«Ce n’est pas parce que c’est un succès qu’un film est bon, et ce n’est pas parce qu’un film est bon, que c’est un succès.» William Goldmann
Assurément, Sid Ali force le respect dans un milieu qui a du mal à l’entretenir et conforte en nous l’idée que, dans cette atmosphère si prisée et parfois méprisée, le cinéma n’est en fin de compte qu’une évasion éphémère et beaucoup plus, s’il laisse en nous des traces marquantes pour la vie. Qui parmi nous n’a pas gardé dans un coin de sa mémoire la magie d’un film ou d’une séquence mythique. Dans le déroulé de la discussion qui nous a réunis l’autre jour chez lui, Sid Ali, cinéaste «retraité, comme il aime se définir, garde néanmoins la verve de ses vingt ans, lorsqu’il aborde le septième art qu’il a marqué par son long métrage Leila et les autres, mais pas que ! C’est un cinéaste qui a appris le métier qui a du talent, qu’il a su déceler, épanouir et affermir, malgré les difficultés. C’est dire qu’il avait cette générosité, cette invention jaillissante, ce don de liberté qui ont fait que ses films diffèrent des autres en raison de leur liberté de ton et de leur rigueur. C’est que notre homme, sentimental qu’il est, a su jouer sur les émotions du métier, il connaissait la fièvre et surtout le doute, sachant déchiffrer par ses questions les zones d’ombre qui nichent surtout dans les périmètres tabous.
UNE JEUNESSE STUDIEUSE
De sa jeunesse, embarrassée par son souci d’en savoir plus, il garde cette passion de transmettre des messages à travers le cinéma à travers lequel il voulait d’abord attirer, ensuite tirer vers le haut, cette société qui n’osait pas ouvrir toutes les portes de son émancipation. C’est dans cette certitude-là que Sid Ali ancrait sa liberté d’homme et de citoyen. Laissons le se présenter.
J’étais élève au Lycée Okba, à Bab El Oued, en 1957/58, on avait mis en place un ciné-club, animé par le prof d’histoire qui projetait des films pour adolescents, plutôt de teneur distrayante sans plus. Après la création d’un petit comité, on a franchi un autre palier en ramenant des films de meilleure qualité. Ce comité a décidé de me nommer son président. Nous avions pu avoir l’aval du proviseur, un projecteur 16mm et une salle. Maintenant, débrouillez-vous, nous a-t-il lancé. Comme il y avait un centre à Meissonnier qui louait des films à l’éducation nationale, je me suis présenté au directeur M. Farès, qui a été très coopératif, il a mis à notre disposition un catalogue de films gratuitement. C’est ainsi qu’on a projeté des films cultes, comme Jules César, Le Train sifflera trois fois... C’est moi qui animais les séances. C’était tellement fulgurant que les profs, pourtant d’habitude distants, assistaient avec nous.
VOCATION DE CINÉPHILE ET DE CINÉASTE
C’est de là qu’est née ma vocation de cinéphile et de cinéaste. Je me suis inscrit au cinéclub d’Alger, dirigé par un de nos profs, critique de cinéma, Barthelemy Amengoual, en assistant aux séances de films au cinéma Versailles (Algeria), qui était exclusivement réservé aux Européens, avant d’être autorisé aux indigènes. Je peux dire que j’ai appris le cinéma grâce au cinéclub. A cette période, les films de Fritz Lang, Pabst et David Griffith, précurseurs du cinéma mondial, tenaient le haut de l’affiche. Le bac en poche, j’ai pensé suivre des études cinématographiques. A l’Indépendance, précisément en 1965, le Centre culturel américain à Alger formait les étudiants pour les envoyer aux Etats-Unis ; il a été saccagé par les manifestants après la Guerre des six jours en 1967. En ce qui me concerne, je me suis inscrit à l’Institut national du cinéma dirigé par Ahmed Hocine, sous la houlette du directeur général Mahieddine Moussaoui. Deux ans d’études avec des profs polonais, allemands et algériens (MM. Kerzabi et Damerdji). Une formation complémentaire à l’étranger a été proposée aux étudiants. La plupart ont opté soit pour la France, soit pour l’Allemagne ; quatre ont refusé de partir pour travailler tout de suite, ici. Il s’agit de mon épouse Meziane Keltoum (Allah yerhemha), de Laradji, de Ayzidi Mohamed Nadir et moi-même. C’est donc au CNC que j’ai entamé ma carrière professionnelle en tant que stagiaire. J’ai exercé pendant deux ans au ministère de l’Agriculture dirigé par Tayebi Larbi. On s’occupait de la filmothèque. Pendant cette période, j’ai réalisé en 1969 mon premier film couleur en 35mm La cueillette des oranges destiné aux travailleurs agricoles. Ce travail s’est fait en parallèle des multiples reportages destinés aux actualités algériennes. Puis vint mon long métrage Sueurs noires. Même s’il dit essuyer les colères de ses supérieurs hiérarchiques, mus, on ne sait par quel sentiment de méchanceté, alors que lui, le jeune homme plein de projets et d’ambition, s’attendait à ce qu’on conforte son expérience, qu’on affine son talent, le vrai bonheur quoi, qui a failli se transformer en ultime amertume. Le cinéma enfante aussi des monstres sacrés qui, au lieu de se fendre en compliments et porter aux nues des valeurs naissantes, les vouent au contraire aux gémonies. Que voulez-vous le pouvoir fascine et grise les esprits. Il est ainsi fait que le plus beau compliment qu’il vous décerne parfois consiste à vous ignorer. Sid Ali en garde des images indélébiles.
IMAGES INDÉLÉBILES
Avant, on m’avait demandé d’être l’assistant de Lakhdar Hamina dans Le Vent des Aurès, où une scène sur la récolte de blé a été répétée une vingtaine de fois à ma grande stupeur. Quand j’ai demandé des explications à Hamina, en dénonçant le gaspillage, il a mal pris ma réaction et l’a fait savoir par un comportement condescendant qui ne m’a pas plu. C’était ma première mauvaise expérience, la deuxième, toujours en tant qu’assistant avec Bouguermouh Abderrahmane, dans son film Comme une âme, dont le tournage s’est déroulé entre les Ouadhias et Ait Henni. Là, j’ai contesté l’absence d’authenticité et de vérité, car les dialogues étaient en français au lieu du kabyle ou de l’arabe. Comme je lui faisais cette remarque, le réalisateur m’a choqué par cette réponse cinglante : «Moi je veux que mon film soit diffusé en France.» Toutes ces remarques ont eu des échos en haut lieu qui ont fait intervenir le président Boumediène qui nous a réunis autour des deux directeurs Rachedi et Hamina, toujours persuadés qu’ils ne pouvaient investir sur des jeunes sans expérience. Ce n’était pas l’avis du président de la République qui leur a intimé l’ordre de nous ouvrir les portes du travail. Ce qui se réalisa avec l’émergence de jeunes talents qui piaffaient d’impatience de faire marcher enfin leurs caméras. C’est ainsi que la scène s’est enrichie de nouveaux noms, comme Bouamari, Laskri, Bendeddouche, Kerzabi et moi-même. Comme son film fétiche Leila et les autres, l’a mis au-devant de la scène nous avons demandé à Sid Ali pourquoi un tel succès. Est-ce la présence de la gent féminine ou la thématique du film, qui en sont les causes ? Sid Ali rectifie. Les femmes ont déjà été au cœur des films de Lalam Ahmed (Elles) et de Bouamari (Le Charbonnier). Moi, j’ai voulu aborder la condition féminine des années 1975, dans les milieux ouvriers et traditionnels. C’est pour ça que j’ai choisi le personnage de Meriem, à qui on veut imposer un mariage qu’elle refuse parce qu’elle veut poursuivre ses études. Le deuxième personnage est incarné par Leila, ouvrière dans une usine qui fabrique des postes de télévision qui va mener une grève générale pour protester contre la hogra du contremaître. En gros, deux aspects de la femme, celle qui travaille et qui est sujette à des tabous et à des discriminations et de l’autre la jeune fille moderne qui veut s’émanciper et qui refuse le diktat de la famille traditionnelle. Le cinéma, reflet de la société ? Cela dépend du regard qui est porté par le cinéaste sur son environnement, sur la société d’une manière générale. Si le cinéaste est engagé et veut dénoncer les tares de la société et qui s’inscrit dans une démarche professionnelle, moderne, projetée vers l’avenir, oui, le cinéma peut être considéré comme un miroir de la société. Mais si le cinéaste considère que le cinéma est au contraire consacré uniquement à la distraction du public, il va tomber dans le travers du film sans contenu. Beaucoup de films sur la Lutte de libération, comme le pensent certains ? Au contraire, moi, je considère qu’on n’a pas fait assez de films sur la Révolution. Par ailleurs, je dois dire qu’au lendemain de l’Indépendance, la priorité de l’Etat, sur le plan culturel, favorisait le thème de la guerre. C’était le seul sujet pouvant bénéficier d’un financement des pouvoirs publics, et les cinéastes étaient obligés bon gré, mal gré de faire des films sur la guerre avec plus ou moins de bonheur ou de succès. Ce qu’on peut regretter, c’est que ces films présentent dans la plupart des cas des héros et non des êtres humains, avec leurs émotions, leurs forces et leurs faiblesses. Aujourd’hui, on revient à la priorité de la production de films sur la guerre en présentant des héros. C’est ainsi que certains cinéastes vont faire des portraits sur Zighoud, Ben M’hidi, Ben Boulaïd, oubliant par-là même que la Lutte de libération a été menée par le peuple algérien, que l’indépendance a été acquise pas seulement dans les maquis, mais aussi grâce aux manifestations populaires, aux massacres et aux sacrifices consentis par tout un peuple. Si on fait l’historique du cinéma algérien, on ne peut nier que des efforts ont été consentis par les pouvoirs publics avec la création du Centre national du cinéma qui a crée l’Institut du cinéma pour la formation des cinéastes, des entreprises chargées de la production, de la distribution et de l’exploitation. Le revers de la médaille, c’est que ces efforts n’ont pas été suivis. C’est pourquoi, la chute a été brutale depuis 1990, où les salles n’existent plus, les entreprises du cinéma, dissoutes et le financement aux abonnés absents. A l’indépendance, il y avait 400 salles gérées par le CNC. Ces salles généraient le financement de la production des films et la distribution des films achetés de l’étranger. L’argent récolté servait aussi au paiement des travailleurs. Enfin, même si c’est un peu utopique, il faut garder espoir, vue la nouvelle génération de cinéastes saura sauvegarde le cinéma algérien.
Parcours
Sid-Ali Mazif est né le 16 octobre 1943 à Alger. Après avoir débuté comme assistant réalisateur sur le tournage de 20 ans à Alger de Marc Sator, il étudie à l’Institut national du cinéma à Ben Aknoun. Il réalise ses premiers films en 1965 /66 à l’Oncic, tourne des documentaires La Cueillette des oranges, Le Paludisme en Algérie, collabore à L’Enfer à dix ans, 1968 et Histoires de la Révolution 1970. Son premier long métrage Sueur noire relate la répression d’une grève de mineurs, durant le colonialisme. Les Nomades, 1975, aborde la question de la sédentarisation, alors que Leila et les autres, 1977 est un acte de militance pour l’amélioration de la condition féminine, ainsi que de longs métrages fiction Houria, 1988 et Le Patio, 2015. Il a réalisé bon nombre de documentaires et a été producteur exécutif de 25 longs métrages. SG de l’Union des cinéastes algériens 1972. SG du syndicat de l’Oncic. Président de la commission de lecture de l’ENTV. Réalisateur et producteur exécutif de 200 émissions enfantines.