Le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda et 3000 à 4000 soldats rwandais déployés à ses côtés, s’est emparé depuis sa résurgence, fin 2021, de vastes pans de territoire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), riche en ressources naturelles et déchiré depuis 30 ans par des conflits.
L’armée congolaise, qui s’est dit «déterminée» à reprendre les territoires perdus, mène depuis plusieurs jours des contre-offensives et est appuyée par des «wazalendo», nom signifiant «patriotes» en swahili et désignant une nébuleuse de milices locales pro-Kinshasa. Entre janvier et juillet 2024, «des armes explosives imprécises à large rayon d’impact ont été utilisées dans des zones densément peuplées plus de 150 fois (...), faisant plus de 100 morts» et des centaines de blessés parmi les civils, a écrit Amnesty International. La Cour pénale internationale, qui a annoncé relancer ses enquêtes sur la situation dans l’est de la RDC l’année dernière, «doit envisager d’enquêter sur ces attaques en tant que crimes de guerre», en vue de traduire en justice les auteurs, quels qu’ils soient, ajoute l’ONG.
Ces dernières semaines, les affrontements se sont intensifiés jusqu’à toucher la province voisine du Sud-Kivu, où le M23 a pris samedi soir le contrôle de la cité minière de Lumbishi, dans le territoire de Kalehe. Située à environ 170 km au nord-ouest de Bukavu (chef-lieu du Sud-Kivu), Lumbishi est dans une zone minière riche en tourmaline, coltan, or et cassitérite. Amnesty International a affirmé que les autorités congolaises et les dirigeants du M23 n’ont pas répondu aux conclusions préliminaires de son enquête, partagées en décembre dernier.
Dans les témoignages publiés dans cette enquête, des proches de victimes décrivent des «scènes apocalyptiques» après des explosions. Le 25 janvier 2024 à Mweso, dans le Nord-Kivu, un tir d’artillerie provenant probablement des FARDC (armée congolaise) a détruit une maison du quartier de Bukama, faisant «au moins 19 morts et 25 blessés, dont 15 enfants, selon des sources médicales», a noté Amnesty International.
L’ONG dit n’avoir trouvé «aucune preuve de l’existence de cibles militaires à l’intérieur ou à proximité de la zone d’impact», ajoutant que des responsables militaires congolais auraient reconnu «une bavure». Le 4 mars 2024, une munition a touché une colonne de civils fuyant à pied la ville de Nyanzale, attaquée par le M23, faisant au moins 17 morts et une dizaine de blessés, selon des témoins et des sources médicales évoqués par l’enquête.Le 3 mai 2024 près de Goma, lors de tirs de roquette probablement du M23, en riposte à un tir de l’armée congolaise, Angèle, citée par Amnesty, a indiqué avoir perdu ses quatre filles, âgées de 6 à 15 ans, en l’espace de quelques secondes. Elle a déclaré que l’explosion a réduit ses enfants à «des débris et des corps déchiquetés».
Toujours dans l’enquête de l’ONG, un homme, qui a perdu sa femme lors d’une attaque à la roquette, se dit «consterné» par le fait que les deux belligérants s’affrontent si près des camps de personnes déplacées, ajoutant : «Nous avons fui nos villages dans l’espoir de trouver un peu de sécurité. Ici, nous n’avons rien à part nos enfants. Mais ils nous pourchassent jusqu’ici et tuent nos enfants. Le M23 nous tue, le gouvernement nous tue, qu’avons-nous fait pour mériter cela ?» Les révélations d’Amnesty Internationale alors que le conflit demeure dans l’impasse. Samedi, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a déclaré que le dialogue avec le groupe armé M23 est une «ligne rouge» que Kinshasa ne peut franchir, dans le cadre du conflit qui oppose son pays et le Rwanda.
«Ligne rouge»
Le 15 décembre, les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame devaient se rencontrer à Luanda pour des pourparlers de paix, mais les deux parties n’ont pas réussi à s’accorder sur les termes, aboutissant à l’annulation du sommet à la dernière minute. «L’échec de ces pourparlers est venu du fait de l’absence du président rwandais (Paul Kagame) et de l’introduction par la délégation rwandaise d’une nouvelle condition préalable, à savoir l’exigence d’un dialogue direct entre la République démocratique du Congo et le groupe terroriste du M23», a déclaré samedi F. Tshisekedi, en s’adressant aux diplomates accrédités à Kinshasa.
«Le dialogue avec un groupe terroriste comme le M23 est une ligne rouge que nous ne franchirons jamais», a dit le chef de l’Etat lors de cette cérémonie de présentation des vœux. «Exiger un dialogue direct avec un groupe terroriste revient à légitimer des agissements qui violent nos lois et principes fondamentaux.» Les présidents français Emmanuel Macron et angolais Joao Lourenço ont appelé, jeudi à Paris, à la reprise des discussions «au plus haut niveau» entre la RDC et le Rwanda. Joao Lourenço est le médiateur désigné par l’Union africaine (UA) dans le conflit entre Kigali et Kinshasa.
La RDC «ne se soumettra jamais aux pressions d’acteurs extérieurs tentant d’imposer des conditions contraires à nos intérêts et à notre souveraineté», a encore dit F. Tshisekedi.
Le président congolais a néanmoins dit la volonté de son pays de rester dans le processus de Luanda. «La RDC s’y était engagée de manière sincère, espérant qu’il marquerait le début d’une paix durable», a-t-il ajouté. «Cependant, les provocations continues de Kigali, ses violations répétées des accords et son soutien actif au M23, disons-le clairement, compromettent la crédibilité de ce processus».