces lieux en luttant contre des pratiques jugées inacceptables.

Quand on évoque la situation des cimetières dans la wilaya de Constantine, on se retrouve face à des lieux moins valorisés, osant dire même défavorisés. Ces endroits, ayant subi, durant ces dernières années, d’importantes dégradations, ont connu une grande anarchie dans leur gestion pour être restreints à accueillir des morts sans leur assurer le moindre respect.

Lors de notre enquête à travers certains sites dans la ville de Constantine, nous avons relevé plusieurs dépassements et des images d’une incurie indescriptible. Les témoignages recueillis auprès de citoyens, ayant vécu des situations insolites, sont accablants. Certains parlent de profanation et de destruction de tombes.

D’autres n’ont pas hésité à dénoncer ce qu’ils ont qualifié de «mafia des cimetières». «Aujourd’hui, les inhumations coûtent cher. Pour enterrer ma mère, nous étions  contraints de débourser environ 5 millions de centimes afin de trouver d’abord une place ; puis il faut payer le fossoyeur, construire la tombe le plus tôt possible. Tout cela pour éviter de figurer sur la liste d’attente. Nous savions bien que les frais de l’enterrement sont fixés par les services de la commune et qu’on doit débourser à l’avance. Malheureusement, des fossoyeurs sans scrupules profitent de la détresse des gens, qui veulent enterrer leur proche le plus tôt possible, pour amasser de l’argent illégalement», a révélé à El Watan une dame habitant le secteur de Zouaghi Slimane. Les informations que nous avons pu réunir nous ont révélé l’existence d’un réseau qui exploite ce créneau très juteux.

Les recettes de ces pratiques frauduleuses sont énormes. «Lorsque j’ai voulu construire la tombe de ma mère, un des agents du cimetière m’a montré une longue liste d’attente. Et c’est à moi de comprendre le message, si je ne veux pas que la tombe soit profanée ou autre. Effectivement, je lui ai donné une somme d’argent, et la tombe a été construite en quelques jours», a regretté la même dame.

Des images affligeantes

Ces pratiques sont malheureusement monnaie courante. Elles se font en plein jour, sans la moindre indiscrétion. Il suffit d’approcher un fossoyeur et lui demander comment faire pour trouver une place dans un cimetière plein à craquer, sans passer par la case d’attente. La réponse dépendra des capacités de paiement du concerné. De nombreuses personnes ont publié sur les réseaux sociaux comment de nouvelles tombes ont été creusées même sur les passages réservés aux visiteurs.

On parle même de fausses tombes réservées à des individus bien précis. Des images affligeantes que nous avons confirmées dans certains cimetières de la ville de Constantine. Côté entretien et aménagement, la situation n’est pas aussi agréable à voir dans la majorité des cimetières, dont la plupart sont saturés. Pourtant, une récente opération de nettoyage a été menée dans ces lieux.

Mais cela demeure insuffisant. «Il s’agit également du manque de moyens et la nature de terrains. Par exemple, le terrain dans certains cimetières est rocheux, nécessitant d’importants moyens, où le nettoyage ne peut pas se faire à la main, sachant que notre Epic souffre du manque du personnel et d’équipements. C’est la raison pour laquelle, nous sommes chargés des travaux de réhabilitation de certains projets à l’instar du passage souterrain de la place du 1erNovembre, pour gagner plus d’argent afin de s’approvisionner en matériel nécessaire», ont déclaré des travailleurs de l’Epic de gestion des pompes funèbres (EPGPF). D’autres ont affirmé que le terrain accidenté du cimetière d’El Gammas rend les interventions très difficiles. Transformé en décharge publique, le nettoyage du site ne peut se faire qu’à la main.

Des fermetures rendues obligatoires

Nous avons pu obtenir, auprès de l’Etablissement public de gestion des pompes funèbres (EPGPF) de la commune de Constantine, un histogramme des taux de saturation des cimetières de la ville, établi au mois de février 2023. Sur les 13 sites, 4 sont complètement saturés. Il s’agit du cimetière central, El Gammas et Zouaghi Slimane avec un taux de saturation de 100 %, alors que celui de Sidi M’Cid est occupé à 99%. Pourtant, les enterrements sont réguliers dans ces lieux.

On exploite même les passages réservés aux visiteurs. Dans quelques années d’autres cimetières connaitront le même sort, à l’instar de celui de Salah Bey où il ne reste que 25 % de l’espace disponible pour les enterrements. Ce pourcentage est estimé à 15 % seulement à Benchergui, 20 % à Boumerzoug et 30 % à Djebel Ouahch.

Ce n’est pas tout. Nous avons appris de sources bien au fait du dossier qu’il existerait à Constantine 26 cimetières illicites. «Comment faire pour l’enterrement? Comment vérifier si quelqu’un a été  assassiné et enterré dans ces lieux, qui appartiennent souvent à des familles ou à  des tribus ? Il n’y a aucun document délivré par la commune pour légitimer ces cimetières», a indiqué notre source. Mais quelles solutions à proposer ? Afin d’avoir la version du premier concerné, nous avons contacté Abdelmadjid Amer, directeur de l’EPGPF. Ce dernier a fait savoir que ses services ont émis des propositions d’extension pour le cimetière de Djebel Ouahch sur une superficie de 10,20 ha et pour El Gammas. Le même responsable a exprimé la nécessité de réaliser un nouveau cimetière à la cité Boudraa Salah sur une superficie d’environ 10 ha et à la cité Zaouach sur 38 ha.

«Nous avons également adressé des demandes à la commune de Constantine pour l’établissement d’arrêtés de fermeture pour les cimetières saturés. Nous continuons de gérer ces lieux dans de grandes difficultés. Nous avons reçu des réclamations de la part de plusieurs familles en raison des dommages causés aux tombes de leurs proches après une nouvelle inhumation. Il s’agit d’un cimetière public et non pas un lieu privé. Je ne peux pas empêcher un enterrement, tant que la décision de la fermeture n’a pas été signée», a déclaré M. Amer.

Et de poursuivre que depuis son installation, il a instauré de l’ordre dans les pompes funèbres mettant un terme à de nombreuses pratiques. Mais après leur fermeture, quel sort sera réservé à ces lieux, qui nécessitent un budget pour l’entretien et les salaires des travailleurs ? Seront-ils abandonnés au fil des années ? Un véritable manque d’étude à long terme a été constaté pour ces lieux qui risquent de devenir une charge supplémentaire pour la municipalité.

Projet d’un cimetière écologique

Lors de notre entretien, Abdelmadjid Amer a fait savoir que l’EPGPF envisage la réalisation d’un nouveau cimetière «écologique» loin de toute l’anarchie déjà vécue. Ce projet prévu sur le site de l’ancienne cité Sotraco, dans le secteur de Boudraâ Salah, s’étend sur une superficie de 7ha. Conçu par Yasmine Boudechiche, urbaniste et employée à l’EPGPF, le nouveau cimetière sera aménagé pour recevoir 20 000 tombes sur des espaces bien organisés.

Il y aura des tombes pour enfants, pour adultes avec cercueil et sans cercueil. Tout ce qui assure une bonne fonctionnalité à l’intérieur a été envisagé. «Ce cimetière sera réalisé de façon à assurer une gestion efficace et facile pour améliorer et développer les lieux au cours des années. Tout a été planifié dont le revêtement du sol, les axes et l’alignement des tombes qui seront tracées et numérotées ainsi que des arbres à planter. Cela facilitera l’intervention pour les enterrements», a précisé Yasmine Boudechiche.

La numérisation qui est l’une des priorités de l’État algérien a été également prévue. Un logiciel spécifique sera mis en place pour tout informatiser. Notre interlocutrice a affirmé qu’avant l’enterrement, les éléments du cimetière saisiront les services de l’EPGPF à travers ce système informatique, afin d’obtenir le numéro, l’ordre de la tombe disponible, les matériaux utilisés ainsi que les prix à payer.

Ainsi, le fossoyeur payé par la commune n’aura pas à demander de l’argent à la famille du défunt. Tout simplement les citoyens ne seront plus à la merci de certains fossoyeurs indélicats. Dans le plan présenté à El Watan, le côté ornemental a été pris en considération par l’urbaniste ayant conçu ce projet. L’espace aménagé sera divisé sur 4 zones dotées de points d’eau potable, avec la réalisation de fontaines, d’un rideau végétal avec la clôture, des panneaux d’orientation à l’intérieur du cimetière et des caméras de surveillance.

Cela, sans oublier le mobilier urbain à l’instar des sanitaires, des banquettes, des bacs à ordures à tri sélectif. «Nous avons également intégré le citoyen dans la préservation et l’entretien des lieux, en réservant un espace pour que les gens viennent planter des espèces végétales afin d’assurer une biodiversité à l’intérieur», a-t-elle déclaré. Il est remarquable de noter que l’urbaniste de l’EPGPF a planifié la réalisation de réservoirs de collecte des eaux pluviales pour l’arrosage des plantes et autres.

En attendant un cimetière à Ali Mendjeli

Pour l’éclairage public, des lampadaires fonctionnant à l’énergie solaire ont été proposés comme option dans l’attente de la réponse des autorités locales. «Le cimetière est un endroit pour accueillir les morts et assurer un minimum de confort aux vivants qui viennent se recueillir sur les tombes», a-t-elle souligné, ajoutant qu’un parking et une entrée pour handicapés ont été prévus dans le plan. Une estimation de 32 milliards de centimes a été établie pour l’aménagement de la totalité du projet. «Quatre milliards de centimes peuvent suffire pour l’aménagement de la première tranche du projet. Le reste viendra au fur et à mesure», a indiqué notre interlocutrice.

Mais quand ce projet sera-t-il lancé ? En réponse à la question d’El Watan M. Amer a déclaré qu’il s’agit d’un terrain domanial. «Les travaux seront entamés après l’achèvement des procédures administratives, dont la concession du bien à la commune et l’approbation de la délibération lors d’une session de l’APC de Constantine», a-t-il précisé. Et M. Amer de conclure : «Le cimetière est une identité et une histoire des origines aussi.

Il s’agit d’un héritage. C’est un lieu qui véhicule l’histoire à travers les tombes de nos érudits et autres.» Pour sa part, le maire de Constantine Charaf Bensari a déclaré, hier, à El Watan, que la procédure administrative avance dans la bonne voie avec la Direction des domaines pour le projet du cimetière de Sotraco. Et de poursuivre que le cimetière de Zouaghi connait une charge énorme, avec 10 à 15 enterrements par jour. «Tous les habitants d’Ali Mendjeli, qui n’ont toujours pas un cimetière en dépit du choix du terrain, viennent à Zouaghi. Donc, nous envisageons une fermeture des lieux après la création d’un cimetière à Ali Mendjeli. Ce qui est sûr, cette fermeture n’aura pas lieu dans les prochains jours», a indiqué Bensari.       

 

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