Saliha Ouadah. Chercheur en démographie et sociologie urbaine : «Nous sommes une société vieillissante»

28/10/2024 mis à jour: 02:02
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Photo : D. R.

L’Algérie enregistre de moins en moins de naissances, avec un taux élevé de la population vieillissante. Les projections établies des spécialistes d’ici une vingtaine d’années fait état d’une société où il y a plus de seniors que de jeunes, plus de retraités que de population active. Saliha Ouadah, chercheur en démographie et sociologie urbaine, explique dans cet entretien le déséquilibre financier dans le système de retraité auquel les pouvoirs publics devront faire face, mais aussi elle schématise la nouvelle configuration démographique.

  • Les Algériens vivent plus longtemps, ils ont moins d’enfants, ils se marient moins. Une nouvelle configuration démographique s’installe. Comment expliquez-vous ces données ?

Il a été en effet observé une nette augmentation de l’espérance de vie. Soit 78,2 ans chez les hommes et 80 ans chez les femmes, certes ces dernières vivent plus longtemps mais avec une mauvaise santé. Les hommes sont plus exposés aux dangers. Il a été aussi enregistré une baisse considérable des naissances avec 900 000 naissances en 2023. Il s’agit de la première fois depuis 2010 que le volume des naissances recule au-dessous du seuil de 900 000 naissances. 5 millions d’Algérien sont âgés de plus de 60 ans, dont 2,1 millions ont 70 ans et plus.

Il s’agit en effet d’une hausse de 10%. Les données de l’ONS font état d’un rapport de masculinité de la population résidente de 103 hommes pour 100 femmes, le pourcentage des moins de cinq ans continue sa baisse, passant de 11,7% à 10,2% entre 2019 et 2023, la population de 5 à 14 ans augmente pour atteindre 20,2% de la population totale, contre 18,7% en 2019. Le nombre des personnes de 15 à 59 ans continue de décroître, passant de 60,0% à 59,2% entre 2019 et 2023.

Les personnes âgées de 60 ans et plus constituent désormais 10,5% de la population totale, contre 9,5% en 2019. En volume, cette frange atteint un effectif avoisinant 5 millions de personnes (soit 4 867 000 personnes, dont 2 127 000 âgées de 70 ans et plus et 707 000 âgées de 80 ans et plus). Ces différents aspects de changement ont été accompagnés par une transition démographique qui s’est traduite par une baisse importante de la fécondité et de la mortalité.

Par conséquent, le nombre des personnes appartenant aux classes d’âge les plus vieilles a enregistré un accroissement considérable. La classe d’âge 60-64 ans demeure la plus importante parmi la population âgée, mais elle recule au profit des classes d’âge supérieures, tandis que la population âgée de 75 ans et plus a enregistré une évolution importante.

  • Notre société s’achemine donc vers un vieillissement…

Nous sommes une société vieillissante. Les projections de l’ONS indiquent que nous nous acheminons vers un processus de vieillissement de la population irréversible d’ici une vingtaine d’années, vers 2040. La tendance augmente chaque année. D’où vient-elle ? Il y a la transition de tranche d’âge.

Ceux qui sont nés dans les années 1970, aujourd’hui sont des travailleurs ou à la porte de la retraite. A cette époque, c’était un système de récupération en matière de naissance, et nous avons eu jusqu’à 7 enfants par femme, avec un taux de mortalité élevé.

La tranche d’âge des 15-59 ans représentait 60% des actifs en 2019 (censés travailler). Cette catégorie est en train de prendre sa retraite des personnes actives. A partir de 2000, la catégorie des 15-59 ans censée travailler est en baisse. On a de plus en plus de retraités issus de la catégorie qui travaillait et qui faisait partie des naissances volumineuses.

  • Ceci qui impactera directement le système de retraite ?

Prenant donc en compte le nombre des naissances en baisse à partir des années 1980, pour arriver à une moyenne de 3 enfants par femme, nous allons directement au problème du déséquilibre financier entre les cotisants et les retraités. S'il y a moins de cotisation, il y aura un problème de vieillissement.

Comment faut-il couvrir les pensions de ces retraités de demain, puisque la majorité des 60% sont dans l’informel en plus des chômeurs. Selon le rapport de dépendance économique, soit le nombre des retraités par rapport aux cotisants, actuellement il y trois travailleurs pour un seul retraité. Très correct actuellement, selon la Caisse nationale des retraités.

Le problème se posera donc une fois que ces cotisants d’aujourd’hui partiront à la retraite. Nous avons en effet constaté, lors de nos études basées sur des projections d’avenir, que l’Algérie aura un vieillissement démographique. Jusqu’à 2040, le vieillissement aura sérieusement augmenté. C’est là où les pays européens trouvent des problèmes, qui optent ensuite pour des solutions d’immigration de main-d’œuvre avec les taxes impôt.

  • Un vieillissement qui n’est donc pas sans impact sur l’économie et les conditions de vie. Quelles sont les solutions auxquelles il faut penser dès maintenant ?

Cette évolution rapide n’est pas sans conséquences sur les conditions de vie de la population âgée. D’énormes défis se pointent donc à l’horizon, ce qui nécessitera des efforts multiples et concrets de la part des pouvoirs publics et de la société civile pour une meilleure prise en charge de cette frange de la société.

Certes de nos jours, la solidarité familiale reste encore forte, mais force est de constater que la dynamique démographique, couplée à l’évolution des modes de vie et à la diminution de la taille des fratries laisse présager, à l’avenir, une possible érosion de l’entraide intergénérationnelle.

Il y a lieu donc de prévoir des mécanismes institutionnels et des mesures adéquates pour palier à cette éventualité. Il faut aussi penser à absorber l’informel et encourager le maximum à cotiser en trouvant de nouvelles alternatives. On aura une explosion de la population senior, alors comment le système va-t-il assurer les retraites, puisque la tranche d’âge active aujourd’hui est de moins en moins importante, vu le nombre des naissances.

  • Une enquête nationale a été effectuée, selon laquelle, il y a des régions où on vit plus et mieux. Quelle en est votre lecture ?

Nous avons schématisé la région selon l’espérance de vie. Dans les wilayas où le régime alimentaire est équilibré et où il y a aussi plus d'utilisation de l’omega 3, il y a un taux de senior plus important. Dans les villes côtières essentiellement, en plus de la Kabylie où la consommation de l’huile d’olive est importante, il y a un taux élevé de senior en bonne santé ou du moins, ils sont moins vulnérables que d’autres.

On vit plus longtemps et on vieillit mieux. Une enquête, en collaboration avec l’Union européenne, porte en effet sur la transition épidémiologique, où une comparaison entre trois générations dans les pays méditerranéens a été effectuée sur la base du régime alimentaire. Une enquête locale remarque une concentration de la population des 60 ans et plus à Tizi Ouzou, Alger, Béjaïa, Guelma, Constantine, Annaba, Aïn Témouchent, Tlemcen et Sidi Bel Abbès avec un taux allant de 8,37 à 10,31%. Lorsque j’ai travaillé sur le vieillissement, j’ai trouvé un lien entre l’espérance de vie et l’assiette.

Moins on est stressé et mieux on mange, plus on vit, selon cette enquête. Suivies de Boumerdès, Tipasa, Bouira, Mascara, Saïda, Oran, Jijel, Skikda, El Tarf et Souk Ahras avec un taux allant jusqu’à 8,37%. Djelfa, Laghouat, M’sila et le Grand Sud sont les moins bien classées en termes d’espérance de vie.

  • A-t-on identifié les conditions dans lesquelles vivent les personnes âgées en Algérie ?

En 2020, selon les données statistiques, 50,42% des retraités ont une pension – 37,9% ont une pension de retraite et 12,52% sont couverts par la pension de réversion –, le pourcentage des personnes de plus de 60 ans qui ne sont pas couvertes reste très élevé, dépassant 49% en 2020, sachant que le nombre total de personnes âgées est supérieur à 4 millions.

Il y a une grande disparité entre les hommes et les femmes, 66% des hommes perçoivent une pension de retraite contre 9,7% des femmes, ce pourcentage peut s’expliquer en analysant la structure démographique du marché du travail. Les femmes âgées ont le niveau de protection le plus faible et sont parmi les plus vulnérables à la pauvreté.

Les données de niveau de vie des 60 ans et plus au niveau national, présentées lors de la Journée mondiale de la population en 2024, observent que les seniors vivent dans de meilleures conditions que les autres membres adultes de la société, mais leur niveau de vie monétaire ne nous renseigne pas sur leur situation. Ils ne peuvent pas prendre en charge une famille de plus de 3 personnes, car leur niveau de vie risque de se détériorer. Il existe d’importantes disparités entre les hommes et les femmes et des différences de situation économique en ce qui concerne les conditions de vie.

Les données montrent que les retraités vivent dans de meilleures conditions que les personnes âgées employées ou exclues (c’est-à-dire celles qui ne bénéficient pas du système de retraite ou du marché du travail). Les plus vulnérables parmi les personnes âgées sont celles qui sont en dehors du système de retraite et en dehors du marché du travail, particulièrement les femmes qui subissent une vulnérabilité structurelle plus importante.

Bioexpress

Saliha Ouadah est professeur des universités à l’Ecole nationale supérieure de statistique et de l’économie appliquées (ENSSEA). Elle est directrice de laboratoire de la statistique appliquées (Lasap), elle est également présidente du comité scientifique du département statistique et prospective économique et du département économie appliquée et prospectives à l’ENSSEA. Elle est titulaire d’un diplôme d’habitation universitaire (HDR) au grade de maître de conférence A et doctorat en démographie urbaine. En 2025, elle édite un ouvrage sur le vieillissement en Algérie : L’entrepreunariat féminin en Algérie, tendances et perspectives en 2021. 

 

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