République démocratique du Congo : Le groupe armé M23 progresse dans l'est vers Bukavu

01/02/2025 mis à jour: 07:42
1408
Un pays constamment déstabilisé, Patrice Lumumba, ancien chef du gouvernement assassiné en 1960

Après avoir conquis Goma dans l'est de la RDC, le groupe armé antigouvernemental M23 et l'armée rwandaise progressent dans la province voisine vers la ville de Bukavu, selon l’AFP. 

Goma, capitale de la province du Nord-Kivu coincée entre le lac Kivu et la frontière rwandaise, est tombée mercredi après une offensive  de quelques semaines, lancée suite l'échec d'une tentative angolaise de médiation entre la RDC et le Rwanda. 

Un sommet extraordinaire de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) devait se tenir hier dans la capitale zimbabwéenne Harare. Le président congolais Félix Tshisekedi y participera en visioconférence, selon la présidence, mais pas le président rwandais Paul Kagame. Kigali a déclaré que le «Rwanda n'est pas un membre de la SADC», selon la porte-parole du gouvernement Yolande Makolo. 

Fin 2023, la SADC a déployé une force, la SAMIDRC, dans l'Est congolais pour épauler les forces congolaises face au M23, incluant notamment 2900 soldats sud-africains, ainsi que des militaires tanzaniens et malawites, dont trois ont également perdu la vie cette semaine.

Le président rwandais Paul Kagame a estimé jeudi que la SAMIDRC n'est «pas une force de maintien de la paix» et n'a «pas sa place dans cette situation». Il a également prévenu l'Afrique du Sud qu'il n'a pas peur d'une «confrontation» avec elle à ce sujet. 

Le Rwanda n'a jamais admis son implication militaire dans le conflit, mais affirme que la RDC soutient et abrite les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) groupe armé, créé par d'anciens dirigeants hutus qui ont massacré les Tutsis pendant le génocide rwandais de 1994. De son côté, l'armée ougandaise (UPDF) a annoncé hier qu'elle compte «renforcer ses défenses» dans l'est de la RDC. 

Dans un communiqué, l'UPDF a déclaré qu'elle «adoptera une posture défensive avancée (...) jusqu'à ce que la crise soit passée» et précise que l'objectif est «de dissuader et d'empêcher les nombreux autres groupes armés négatifs opérant dans l'est de la RDC d'exploiter la situation, et de protéger et de sécuriser les intérêts de l'Ouganda». 

L'armée ougandaise cite nommément les  Forces démocratiques alliées (ADF), à l'origine des rebelles ougandais. Ils sont implantés depuis le milieu des années 1990 dans le nord-est de la RDC où ils ont tué des milliers de civils et multiplient des pillages et meurtres malgré le déploiement de l'UPDF aux côtés des forces armées congolaises (FARDC).  

«L'UPDF, en collaboration avec les FARDC (...) suit de près l'évolution de la situation sécuritaire et continuera de traquer agressivement les restes des ADF partout où ils vont», a-t-elle assuré. En 2005, l'Ouganda a été condamnée par l'ONU pour violations du principe de non-ingérence alors que ses soldats étaient déployés dans la province voisine congolaise de l'Ituri. Vingt ans plus tard, Kampala continue d'y soutenir des groupes armés, selon les experts de l'ONU. Jeudi, l'ONU s'est dite «très inquiète» sur la situation dans le Sud-Kivu, «qui reste très volatile, avec des informations crédibles de l'avancée rapide du M23 vers la ville de Bukavu», selon Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU. «Nous sommes à Goma pour y rester et  nous allons continuer la marche de libération jusqu'à Kinshasa», a déclaré auparavant un cadre du M23 lors d'une conférence de presse à Goma. 

Face à l'aggravation de la situation, le président congolais Félix Tshisekedi a assuré mercredi qu'une «riposte vigoureuse» est en cours. Hier, des files de volontaires venus s'enregistrer pour aller au front ont commencé à se former dans le stade de Bukavu. La veille, le ministre provincial de l'Intérieur a appelé les jeunes à s'enrôler. L'offensive éclair sur Goma, cité de plus d'un million d'habitants et presque autant de déplacés, a suscité de nombreux appels internationaux (ONU, Etats-Unis, Chine, UE, Angola, France, entre autres) à la fin des combats et au retrait des troupes rwandaises. 

La Belgique a demandé à l'Union européenne d'envisager des sanctions contre le Rwanda. Londres a menacé jeudi «d'un réexamen de toute l'aide britannique au Rwanda». Pour sa part, le président Tshisekedi a condamné «le silence» et «l'inaction» de la communauté internationale face à «la barbarie du régime de Kigali», mettant en garde contre «une escalade aux conséquences imprévisibles» dans la région des Grands Lacs. L'est de la RDC est déchiré depuis des décennies par les violences de multiples groupes armés, exacerbées après le génocide de 1994 au Rwanda. Kinshasa accuse Kigali de vouloir y piller les nombreuses richesses naturelles. Le Rwanda dément, et dit vouloir y éradiquer certains groupes armés qui menacent en permanence sa sécurité selon lui, notamment les FDLR.


Patrice Lumumba à Tchisekedi

Ex-colonie belge, la RDC a proclamé son indépendance  en juin 1960. Année qui a marqué aussi le début d’une période de troubles et d’instabilité et de violences au point où plusieurs provinces demandent leur indépendance (Katanga, Sud-Kasaï). Le 17 janvier 1961, En décembre 1960, le chef du gouvernement Patrice Lumumba, qui s'est mis à dos la Belgique ainsi que de nombreuses puissances occidentales en pleine guerre froide est assassiné dans le Katanga, au sud-est du pays, avec deux de ses compagnons de lutte, Joseph Okito et Maurice Mpolo. Le corps du leader congolais et ceux de ses camarades  sont ensuite dissous dans de l’acide.  Plusieurs décennies plus tard, en 2016, une dent est saisie par la justice belge, dans les affaires d’un des officiers belges, Gérard Soete, chargé de faire disparaître toutes traces du héros de l’indépendance congolaise. 

Cette dent que la justice belge a remise  le 20 juin 2022 à la famille Lumumba.
Le 16 novembre 2001, la commission d’enquête de la Chambre belge des députés a adopté la version finale de son rapport sur l’implication de l’ancienne puissance coloniale dans l’assassinat de ce dernier. Elle démontre, après avoir eu accès à des documents officiels ou privés, jusque-là non divulgués, que le meurtre de 1961, a été prémédité et méthodiquement organisé. Aux yeux du gouvernement belge de 1960, 
Lumumba était coupable d’avoir publiquement évoqué, le jour même de l’indépendance de son pays, «l’esclavage» imposé à son peuple. Comme il constitue une menace aux intérêts économiques de Bruxelles, qui a soutenu la sécession katangaise de Moïse Tschombé. 

En novembre 1965, le général Mobutu s’empare du pouvoir puis fonde la RDC, qui devient, le 21 octobre 1971, la République du Zaïre. La période d’avril à juin 1994 marque le génocide rwandais : environ 800 000 personnes ont été tuées en seulement trois mois. Le Front patriotique rwandais (FPR), créé par des Tutsis en exil, a alors mené une offensive et est parvenu à prendre le pouvoir contre le gouvernement génocidaire et les forces armées rwandaises. 

Près de deux millions de personnes, essentiellement hutues, dont des miliciens auteurs du génocide, ont fui en direction du pays voisin, le Zaïre, l’actuelle RDC, alors dirigée par Mobutu Sese Seko. Plusieurs milliers de déplacés ont été assassinés en chemin ou dans leurs camps par des groupes armés comme l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) désireuse de prendre le pouvoir à Mobutu Sese Seko, qui gouvernait sans partage depuis plus de 30 ans. En 1991, une Conférence nationale est chargée d'organiser la transition démocratique. De violentes émeutes, suivies de pillages, éclatent dans la capitale. La France et la Belgique prennent leurs distances avec Mobutu, et évacuent leurs ressortissants. En 1992, la Conférence nationale désigne Etienne Tshisekedi comme Premier ministre. L’année d’après, il est révoqué par Mobutu. 

En mai 1997, les Tutsis du Kivu, soutenus par le Burundi, l’Ouganda, et le Rwanda participent à la chute de Mobutu. Laurent Désiré Kabila le supplante et le Zaïre est rebaptisé RDC. Les activités des partis politiques sont suspendues. En janvier 2001, Kabila est assassiné par l'un de ses gardes du corps. Le lendemain, la direction du gouvernement et le haut-commandement militaire sont confiés au général-major Joseph Kabila, son fils. En décembre 2002 est signé l’accord de Pretoria entre la RDC et le Rwanda. Il prévoit le retrait des soldats rwandais et le démantèlement des milices hutues génocidaires Interahamwe et la fin officielle de la seconde guerre du Congo.

Lui succède après la présidentielle de décembre 2018 Félix Tshisekedi. Mais les pro-Kabila gardent la majorité à l’Assemblée nationale. Dans son discours d’investiture en janvier 2019, ce dernier a placé en priorité «la pacification de tout le territoire national». En novembre 2021, avec son accord, l'Ouganda déclenche une opération militaire contre les ADF dans la partie nord du Nord-Kivu, étendue ensuite en Ituri. La rébellion du M23, en sommeil depuis une dizaine d'années et soutenue reprend l'offensive dans le sud du Nord-Kivu. 

Fin 2022, deux sociétés militaires privées, Agemira RDC et Congo Protection, sont engagées par l'Etat congolais pour l'aider à lutter contre l'avancée du M23. Elles totalisent plus d'un millier d'hommes, principalement originaires d'Europe de l'Est pour les troupes, de France pour les cadres. Le 10 MAI 2023, lors d'une visite au Botswana, il critique la force de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC-RF) déployée depuis quelques mois avec son accord dans l'est de la RDC pour lutter contre les groupes armés, lui reprochant une «cohabitation» avec les rebelles. 

La veille, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) a annoncé le déploiement de forces dans l'Est congolais, qui n'a pas encore eu lieu. 

En septembre de la même année, à la tribune de l'ONU, il déplore que la force onusienne déployée depuis 1999 en RDC n'ait «pas réussi à faire face aux rébellions et conflits armés» et insiste pour son «retrait accéléré» à partir de décembre.

Copyright 2025 . All Rights Reserved.