Sid Ahmed Hamdad a plus d’une corde à son arc. Il est à la fois auteur, plasticien et scénographe. Ses recherches concernent principalement l’histoire et le patrimoine ancestral. Il est l’auteur de nombreux ouvrages. Dans cet entretien, il revient sur ces deux dernières publications.
- Après la publication en 2020 de Amazigh, le peuple d’Afrique du Nord 3500 av. JC au VIIe siècle ap. J.C, vous venez de récidiver dans l’écriture en publiant aux éditions El Amel deux ouvrages L’Homme de la préhistoire à l’Antiquité et Djebel Robba, près de Sidi Bel Abbès ? Pourquoi ces deux publications en même temps sur deux thèmes différents ?
Après avoir écrit la longue tranche d’histoire du premier livre Amazigh, le peuple d’Afrique du Nord, 3500 avant Jésus-Christ au VIIe siècle après Jésus-Christ, j’ai estimé qu’il est essentiel que j’approfondisse ma recherche pour décrire le parcours de l’homme africain, depuis son apparition sur terre jusqu’à l’avènement, au 4e millénaire av J.-C., des Libyens de l’antiquité, dont j’ai déjà illustré les péripéties en une fresque de 4000 ans.
Aussitôt, je me suis engagé à faire une recherche exhaustive et référenciée élargie dans le temps, bien au-delà du Néolithique, en m’intéressant au début de l’humanité, depuis les premiers Hominidés, dont l’aventure débuta en Afrique avec Australopithèque.
Les continents furent ensuite envahis par Homo erectus (Homme droit), toujours à partir de l’Afrique, dont un spécimen, l’homme de Tighenif (800 000 à 700 000 ans), fut identifié en Algérie. L’apparition de l’Homo sapien archaïque précéda l’homme de Rabat (125 000 ans) qui sera un prélude à l’Homo sapiensapien (l’Homme moderne), dont les linguistes révélèrent le chemin parcouru à travers le continent africain, de l’Est à l’Ouest.
En fait, c’est une succession de données paléoanthropologiques basées sur les restes d’humains, dont des fresques rupestres, qui édifièrent l’essentiel de L’Homme de la préhistoire à l’Antiquité. Quand à mon intérêt pour Djebel Robba (W. de Sidi Bel Abbès), il date de très longtemps (1999), depuis que j’ai découvert, cité dans le livre de Ch. A. Julien, le nom de Robba, une religieuse donatiste du Ve siècle.
Après m’être résigné à la conclusion que cette petite montagne n’a aucun lien archéologique avec la religieuse, ma recherche se porta alors sur ses fameuses pierres, dont l’étude comparative avec des sites funéraires de la préhistoire et de l’antiquité connus en Algérie, en Tunisie et en France, dura plusieurs années. Ainsi, la gestation de l’ouvrage Djebel Robba – Mythe et Réalité commença bien avant le projet d’écriture de L’Homme de la Préhistoire à l’Antiquité, tant est si bien que les deux ouvrages furent bouclés et édités en même temps.
- Vous affirmez que votre premier ouvrage Djebel Robba, Mythe et Réalité n’a pas la prétention de faire découvrir le site archéologique en lui-même dans la wilaya de Sidi Bel Abbès, mais d’apporter une réponse à l’énigme de ses pierres...
Le terme «prétention» ne doit pas être saisi dans le sens où je ne prétends pas chercher à faire découvrir le site archéologique de Djebel Robba. Autrement dit, pourquoi aurai-je fait cette recherche ?
«Il» doit être saisi, plutôt, dans mon approche perçue dans l’humilité, parce que je ne prétends aucunement remplacer l’archéologue ou l’anthropologue. Je laisse le soin à ces deux spécialistes de décider du destin de cette petite montagne de Djebel Robba.
Par contre, ma «prétention» s’inscrit dans cette volonté de poser un regard insolite, étrange, mythique et investigateur sur le passé de nos anciens, et l’environnement où ils ont vécu l’essentiel.
Un passé oublié qui se perd dans la nuit des temps, et dont j’ai prétendu la restauration en le confondant avec l’axe principal de ma recherche. Elle est aussi l’émanation d’une volonté de faire découvrir ce que Djebel Robba a d’essentiel à préserver pour notre patrimoine archéologique millénaire.
Tenter d’apporter une réponse à l’énigme de ses pierres, d’élucider le mystère de leur présence, ici, sur cette petite montagne, est une prétention que j’assume tant elle est l’expression de cet élan mémoriel, sincère, que je développe pour sortir ce site millénaire de l’anonymat. L’autre objectif de ma recherche, c’est de restaurer notre mémoire confondue avec ces pierres énigmatiques, qui portent encore l’empreinte indélébile des anciennes pratiques et cultures funéraires durant la longue période antéislamique.
- Au-delà de votre souci de mettre en exergue la nécropole millénaire de Djebel Robba, vous préconisez, également, la prévention et la restauration de ce patrimoine par des experts spécialisés dans la pierre...
Mes premières hypothèses archéologiques sur Djebel Robba, je dus les confirmer en examinant les plans cadastraux des terres ayant appartenu à ma famille.
Ces derniers prouvent, sans équivoque aucune, que Djebel Robba abrite une nécropole millénaire, dont la dimension archéologique, anthropologique et funéraire est soulignée dans l’ouvrage, d’une part par sa description générale, avec les éléments lithiques qui coiffent ses flancs et son sommet, et d’autre part, par le récit de la légende.
Ainsi, l’intérêt qui doit être porté à Djebel Robba de Sfisef s’inscrit dans la préservation de notre patrimoine archéologique, notamment dans l’Ouest algérien, si pauvre en vestiges millénaires déclarés.
Donc logiquement oui ! Le site, ou ce qui en reste hélas, doit être préservé et mis en valeur à l’image de la Nécropole du «Ranc de Figère» de Labeaume en Ardèche (France). Pourquoi pas, pour peu que les décideurs, qui clament haut et fort de renouer avec notre histoire et notre passé archéologique, dont les vestiges confirment que nous existions depuis la nuit des temps, s’impliquent.
C’est un autre défi pour le ministère de la Culture, qui est interpellé de joindre l’action aux discours, «rapidement», avant que ce site ne soit investi par les curieux de tout bord, après la publication de Djebel Robba – Mythe et réalité, pour retrouver ce qui est décrit dans cet ouvrage et mettre en danger les éléments lithiques si anciens et si fragiles.
- Dans votre second ouvrage intitulé L’Homme de la Préhistoire à l’Antiquité, vous récusez la théorie selon laquelle l’homo-sapiens est issu d’une seule population venue d’Afrique du Nord ?
Après son premier stade de l’Australopithèque, avec la célèbre «Lucy», et comme déjà mentionné plus haut, l’évolution anthropologique de l’homme passa à l’Homo habilis (l’Homme habile), puis à l’Homo erectus (l’Homme droit), et enfin à l’Homo sapiens.
Seul le continent africain offre une bonne succession de fossiles qui nous montrent les bipèdes changer leurs caractéristiques anthropologiques «sur place», pour atteindre, il y a une centaine de milliers d’années, la forme moderne, celle des Homo sapien sapiens.
Leurs plus anciens fossiles ont été découverts en Afrique dans la vallée d’Omo, et au Proche-Orient à Quafzeh. Leur datation de plus de 100 000 ans est corroborée par d’autres restes d’hommes découverts sur le terrain africain, tels ceux découverts entre 1965 et 1980 en Afrique de l’Est, du Sud et en Afrique orientale, et qui répondent à cet âge d’environ 100 000 ans. Ils appartiennent à la catégorie des Homo sapien sapiens.
D’autres fossiles, datant d’environ 95 000 ans, furent mis au jour au Maghreb, avec des outillages identiques à ceux du Congo et de la région forestière du Sangoen. Ce qui nous ramène à considérer le continent africain, dans sa globalité, comme étant le berceau des Homo sapiens.
Comme leurs prédécesseurs de l’espèce Homo, mais enrichis de leurs nouveaux gènes, Les Homo sapiens sapiens, ou Hommes modernes, vécurent la dernière glaciation du Quaternaire (110 000 ans), et purent essaimer à partir de l’Afrique sur toute la terre, au moment où les continents étaient reliés par les passerelles de glace.
Sur le continent, des populations, autant leucodermes que mélanodermes, purent, depuis la Corne de l’Afrique, atteindre la Grande forêt du centre de l’Afrique et la Méditerranée, puis, attirées par les conditions climatiques du Sahara central, caractérisées par la période dite du «Grand Humide» (11e millénaire BP), ils s’y fixèrent dans ses grands espaces et nous gratifièrent des gravures rupestres.
- Vous êtes ingénieur d’Etat en hydrocarbure, artiste peintre et scénographe à la fois, pouvez-vous nous expliquer votre intérêt pour l’histoire, l’antiquité et l’archéologie ?
Je porte cette passion pour l’histoire depuis bien avant que j’entame ma carrière professionnelle, début les années 80. Cet engouement m’entraîna, très tôt, vers l’achat d’un grand nombre de livres qui traitent de l’histoire et de l’archéologie.
Quarante années de lecture avaient suscité en moi le besoin d’écrire. Aussi, j’ai commencé d’abord par des articles de presse que je publiais, en même temps que je donnais des conférences publiques sur des sujets historiques et sur l’art, quand je suis sollicité. Dès ma retraite, j’ai décidé de partager, par acquis de conscience, avec mes concitoyens, sous forme de contributions livresques, ce que j’ai appris au cours de mes lectures durant des décennies.
- Écrire l’archéologie, c’est écrire contre l’oubli ?
Djebel Robba a perdu cette relation qu’il avait avec le sacré, celle qui le liait à son passé. Contraint à sa banalisation, ses fonctions funéraires passées furent effacées de la mémoire et sa légende confina son archéologie dans une zone d’ombre.
Les colons et les archéologues français, relayés par les chasseurs de trésors, furent- ils les fossoyeurs de cette structure funéraire ne servant pas les intérêts des premiers, mais autant accablée par l’ignorance des seconds.
Aussi, les uns et les autres, devaient – ils cherchaient délibérément à détruire, ou laisser détruire le vestige funéraire, et emporter ses symboles. Le puissant lobby des colons a ignoré cette petite montagne pour cacher les signes de la présence millénaire de l’autochtone sur cette terre, où il pense s’imposer comme propriétaire pour les siècles à venir.
Or, l’authentification du site archéologique de Djebel Robba, c’est rappeler son histoire millénaire et sa valeur spirituelle symbolique, aussi ancienne soit-elle. Ils avaient compris que tôt ou tard, l’enjeu de l’histoire pourrait être, avec le temps, une arme à double tranchant. Une prise en charge des fouilles tendraient à exposer aux jeunes générations un long moment de notre passé millénaire ; elle serait un acte émanant de ce respect sacré du devoir de mémoire.
D’autant plus que nous savons que les sites archéologiques sont un trésor pour les communes, ils peuvent devenir une source d’attraction touristique, puis de développement et de création de nouvelles activités pour de nombreux jeunes, le cas de la Nécropole du «Ranc de Figèr » (France), citée plus haut, est un exemple.
Les quelques actions engagées ici et là sont éphémères, et ne s’attachent pas à l’essentiel. Elles correspondent à une formalité qui tendrait à perpétuer, sans le savoir, le silence imposé jadis, qu’à une réelle volonté de faire sortir nos sites de l’anonymat.
Une décision doit être prise avant qu’ils ne soient submergés par des constructions incontrôlées, alors que ce phénomène tentaculaire, anarchique, prend des proportions sans précédent, rongeant inexorablement la beauté de notre pays. Les rares nécropoles, de la préhistoire à l’antiquité, préservées par le miracle de la nature, sont les derniers témoins archéologiques qui nous distinguent des autres nations du monde, d’où l’urgence d’une action pour sauver ce qui peut être encore sauvé.
Les Algériens doivent cesser d’être otages de tabous confessionnels du passé, et s’intéresser aux bribes archéologiques laissées par leurs ancêtres. Les générations futures risquent de ne pas avoir la possibilité d’observer ce qui en reste, encore moins de les localiser.
A ceux qui doutent de l’utilité d’un tel sacrifice, nous répondrons que les carences chroniques de notre société, envisagées dans leurs aspects culturel, éducatif et civique, interpellent ces intellectuels à transmettre la mémoire, et les tenants des pouvoirs sur leur devoir de la préserver.
Car l’archéologie joue le rôle de catalyseur pour le renforcement de notre identité, sur laquelle se sont greffées tant de civilisations, que nous devons assumer avec responsabilité, parce que nous en sommes le produit. Ainsi font les grandes nations, qui composent dans l’objectivité et la clarté avec leurs patrimoines souvent multiples.
- Avez-vous d’autres projets d’écriture en gestation ?
Mon prochain livre intitulé Sur les traces de la religieuse Robba est en voie d’édition. Aussi, un livre sur la peinture et le théâtre en Algérie s’impose comme objectif immédiat. Mes expériences en tant que peintre depuis plus de 60 années, et mon intérêt pour le théâtre qui s’est traduit par mes expériences scénographiques, ainsi que ma documentation, sauront m’en donner la matière.
En outre, l’histoire des royaumes maghrébins d’Ibn Khaldoun et la période turque m’intéressent énormément au point de faire partie autant de mes projets. L’épopée de l’Emir Abdelkader et sa tentative de création d’un Etat est aussi pour moi d’un grand intérêt.