La chanteuse Samira Brahmia a animé la soirée de clôture du 6e Festival national de la littérature et du cinéma de la femme de Saïda. Samira Brahmia travaille sur un projet de tournée algérienne qui sera un spectacle de chant et de danse. Elle cherche des soutiens en Algérie pour concrétiser ce projet artistique ambitieux. The Algerian Awa Tour sera l’occasion d’interpréter les treize chansons de son dernier album Awa.
Un album riche en sonorités, andalous, chaâbi, jazz, diwan... Samira Brahmia est actuellement ambassadrice des droits d’auteur en Afrique auprès de la CISAC (Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs) et de l’ONDA (Office national des droits d’auteur et droits voisins en Algérie).
Propos recueillis par Fayçal Métaoui
-Vous êtes venus à Saïda clôturer la 6e édition du Festival national de la littérature et du cinéma de la femme. Parlez-nous d’abord de cette présence ?
J’ai décidé de répondre présent en Algérie. L’Algérie, ce n’est pas que Alger. J’irai même dans les petites villes où peu de moyens existent. Je serai toujours là. Je me nourris de ces moments-là. Je dis oui, bien sûr, à un festival dédié à la femme. Et je dirai oui même à d’autres festivals.
-Une année après la sortie de votre album Awa. Avez-vous pensé à une tournée en Algérie ?
J’arrive à un moment de ma vie où je ressens au plus profond de mon âme et de mon corps que j’ai besoin de me retrouver chez moi, je le dis sans démagogie. Je me suis rendue compte du respect et de la notoriété que j’avais nourri chez les gens dans mon pays. J’ai reçu beaucoup de marques de sympathie et de soutien que je ne soupçonnais pas. Cela m’a poussé à dire : si je défends l’Algérie à travers le monde, il faudrait que j’y revienne plus souvent et durablement. Mon projet principal cette année est de monter et de filmer une tournée musicale en Algérie. Il ne s’agit pas uniquement d’animer un concert, mais de faire un show.
-Quel sera le contenu de ce show ?
Dans ce projet, je suis soutenue par mon directeur artistique, Slam Djerbi, qui a travaillé avec des artistes comme Lady Gaga, Madonna ou Katy Perry, et par un chorégraphe et qui a travaillé avec Stromae et Céline Dion. Notre idée commune est de faire une tournée, précédée d’un casting de danseurs algériens. L’objectif est de partager nos expériences, de les faire mûrir, d’échanger, d’apprendre des autres et que les autres apprennent de nous. C’est donc une tournée colossale. J’ai envie de rencontrer la jeunesse algérienne émergente qui m’émerveille à chaque fois. Là où je passe, je rencontre des gens qui ont du talent et qui ont envie de faire des choses. Ici, à Saïda, par exemple, on rencontre de superbes talents, des personnes qui ont de grandes capacités.
-Comment évolue justement la préparation de ce projet musical de tournée nationale ?
Je suis à l’étape de négociations, de sollicitations et de recherche de partenaires. J’essaie de trouver des formules de travail avec des organismes comme l’Office national de la culture et de l’Information (ONCI). L’ONCI a écouté notre appel. Nous les artistes nous ne devons pas attendre une aide à 100% de la part des institutions de l’Etat. Nous devons aussi être des entrepreneurs, maîtriser les questions de finance. Je suis à cette étape d’essayer de convaincre et de trouver des gens qui croient en mon projet et qui vont me suivre dans ce projet.
-Quel est le nom que vous avez donné à ce projet ?
The Algerian Awa Tour. Cela fait six mois que nous essayons d’organiser des rendez-vous, de faire des aller-retours en Algérie avec mon directeur artistique pour essayer de concrétiser ce projet. On sait bien que l’argent, c’est le nerf de la guerre. L’objectif est d’élaborer un budget pour la tournée avec un coût réaliste. Il ne s’agit pas de faire des «hold up» et de repartir. Ce n’est pas du tout mon but. Je veux que cette tournée soit un exemple et une base de travail pour les artistes qui veulent travailler en Algérie, avoir une idée sur les coûts de la production d’un spectacle, sélectionner et former des danseurs, trouver des salles de répétitions...
-Avez-vous retenu des villes pour votre tournée ?
Le minimum syndical pour moi serait de faire Alger, Oran, Constantine, Annaba, Béjaïa et Tamanrasset. Dans mon dernier album, je rends un hommage à Badi Lalla (joueuse d’imzad et chanteuse du tindi) et je veux absolument aller à Tamanrasset pour dire que les Algériens du Sud font partie de notre projet culturel. Badi Lalla est une grande dame de la musique algérienne et universelle. Je refuse de faire cette tournée sans aller la remercier dans l’Ahaggar.
-Badi Lalla comme vous, êtes africains. Dans votre dernier album Awa, un hommage particulier est rendu à la femme africaine...
Je suis persuadée que la jeunesse émergente se rend compte que l’Afrique est un continent extraordinaire et riche. Si nous devons être réalistes, nous sommes obligés de regarder vers l’Afrique. De l’autre côté de la Méditerranée, en Europe, il devient très difficile de défendre sa culture librement, de parler de certaines choses, se compromettre pour tourner, moi, je le refuse. De plus en plus, je suis à 1000% africaine.
En tant qu’ambassadrice des droits d’auteur africains, je ressens le besoin de trouver une solution au non-respect de ces droits. Je milite pour une création africaine dans la dignité. En tant qu’Algérienne, je rêve que l’on crée un centre culturel africain en Algérie pour que les artistes africains viennent créer pour qu’on soit, comme dans les années 1960 et 1970, la Mecque des artistes. L’Algérie était la Mecque des révolutionnaires à l’époque. Elle avait accueilli le plus gros festival musical jamais organisé, le Festival culturel panafricain (Panaf) en 1969 (réédité en 2009 à Alger). J’espère que tout cela va se réaliser de nouveau. Je lance un appel pour la création de ce centre en Algérie et je ferai tout pour que ce projet se réalise. Je sais qu’il existe des gens qui sont à l’écoute de cette ambition africaine. Nous devons reprendre notre place dans le continent.
-Pensez-vous que l’Algérie n’est pas suffisamment ancrée en Afrique ?
Non, l’Algérie a toujours été là, toujours proche des nations africaines. Mais nous ne savons pas, peut-être par modestie ou humilité, communiquer sur toutes ces actions. En 2023, je veux que tout se sache. Certains Africains ne savent pas que l’Algérie a beaucoup contribué à l’émergence du continent. Aujourd’hui, nous devons légitimement reprendre notre place. C’est une place essentielle. J’ai envie de prendre le chemin inverse de Miriam Makeba (chanteuse sud-africaine anti-appartheid) qui est venue chez nous, est devenue Algérienne.
Je veux prendre le chemin de l’Afrique du Sud, vers Johannesburg, pour dire toute l’histoire de l’Algérie et toute sa contribution pour le progrès africain. L’Algérie a toujours été aux côtés des opprimés. Et peut-être que la culture sera notre solution pour réunir l’Afrique...
-Mais, il faut noter que les occasions de rencontre des artistes africains sont plutôt rares... en absence d’un grand festival des arts africains…
En tant qu’artistes algérienne et ambassadrice des droits d’auteur africaine, je dis qu’il n’est dans l’intérêt des artistes de lancer un festival à coup de millions de dollars. L’heure est de recenser, de faire un mapping des droits de diffusion, que l’on trouve une solution pour redresser la situation, et que l’artiste algérien puisse créer dignement et puisse avoir les moyens de sa création. A mon humble avis, il faut qu’on équilibre un peu les choses. Il est temps de faire un constat d’organiser des festivals en Afrique dans les normes. Et quand un album sort, il est envoyé à ces festivals dont les organisateurs respectent les artistes, les payent, prennent en compte les droits d’auteurs...Par exemple, on n’a jamais référencé les radios africaines. Je souhaite qu’il ait plus d’intérêt pour la création africaine dans les programmes radiophoniques algériens. Et dans l’autre sens, que Samira Brahmia ou tout autre artiste algérien puisse proposer son album et ses sons aux radios africaines.
-Pensez-vous que les droits des artistes africains sont respectés, protégés comme il le faut ?
Il y a un mouvement en cours actuellement pour que ces droits soient bien respectés. Une rencontre sur les droits d’auteurs africains est prévue à la fin de ce mois de septembre 2023. J’y suis invitée par la CISAC et l’ONDA. C’est un bon début pour faire le constat et étudier toutes les solutions. Il ne faut pas qu’on réfléchisse juste dans l’intérêt de l’artiste algérien. D’autres pays africains n’ont pas les moyens de protéger les droits de leurs artistes convenablement.
En Afrique, l’Algérie, à travers l’ONDA, est le deuxième pays dans la récolte des droits d’auteurs, après Afrique du Sud. Il est important de créer un mécanisme juste et équilibré dans la répartition et dans la création entre les pays du continent. Le système sud-africain n’est pas celui du Burkina Faso, par exemple. En tant qu’Algériens, portant la pensée panafricaniste, nous ne pouvons pas laisser des gens sur le bord de la route...
-Ne pensez-vous pas que beaucoup d’artistes africains, classés dans ce qui est appelé la World music, ont été vampirisés par des tourneurs et des producteurs occidentaux et délaissés après ?
. D’où l’intérêt que nous voulons donner à la protection des droits d’auteur et à la sauvegarde du patrimoine artistique africain après l’avoir répertorié et numérisé. On est en train d’y travailler sur le digital et sur la numérisation des œuvres. Il s’agit aussi de recenser les œuvres diffusées. Un travail est fait en ce sens.
-Comment voyez-vous l’évolution de la scène musicale algérienne après le passage de certaines vagues, ces dernières années, comme le raï, le diwan, les variétés... Cette scène semble sans repères aujourd’hui ? Existe-il une crise de création ?
Je ne crois pas à l’existence d’une crise de création en Algérie. Le problème est lié au manque de lieux de diffusion en Algérie. Les jeunes artistes émergent péniblement de petits lieux de spectacle, certains se cassent la figure, sont amenés à se poser des questions sur leur travail artistique et son utilité. Il existe des talents en Algérie.
Des compositeurs algériens écrivent des musiques pour les films Marvel Entertainment (société américaine de cinéma). Il faut donc qu’on discute des moyens et des espaces à mettre à la disposition de la création musicale. Il existe 58 wilayas en Algérie. Les artistes peuvent vivre de leur création, proposer des spectacles au moins trois fois par semaine dans chaque wilaya. Et dans le reste de la semaine, nous devons faire contribuer les écoles, les collèges, les lycées et les universités pour que les théâtres continuent à vivre, pour qu’ils soient plus autonomes (financièrement). L’État ne peut pas continuer à subventionner la culture ad vitam æternam.
-Dans votre album, Awa, il y a de la «fusion», jazz, diwan, andalous, chaâbi. Est-ce là, une manière de rendre hommage à la diversité musicale algérienne ? Comment les artistes algériens peuvent-ils contribuer à protéger le patrimoine musical algérien ?
La protection du patrimoine musical n’est pas du ressort que de l’artiste. Il est urgent qu’on répertorie, qu’on numérise et qu’on identifie les œuvres. Personnellement, je compose et je travaille par inspiration. Cela me fait vibrer. Je ne le fais pas dans un but commercial ou en réponse à une commande. Je n’aime pas parler de fusion. Je fais de la musique algérienne.
L’Algérie est à la croisée des chemins, le seul pays dans le monde arabe et en Afrique qui a une culture très riche. C’est le seul pays arabe et africain où tous les gens et styles musicaux sont bien maîtrisés, le rock, la musique classique occidental, le jazz, le rap, etc. Pourquoi la musique algérienne s’exporte brillamment ? Parce que nous avons les codes. Et nous n’avons plus à en rougir.
Fayçal Métaoui