Samir Grimes. Expert en environnement et changement climatique : «Il est impérieux d’avoir un plan et des réponses au défi climatique»

25/04/2023 mis à jour: 04:04
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Dans le cadre de la coopération multilatérale avec le système des Nations unies pour le développement (PNUD), le financement du plan national d’adaptation au changement climatique a été approuvé par le fond vert pour le climat, ce qui constitue une étape importante pour l’Algérie. Dans cet entretien, Samir Grimes revient sur l’importance d’un tel plan, son utilité mais également ses préalables.

 

 

-D’abord, qu’est-ce le plan national d’adaptation au changement climatique ? 

L’adaptation climatique désigne l’ensemble des actions et mesures qui sont prises, en vue de renforcer la protection d’une ville, une communauté, une population, un écosystème, des infrastructures ou une activité des effets négatifs du changement climatique. Cette adaptation renforce la résilience à long terme face à l'évolution des conditions environnementales. L'adaptation au changement climatique peut prendre diverses formes, notamment la gouvernance, sur des composantes techniques ou financières, etc. Il y a lieu de souligner que l’adaptation au changement climatique s’institutionnalise à diverses échelles un peu partout dans le monde (échelles mondiale, régionale, nationale, locale). Il est important de signaler qu’outre la nécessité impérieuse d’élaborer ce plan pour apporter des réponses concrètes au défi climatique, ce plan est aussi une réponse directe par rapport à l’engagement de l’Algérie au titre de l’Accord de Paris sur le climat. En effet, l’adaptation au changement climatique constitue, avec l’atténuation et le financement, les trois piliers de l’Accord de Paris sur le climat qui a été ratifié par l’Algérie par le Décret présidentiel n° 16-262 du 13 octobre 2016. 
 

-Y a-t-il des préalables à l’adaptation ?

Il est évident que l’adaptation au changement climatique ne peut être pertinente et efficiente que si elle se base sur des études et des données scientifiques fiables. L’adaptation est systématiquement fondée sur la vulnérabilité climatique. En d’autres termes, toute politique, stratégie ou tout plan d’adaptation au changement climatique, quelle que soit son échelle (globale, régionale, nationale, locale) ne peut être qu’une réponse à la vulnérabilité climatique et vise donc à renforcer la résilience climatique d’un territoire donné par exemple.  L’adaptation est également associée aux risques engendrés par le changement climatique, et cet aspect est fondamental dans les politiques publiques et pour la gestion du territoire par les collectivités locales. Il est aussi crucial pour la planification et la programmation du territoire, notamment à travers les instruments de planification de l’espace et tous les instruments d’aménagement du territoire qui doivent impérativement et «sans concession» tenir compte des risques engendrés par le changement climatique. Il est tout aussi impératif de considérer le risque climatique comme étant une menace sur les vies humaines, les infrastructures et les équipements publiques (ponts, stations de dessalement de l’eau de mer, ports, etc.), sur les écosystèmes (littoral, oasis, forêts, steppe, etc.) et les services associés ainsi que sur les investissements publics et privés consentis par les pouvoirs publics et les acteurs privés. Il est crucial que ces éléments et investissements soient «injectés» en connaissance de cause des risques et vulnérabilités climatiques. Cela nous amène au rôle que doient jouer les scientifiques et les experts au niveau national. La politique climatique nationale est sollicitée pour soutenir davantage les programmes et projets de recherche sur la sécurité climatique du pays et sur les solutions d’adaptation à toutes les échelles et dans tous les secteurs (agriculture, santé, éducation, travaux publics, ressources en eau, transport, aménagement du territoire, industrie, etc.). 
 

-Quel rôle doit jouer le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales ?

Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales a un rôle fondamental, car, à mon avis, c’est lui, à travers la délégation nationale aux risques majeures en lien avec l’Agence nationale des changements climatiques, d’une part, et les wilayas, d’autre part, qui doivent conduire un processus articulé en trois étapes successives. La première consiste à analyser et à identifier la vulnérabilité territoriale face au changement climatique. Vient ensuite l’évaluation des risques spécifiques au climat et ceux cumulatifs qui peuvent résulter de la combinaison du risque climatique avec les autres risques environnementaux ou de toute autre nature. Enfin, dans une troisième étape, proposer des mesures et des actions d’adaptation et de résilience climatique qui devraient être déclinées par zone ou région géographique et par département ministériel. Il est fondamental de réfléchir dès maintenant sur les modalités de financement de l’adaptation. Peut-on imaginer un fonds national d’adaptation qui serait le réceptacle des financements nationaux et ceux, internationaux, de soutien à l’adaptation du pays face aux changements climatiques ?  
 

-En quoi l’approbation d’élaboration d’un plan national d’adaptation au changement climatique est-il si importante ? 
 

L’approbation par le fond vert pour le climat du financement pour l’élaboration d’un plan national d’adaptation au changement climatique permet de dégager un financement pour une composante essentielle au dispositif mis en place au niveau national. En effet, au cours de ces dernières années, il a été procédée à l’élaboration et l’adoption, en 2019, par le gouvernement algérien du Plan national du climat, dit le PNC, et avant cela, la préparation et la transmission au secrétariat de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques de trois communications nationales sur le changement climatique, dont la 3e est dans sa phase finale. Le plan national d’adaptation climatique sera un outil et une feuille de route pour l’action et les activités de l’Agence nationale des changements climatiques. Il en est de même pour la direction des changements climatiques du ministère chargé de l’Environnement et pour le «comité national climat». Le plan d’adaptation viendra en complément au bilan national des émissions des gaz à effet de serre qui est en cours de préparation. Enfin, ce plan constitue une traduction directe de la ratification par décret présidentiel de l’Accord de Paris sur le climat et un soutien aux résultats obtenus par divers projets et programmes de coopération internationale et bilatérale, notamment «ClimGov» de gouvernance climatique et de «Climat South».
 

-Faut-il une adoption au plus haut niveau du Plan national d’adaptation climatique ?
 

L’approbation du plan national d’adaptation climatique par le gouvernement est une étape majeure pour sa mise en œuvre. En plus d’être un signal politique fort à l’intérieur du pays, c’est aussi un signal pour les acteurs externes compte tenu de la dimension transfrontalière de l’action climatique. L’adoption à un tel politique du plan national d’adaptation climatique constitue aussi une forme d’orientation pour les acteurs institutionnels et financiers et pour les collectivités locales pour leur signifier que cette adaptation est une priorité nationale qui requiert une mobilisation générale pour atteindre les objectifs de résilience climatique de notre pays. Cette adoption doit, à mon sens, permettre, ou en tout cas inciter, à créer la cohérence avec les plans de prévention et d’intervention d’urgence (cas des feux de forêt, pour les pollutions marines, risques côtiers, urgence sanitaires, sécheresse, phases caniculaires, et épisodes de froids, inondations, etc.).
 

-Quels sont les secteurs prioritaires de l’adaptation au changement climatique ?

Pour l’Algérie et eu égard aux priorités du pays, il me semble que la priorité alimentaire, la sécurité hydrique, la sécurité sanitaire, la sécurité énergétique et la résilience du territoire national placent au moins sept grandes catégories de secteurs comme prioritaires (1) l’agriculture et la foresterie, la pêche et l’aquaculture, (2) la santé, (3) les ressources en eau, (4) la ville, les infrastructures et les équipements publics, (5) l’énergie,  (6) le transport et enfin le paquet constitué par (7) l’éducation, l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et la formation professionnel et celui de l’innovation.   
 

-Comment vous imaginez le processus qui doit conduire à l’élaboration et l’adoption du plan national d’adaptation au changement climatique ?

Il existe deux manières de concevoir le plan national d’adaptation climatique. La première est un plan stratégique qui donne des orientations majeures pour que les collectivités locales à travers des plans communaux d’adaptation climatique et les secteurs à travers des plans sectoriels d’adaptation climatique définissent les actions et les mesures nécessaires à l’adaptation du territoire pour les premiers et des secteurs pour les seconds. Cette approche nécessite donc deux niveaux d’adoption. Le premier par le gouvernement pour le plan national et le second par les wilayas et les secteurs pour respectivement les plans communaux climatiques et les plans sectoriels climatiques. La seconde approche serait d’élaborer un plan national d’adaptation aux changements climatiques qui sera suffisamment détaillé pour contenir aussi bien les orientations stratégiques, les axes d’intervention et les actions et mesures par territoire et par secteur. Celui-ci doit aussi faire l’objet d’une adoption par le gouvernement. Dans les deux cas, j’imagine que le Comité national pour le climat aura le rôle d’animateur principal en tant qu’outil interministériel (intersectoriel) ayant une légitimité légale. Je conçois aussi que l’agence nationale des changements climatiques et la délégation nationale auront des rôles-clés dans ce processus. Dans les deux cas de figure, le plan national devrait être un processus participatif, inclusif et intégratif et doit prendre assise sur la science et la connaissance du territoire.
 

-Qu’est-ce que ce plan va apporter de plus ?

Le Plan national d’adaptation climatique permet de réduire la vulnérabilité aux effets des changements climatiques en renforçant les capacités d’adaptation et de résilience. Il facilite l’intégration des mesures d’adaptation aux changements climatiques dans les activités, les politiques et les programmes nouveaux ou existants, notamment dans les processus et stratégies de planification du développement pour tous les secteurs principaux et à différentes échelles. Pour cela, la coordination intersectorielle est fondamentale afin de créer des synergies entre les différentes instruments et outils prévues par la législation nationale et de renforcer la coopération entre secteurs institutionnels et entre acteurs institutionnels et les acteurs non institutionnels, d’autre part. Le plan permet surtout aux collectivités locales et aux acteurs de l’aménagement du territoire de prendre les mesures coercitives pour les plans déjà en place et pour l’intégration de la vulnérabilité climatique dans les nouveaux plans de territoire.   

 

                                                                                                                                                                                                                            Propos recueillis par  Sofia Ouahib

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