Les imposantes marches de contestation populaire dans de nombreuses villes israéliennes, réclamant un accord pour la libération des otages, ont suscité de nombreuses réactions et démasqué les intentions du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, accusé par le président américain, Joe Biden, de ne «pas faire assez» pour libérer les otages.
Les manifestations populaires et la grève générale qui ont paralysé de nombreuses municipalités de l’Etat hébreu, pour exiger un accord permettant la libération des otages, ont mis en lumière les zones d’ombre qui entouraient les intentions du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, au centre des plus vives critiques, y compris au sein de son cabinet, notamment depuis la découverte, samedi dernier, des corps des six otages israéliens tués à Ghaza.
Cette contestation populaire historique n’est en réalité que la conséquence d’une frustration croissante de l’opinion publique israélienne, face à la gestion par Netanyahu des négociations pour la libération des otages, qui a eu pour résultat la mort de six d’entre eux.
Au moins trois parmi ces derniers étaient sur la liste des otages libérables lors de la première étape de l’accord, le 27 juillet dernier, présenté par Biden et accepté par le Hamas et Israël, mais torpillé par l’insistance de Netanyahu à garder le contrôle sur le corridor de Philadelphie, qui relie Ghaza à l’Egypte, auquel s’opposent le Hamas et l’Egypte (médiateur dans les négociations), et sur celui de Netzarim, qui relie le centre de l’enclave au Nord.
Mesure à laquelle se sont opposés le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, le chef d’état-major des forces de défense israéliennes, le général Herzi Halevi, le directeur du Shin Beth, Ronen Bar, et le directeur du Mossad, David Barnea, pour lesquels, a rapporté la presse américaine, «ces axes n’étaient pas stratégiques». Pour contourner ce rejet, Netanyahu a pris la décision de la faire valider par un vote lors d’une réunion très houleuse de son cabinet jeudi dernier, et dont le contenu a été fuité par des médias hébreux et américains. Netanyahu a réussi à obtenir la voix de la majorité des membres.
Cependant, la mort des six otages, dont les corps ont été retrouvés samedi dernier, a exacerbé la colère populaire et mis la lumière sur la démarche de Netanyahu à l’égard des négociations pour la libération des otages, à travers de nombreuses réactions.
A commencer par celle du président Joe Biden, qui a évoqué «une nouvelle mouture d’un accord, devant être présentée aux parties, incessamment», en soulignant que «des progrès significatifs avaient été réalisés dans les négociations au Caire et à Doha la semaine dernière sur les listes d’otages et de prisonniers palestiniens qui doivent être libérés lors de la première phase de l’accord» et que «le texte de transition mis à jour inclurait une proposition américaine concernant le corridor de Philadelphie, en espérant que l’Egypte et le Hamas pourraient accepter».
«Netanyahu n’a pas fait assez pour la libération des otages»
Le président américain est allé plus loin lors d’une conférence de presse. A une question de savoir si Netanyahu faisait assez pour aboutir à la libération des otages, Biden a été catégorique. «Non !» a-t-il déclaré au journaliste. Une réponse qui n’a pas manqué de provoquer l’ire de certains responsables israéliens à Tel-Aviv, repris par les médias hébreux.
«Il est étonnant que le président Biden fasse pression sur le Premier ministre Netanyahu, qui a accepté la proposition américaine d’accord sur les otages dès le 31 mai, et la proposition américaine de rapprochement le 16 août, et non sur le chef du Hamas, Yahya Sinwar, qui continue de refuser avec véhémence tout accord», a déclaré «un responsable» au journal The Times Of Israel, sans le nommer, ajoutant : «L’aveu de Biden est particulièrement dangereux lorsqu’il est fait quelques jours seulement» après la découverte des corps des six otages, en imputant leur mort au mouvement Hamas.
«Le responsable» a révélé au média que «la proposition américaine du 31 mai, à laquelle le bureau de Netanyahu fait référence dans cette déclaration, était en fait un discours prononcé par Biden qui révélait les détails de ce qui était un accord sur les otages israéliens que Netanyahu avait autorisé.
Cette proposition n’incluait pas une demande d’Israël de maintenir le contrôle du corridor Philadelphie à la frontière entre Ghaza et l’Egypte afin d’empêcher le Hamas de faire passer des armes en contrebande – une demande que Netanyahu a commencé à formuler en juillet et qui a conduit à une impasse prolongée dans les négociations que les Etats-Unis et d’autres médiateurs s’efforcent depuis lors de surmonter.
Cette demande a également mis Netanyahu en désaccord avec ses propres services de sécurité, qui ont fait pression pour un compromis sur la question, arguant que l’armée israélienne peut revenir dans le couloir si nécessaire, mais que prolonger les négociations sur cette demande met en danger la vie des otages».
La colère populaire et les déclarations de Biden n’ont cependant pas fait fléchir Netanyahu. Lundi, en fin de journée, il a animé une conférence de presse pour répondre à ses détracteurs. Il a refusé de remettre en cause le contrôle par son armée du corridor Philadelphie, sous prétexte que «si l’armée israélienne se retirait, même pour la première phase de 42 jours d’un accord, dans le but d’obtenir la libération de nombreux otages vivants, elle ne pourrait jamais revenir, et ainsi le Hamas pourrait se réarmer, relancer et perpétrer de nombreux autres massacres du 7 octobre».
«Il a tout torpillé en un seul discours»
Durant toute sa conférence de presse, Netanyahu a campé sur sa décision de ne pas reculer sur sa décision en expliquant au parterre de journalistes que «les objectifs de guerre (…) passent par un seul endroit : le corridor de Philadelphie.
C’est le pipeline du Hamas pour l’oxygène et le réarmement (…). L’axe du mal a besoin de l’axe de Philadelphie (…). Israël doit le contrôler et rendre permanent le fait que nous soyons là-bas». Il s’est attaqué à l’Egypte qui, selon lui, était «incapable» de sécuriser la frontière, avant de reconnaître qu’il avait introduit «des exigences non négociables», à la proposition d’accord du 27 mai, «notamment le contrôle israélien des deux couloirs (…).
Nous devons être à plusieurs endroits, connectés à une certaine distance les uns des autres, avec la capacité de patrouiller tout au long de la route», avant de dénoncer, en faisant allusion aux Etats-Unis, «les appels lancés à Israël pour qu’il fasse des concessions» après la découverte des six otages tués, en précisant : «Je ne crois pas que le président Biden ou quiconque souhaitant sérieusement parvenir à la paix et à la libération de ces Palestiniens demanderait sérieusement à Israël de faire ces concessions (…). Nous les avons faites. C’est au Hamas de faire des concessions.»
Ces déclarations ont suscité de vives critiques. A l’intérieur du pays, à l’exception du soutien des ultranationalistes de la coalition, qui occupent des postes clés au sein du gouvernement, les ministres des Finances, Bezalel Smotrich, et de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, qui s’opposent à tout accord, une grande partie de la classe politique a exprimé sa colère contre la position de Netanyahu. Au niveau interne, le chef de l’opposition a été virulent.
Repris par le journal The Times Of Israel, Yair Lapid a qualifié les propos de Netanyahu de «manœuvres politiques sans fondement destinées à maintenir la cohésion de sa coalition», ajoutant qu'«il avait eu des années pour reprendre Philadelphie et qu’il ne s’était pas donné la peine de le faire, et qu’il n’avait envoyé l’armée israélienne pour le faire que huit mois après le début de la guerre».
Pour l’opposant politique, «la terrible vérité sur la position affichée par Netanyahu est qu’il ne conclura pas d’accord. Il ne ramènera pas nos enfants à la maison». Le Forum des familles des otages a, quant à lui, accusé le Premier ministre de «négligence criminelle».
A Washington, Netanyahu a fait grincer les dents. La chaîne américaine CNN a affirmé hier qu’une «source proche des négociations» pour la libération des otages lui a déclaré : «Ce type (en référence à Netanyahu) a tout torpillé en un seul discours.»