Alors que l’État algérien place le secteur du Bâtiment, Travaux publics et Hydraulique (BTPH) au centre de ses priorités, celui-ci demeure une source de dangers majeurs pour les travailleurs, confrontant les autorités à une véritable tragédie. Ce constat alarmant a été mis en lumière lors d’une journée de sensibilisation organisée, hier, à l’agence CNAS de la wilaya de Constantine.
Djamel-Eddine Matari, directeur central de la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles à la CNAS, a exprimé sa vive préoccupation face à la gravité de la situation dans le secteur du BTPH, qu’il qualifie de critique, voire dramatique, en raison de la négligence et du non-respect des réglementations en vigueur.
Sans ménager ses mots, il a dénoncé le «massacre» qui a lieu sur les chantiers, allant jusqu’à traiter les employeurs de criminels exposant les salariés à des conditions de travail insalubres et mortelles. Tirant la sonnette d’alarme, il a illustré ses propos par des photographies choquantes, témoignant des acrobaties dangereuses exécutées par les travailleurs sur les chantiers.
D’autres clichés mettaient en évidence l’impact des produits chimiques utilisés dans le secteur du BTPH, qui se distingue par plusieurs risques professionnels auxquels les travailleurs sont quotidiennement exposés. À cet égard, M. Matari a révélé que «22% des accidents de travail à l’échelle nationale surviennent dans le BTPH, dont 37% sont mortels.»
Mme Moufida Birouk, responsable de la cellule de prévention à la CNAS de Constantine, a analysé la gravité de la situation à travers les chiffres d’un bilan couvrant près de quatre années. De 2021 au premier semestre de 2024, les statistiques montrent une évolution préoccupante du nombre d’accidents de travail dans le BTPH. En 2021, par exemple, 2 133 cas ont été enregistrés, dont 402 dans le BTPH, représentant 21,03 % du total.
En 2022, bien que le nombre global ait légèrement diminué à 2 123, le BTPH a enregistré 314 accidents, soit 16,38 %. En 2023, une hausse est observée avec 2 286 accidents, dont 373 dans le BTPH (18,26 %). Malgré la pandémie de la Covid, ces chiffres demeurent inquiétants. Au premier semestre 2024, un total de 783 accidents a été recensé, dont 191 dans le BTPH, soit 28,21 %. Au total, ces dernières années ont vu 7 325 accidents de travail, dont 1 280 dans le BTPH, représentant un taux de 19,55 %.
Adapter la prévention à la nature des chantiers
Le taux de mortalité est tout aussi préoccupant, avec 25 accidents mortels en 2023, dont 13 dans le BTPH (65%). Au premier semestre 2024, on dénombre déjà 11 accidents mortels, dont 5 dans le BTPH (55,55%). Depuis 2021, 72 accidents mortels ont été recensés, dont 33 dans le BTPH, soit un taux de 56,89%. Ces chiffres imposent une nécessité impérieuse de renforcer la prévention et la formation en matière de sécurité dans le BTPH, un secteur où le nombre d’accidents graves et mortels reste préoccupant.
Selon la loi 88-07 du 26 janvier 1988, l’employeur a l’obligation légale d’assurer l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail à ses employés. Cependant, en raison de l’absence d’une politique de prévention chez certains employeurs et du non-respect des règles de sécurité, l’accident de travail devient inéluctable. Mme Birouk souligne d’ailleurs que «le risque zéro n’existe pas». Mettre en place une politique de prévention efficace dans le BTPH s’avère complexe en raison de la diversité des intervenants dans le processus de construction : maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises de toutes tailles et de divers secteurs.
C’est pourquoi les mesures de prévention doivent être intégrées dès la conception et la planification des projets, a-t-elle rappelé. Un exemple frappant est l’accident mortel survenu le 16 septembre dernier lors de la rénovation d’un pont à Oued Akkar, dans la commune de Hamma Bouziane.
Deux travailleurs ont tragiquement perdu la vie à la suite de l’effondrement du sol, causé par une absence de protection collective, un manque de supervision adéquate et une analyse des risques insuffisante, comme prévu par le décret exécutif n° 427 du 7 décembre 2002. En outre, la préparation à une situation d’urgence faisait également défaut, aggravant les conséquences de cet incident.
En marge de la rencontre, M. Matari a également insisté sur le fait que les équipements de protection, bien que peu coûteux, sont souvent négligés. Il a exhorté les employeurs à investir dans ces dispositifs plutôt que de payer des impôts, arguant que cela renforcerait le sentiment d’appartenance des employés à l’entreprise. Plus grave encore, il a souligné l’absence de visites médicales obligatoires pour les travailleurs, tant lors de l’embauche que périodiquement. M. Matari a ainsi appelé les entreprises à s’associer au secteur public, où les consultations médicales coûtent peu.
Il a affirmé qu’une consultation chez un spécialiste coûte 100 DA et 50 DA chez un généraliste pour un seul employé. Enfin, il a dénoncé «le déséquilibre entre la réglementation, qu’il considère comme riche et généreuse, et son application sur le terrain.» Il a également mis en garde contre la gravité de la non-déclaration de l’ouverture des chantiers, en référence au décret exécutif n° 09-05 du 8 janvier 2005.
Ainsi, les failles de sécurité croissant dans le secteur du BTPH exigent des mesures rigoureuses et une volonté politique forte pour garantir la protection des travailleurs et réduire le nombre de drames sur les chantiers.