Selon Human Rights Watch : Des «abus graves» sont commis par des forces sécuritaires contre les migrants africains

20/07/2023 mis à jour: 19:39
AFP
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Victimes d’agressions et d’actes de vengeance, des migrants subsahariens sont pris en étau entre la Libye et la Tunisie

Les forces de sécurité tunisiennes ont commis «de graves abus» ces derniers mois contre les migrants africains noirs, qui devraient inciter l’Union européenne (UE) à «cesser son soutien» à ce pays dans la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est ce qu’a indiqué hier l’ONG Human Rights Watch dans un rapport, relayé par l’AFP.
 

HRW précise avoir recueilli plus de 20 témoignages de «victimes de violations des droits humains aux mains des autorités tunisiennes», selon un communiqué qui dénonce les agissements «de la police, des militaires, des gardes-côtes». «Ces abus documentent des passages à tabac, des arrestations et détentions arbitraires, des expulsions collectives, des actions dangereuses en mer, des évictions forcées, le vol d’argent et effets personnels», selon HRW. Parmi les personnes interviewées, 9 sont reparties dans leurs pays à bord de vols de rapatriement en mars et 8 sont encore en Tunisie. Sept autres font partie d’un groupe de «1200 Africains noirs expulsés et transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec Libye et Algérie début juillet», affirme HRW.

 A la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrants africains ont été chassés de la ville de Sfax (centre-est), principal point de départ pour l’immigration clandestine vers l’Europe, avant d’être transférés vers des zones près de la Libye, à l’est, et l’Algérie, à l’ouest. Les témoignages recueillis par l’ONG montrent qu’ils ont été laissés sans eau, sans nourriture et sans abris en plein désert. Selon le rapport, «la majorité des abus documentés ont eu lieu après le discours, le 21 février, du président Kaïs Saïed», dans lequel il pourfendait l’immigration clandestine, dénonçant l’arrivée de «hordes de migrants» venus, selon lui, «changer la composition démographique» de la Tunisie.

 Les personnes interrogées assurent avoir subi des violences dans des postes de police, où certains «ont subi des électrochocs». D’autres ont dénoncé des «arrestations et détentions arbitraires basées sur leur couleur de peau», sans contrôle préalable de leurs papiers. 

Plusieurs se plaignent «d’abus lors d’opérations d’interception et de sauvetage près de Sfax», disant avoir été «frappés, volés, laissés à la dérive sans moteur et insultés», selon HRW. L’ONG, qui a écrit au gouvernement tunisien fin juin sans recevoir de réponse, exhorte l’UE à stopper ses aides à la lutte contre l’immigration clandestine en Tunisie, «jusqu’à une évaluation de leur impact pour les droits humains». 

«En finançant les forces de sécurité qui commettent des abus, l’Union européenne partage (avec elles) la responsabilité pour les souffrances infligées aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile», a souligné Lauren Seibert, une chercheuse de HRW, citée dans le rapport. L’UE et la Tunisie ont conclu «un partenariat stratégique» dimanche, qui prévoit l’octroi par Bruxelles de 105 millions d’euros à Tunis sous forme d’équipements et pour financer un «retour volontaire» de 6000 Subsahariens.
 

«Discours de haine raciste»

Mardi, des experts de l’ONU ont appelé la Tunisie à cesser les expulsions collectives de migrants subsahariens après des informations faisant état de dizaines d’entre eux récemment abandonnés par la police tunisienne dans le désert. Ces experts indépendants ont également exhorté le gouvernement tunisien à prendre des mesures immédiates «pour mettre fin aux discours de haine raciste dans le pays» et pour protéger les migrants subsahariens de la violence, pour enquêter sur les actes de violence signalés et garantir l’accès à la justice pour les victimes. 
 

Le communiqué est signé par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine et trois rapporteurs spéciaux, dont celui sur les droits de l’homme des migrants, Felipe Gonzalez Morales. «Nous appelons les autorités à cesser immédiatement toute nouvelle expulsion et à poursuivre et élargir l’accès humanitaire à une zone dangereuse à la frontière tuniso-libyenne où de nombreuses personnes, y compris des femmes enceintes et des enfants, ont déjà été expulsées», ont-ils déclaré. 

Le principe de non-refoulement, inscrit dans le droit international relatif aux droits de l’homme, s’applique à toutes les formes d’expulsion, indépendamment de la nationalité ou du statut migratoire, ont-ils observé. Selon l’antenne libyenne de l’Organisation arabe des droits humains, environ 360 d’entre eux ont été secourus ces derniers jours après avoir été abandonnés par la police tunisienne, selon les gardes-frontières libyens. «Nous sommes également très préoccupés par les informations faisant état de discours de haine raciste dans le pays, et de violences à l’encontre de migrants à Sfax, y compris de la part d’agents des forces de l’ordre», ont souligné les experts de l’ONU. 

Ils sont en contact avec les autorités et indiquent avoir déjà contacté le gouvernement tunisien en mars. Ils ont alors exprimé leur inquiétude face aux informations faisant état, entre autres, d’expulsions collectives de migrants subsahariens et de violences et de discours de haine raciste, y compris de la part des principaux dirigeants du pays.
 

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