Samy Akroun. Pneumo-phtisiologue et allergologue : «La génétique et l'environnement sont les facteurs principaux qui interviennent dans la genèse des allergies»

15/07/2024 mis à jour: 03:23
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Photo : D. R.
  • Tout d’abord, c’est quoi l’allergie ?

L’allergie est une réponse immunitaire exagérée, disproportionnée dirigée contre un «allergène». Ce dernier peut s’agir de nombreuses choses, comme des acariens, des pollens, des substances en tout genre, des aliments, des médicaments...

Dans le langage commun, quand on parle «d’allergie», le plus souvent, on veut dire «l’atopie» qui est une forme d'allergie (hypersensibilité de type 1). L'atopie englobe notamment et entre autres la rhinite allergique (rhume des foins)  (nez et gorge), la conjonctivite (yeux), l’asthme (poumons), la dermatite (peau)... Et l’allergie aux pollens peut engendrer la plupart de ces troubles.

  • Comment devient-on allergique au pollen ?

Deux facteurs principaux interviennent dans la genèse des allergies, dont l’allergie aux pollens. Il y a d’abord la génétique mais aussi l’environnement. Il faut savoir que les gènes jouent un rôle très important. D’ailleurs, dans la majorité des cas, on retrouve toujours une autre personne allergique dans les ascendants d’un allergique.

A titre d’exemple, un enfant ayant un parent allergique a 25 à 30% de chance d’en développer lui aussi. Ce risque peut passer à 70 voire 80% si les deux parents sont allergiques. En ce qui concerne l’environnement, celui-ci joue également un rôle prépondérant dans la genèse de l’allergie.

Le contact répété avec certains agents infectieux dans l’enfance (virus, bactéries...) pourrait jouer un rôle préventif, d’où le fait que l’excès de propreté et d’hygiène de nos sociétés modernes et l’utilisation précoce et fréquente d’antibiotiques seraient impliqués dans l’augmentation de la fréquence de l’allergie. Attention, je ne dis pas qu’il faut arrêter de traiter des infections potentiellement sévères, mais l’expression «les antibiotiques, c’est pas automatique» prend tout son sens ici. En effet, ces pistes nous poussent à recommander les antibiotiques seulement lorsque c’est nécessaire, soit rarement chez les enfants.

En d’autres termes, la réduction de la mortalité par maladies infectieuses, notamment dans la toute petite enfance (mortalité néonatale), a engendré une augmentation des maladies allergiques, ce qui n’est finalement que le revers de la médaille. Notons également que l’exposition chronique à des substances allergéniques telles que les pollens, l’alimentation (bourrée d’additifs) et la pollution environnementale peuvent aussi participer à la genèse de l’allergie. Il y a bien évidemment d’autres facteurs environnementaux qui ne sont que des déclencheurs, à l’exemple de la poussière, l’humidité ou encore les moisissures.

  • Selon l’OMS, 50% de la population sera allergique d’ici 2050. Comment l’expliquez-vous ?

Plus le mode de vie s’occidentalise, plus on est obsédés par la propreté. Moins on expose les nouveau-nés et les nourrissons à toute sorte d’allergènes et d’antigènes (notamment les microbes), moins leur système immunitaire «s’éduque», et plus il prend des choses anodines (pollens par exemple) pour des menaces, et donc il réagit contre ces «menaces» de façon non approprié, en développant des allergies.

  • Avez- vous noté une hausse des allergies au pollen ?

Selon mes constations personnelles, je dirai  oui ! J’ai constaté qu’il y a beaucoup plus d’allergies, notamment depuis la pandémie de Covid (consommation d’antibiotiques en excès, isolement, manie maladive de la propreté...). Certaines allergies légères se sont même aggravées chez de nombreux patients (une simple rhinite devient un asthme par exemple).

  • Est-il possible de développer des allergies même tardivement ?

Tout à fait ! On peut développer une allergie à tout âge. C’est assez imprévisible ! Autrement dit, certaines situations favorisent l’apparition de symptômes d’allergies. Je pense notamment à la grossesse ou à la ménopause (notamment quand la femme est en surpoids), à une exposition massive (moisissures, expositions professionnelles...), aux conditions climatiques (c’est ce qu’on voit ces jours-ci avec les vents de sable !).

  • Comment savoir si l’on est allergique au pollen ?

Les symptômes les plus fréquents sont les éternuements, un nez qui gratte, qui coule, qui se bouche, les yeux rouges, qui grattent, brûlent et larmoient sans raison apparente ; la toux et l’asthme aussi. Ces symptômes, étant assez banals, ils peuvent également se retrouver dans de nombreuses autres maladies (rhumes et grippes notamment), d’où la nécessité d’un avis médical. Le diagnostic est en général très simple pour tout médecin ; en cas de doute, on complète par des tests allergologiques (prick-tests ou les fameux «tests d’allergie», prélèvements sanguins...).

  • Que faire si l’on souffre d’une allergie au pollen ?

Tout d’abord, consulter un médecin pour s’assurer qu’il s’agit bien d’allergie. Ensuite, un traitement dit «symptomatique» sera prescrit pendant toute la durée de la saison pollinique (l’idéal serait de le commencer avant la saison), afin de soulager les symptômes. La prévention est difficile car les pollens sont en suspension dans l’air.

Même s’il n’y a pas de plantes concernées à côté, les pollens peuvent voyager sur des dizaines de kilomètres grâce au vent. Ce qu’on conseille en général, c’est d’éviter de sortir lors des saisons polliniques, notamment par temps de grand vent, éviter d’ouvrir les fenêtres, porter de larges lunettes, voire des masques de protection.

Un autre traitement, plus radical, mais plus long (jusqu’à 2 ans), consiste à ce qu’on appelle la désensibilisation ou l’immunothérapie. Cela consiste à l’ingestion de très faibles doses du pollen en cause dans l’allergie, et cela, pendant une longue période, afin «d’habituer» le corps à celui-ci et ainsi à le tolérer et à «ne plus l’attaquer pour rien».

C’est une sorte de rééducation du système immunitaire. C’est ce que le commun des mortels appelle «les vaccins» (car à une époque pas lointaine du tout, on utilisait des injections, maintenant il y a des comprimés à prendre et des gouttes à mettre. Le seul hic est que ce nesont pas tous les pollens qui sont concernés par ce protocole, et en plus, cela à un coût (compter env. 15 000da/mois) et ça n’existe pas en Algérie.

  • Quel est aujourd’hui l’impact de ces allergies sur la vie quotidienne ?

L’impact social, je dirai qu’il est grand, car il y a énormément d’allergiques, et ces symptômes sont gênants dans la vie de tous les jours, voire handicapants dans les cas les plus sévères (impossible de se concentrer au travail/école, mauvaise qualité de sommeil...).
- Un climat plus chaud, cela veut dire un printemps plus précoce et un été prolongé, soit une période de floraison plus longue pour les plantes et du pollen présent plus longtemps dans l’air. Peut-on incomber la responsabilité aux changements climatiques ?
C’est en tout cas ce que s’accordent à dire les experts du climat et des plantes.

Les pollens sont présents plus longtemps et peuvent même devenir «plus agressifs» de par leurs concentration dans l’air ou leurs caractéristiques propres ; d’où des maladies et des symptômes plus sévères. Je pense qu’il s’agit du corollaire du mode de vie moderne. On réduit la mortalité infectieuse et la pénibilité du travail et de la vie en général, au prix d’une augmentation des maladies non transmissibles, comme l’allergie. 
 

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