Report de la présidentielle au Sénégal : L’opposition évoque un «coup d’Etat constitutionnel»

07/02/2024 mis à jour: 03:32
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Des députés de l’opposition ont été chassés lundi du parlement avant la séance de vote sur le projet de repport de la présidentiel

L’Assemblée nationale sénégalaise a adopté, dans la nuit de lundi à hier, une proposition de loi visant à repousser la présidentielle au 15 décembre 2024. Ce qui consacre le maintien du président Macky Sall probablement jusqu’en 2025. Cette mesure est qualifiée par l’opposition de «coup d’Etat constitutionnel», selon l’AFP.

Ainsi, les Sénégalais, qui devaient élire leur cinquième président le 25 février, le feront presque dix mois plus tard que prévu, si les choses ne changent pas d’ici là. C’est la première fois depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal.

Outre le report, une alliance de 105 députés du camp présidentiel et de partisans du candidat recalé Karim Wade a approuvé le maintien à son poste du président Macky Sall jusqu’à l’installation de son successeur en 2025, avec l’éventualité d’un second tour et les délais de passation de pouvoirs. 

Le mandat de Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, arrive à expiration le 2 avril.  Après l’emploi de gaz lacrymogènes contre des manifestants à l’extérieur, les échanges d’insultes et les empoignades dans l’hémicycle, il aura fallu l’intervention des gendarmes pour évacuer les parlementaires de l’opposition qui, massés autour de la tribune, faisaient physiquement obstacle au vote. Le texte a été adopté sans eux et n’a rencontré qu’une voix contre. 
 

«Nous sommes tous meurtris. C’est un coup à la démocratie sénégalaise», a dit dans les médias Pape Djibril Fall, un des 20 candidats retenus par le Conseil constitutionnel, avant qu’un processus électoral de plusieurs mois ne vole en éclats la semaine passée. Aliou Mamadou Dia, autre candidat, a évoqué «coup d’Etat constitutionnel». «Ils ont pris en otage le pays», a-t-il affirmé. «L’image du Sénégal est ruinée et je ne pense pas que nous nous relèverons de sitôt de cette faillite démocratique», a réagi Ayib Daffé, un député de l’opposition. 
 

Les médias ont publié la tribune de plus de 100 universitaires et personnalités décrivant le président comme le «fossoyeur de la République». «La véritable crise, c’est celle qui découlera de cette décision inédite remettant en cause le calendrier électoral et dont il est l’unique initiateur et l’ultime responsable», ont-ils soutenu. Le musicien Youssou N’Dour, ancien ministre et proche du Président, a dit réprouver «sans équivoque» le report, et s’inquiéter pour le pays, en proie à «trop d’animosités». 

Le vote de l’Assemblée conforte l’annonce samedi par le président Sall de l’abrogation du décret convoquant les Sénégalais aux urnes, ce qui revient à repousser l’élection. Il a indiqué tirer les conséquences du conflit ouvert depuis plusieurs jours entre le Conseil constitutionnel et le Parlement après l’homologation définitive de 20 candidatures et l’invalidation de dizaines d’autres. Il a affirmé vouloir prévenir toute contestation pré et post-électorale et des troubles politiques, comme ceux que le pays a connus en 2021 et 2023 avec des bilans respectifs de 14 et 24 morts. 

Après avoir entretenu le flou quant à sa nouvelle candidature en 2024, le président Sall a annoncé en juillet 2023 qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. Il a réitéré cet engagement samedi.
 

Parmi les candidats exclus de la présidentielle : Ousmane Sonko, en prison depuis juillet, et Karim Wade, ministre et fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012), à cause de sa double nationalité sénégalaise et française. Selon la Constitution, tout candidat à l’élection présidentielle «doit être exclusivement de nationalité sénégalaise». Karim Wade a remis en cause l’intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l’élection. 

A son initiative, l’Assemblée a approuvé la semaine dernière la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures. Des députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche. 

Ce soutien a aussi nourri le soupçon d’un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter une défaite. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Bâ, est contesté dans ses propres rangs et fait face à des dissidents. En parallèle, le prétendant anti-système Bassirou Diomaye Faye, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel bien qu’il soit emprisonné depuis 2023, s’est imposé ces dernières semaines comme un postulant crédible à la victoire.
 

Opposant en 2012 à Wade

Des tentatives de manifestation ont été réprimées dimanche et lundi. La presse a fait état de 151 interpellations au total. 

L’opposition a annoncé des recours devant la Cour constitutionnelle, mais les chances qu’ils prospèrent sont jugées aléatoires.  

Selon le code électoral, un décret fixant la date d’une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin. Le président Sall, élu en 2012 pour cinq ans puis réélu en 2019 pour sept ans et qui n’est pas candidat cette fois, risque d’être encore à son poste au-delà de l’échéance de son mandat, le 2 avril.
 

En janvier 2012, Macky Sall a fait partie des opposants à la candidature de Abdoulaye Wade à un troisième mandat. Quand ce dernier a tenté de changer la Constitution pour faire élire dès le premier tour un ticket présidentiel composé de lui et de son fils Karim, la société civile et l’opposition politique se sont mobilisées pour empêcher une telle dérive. 

Elles se réunissent au sein du Mouvement du 23-Juin (M23), Wade renonce à sa révision constitutionnelle, mais n’abandonne pas l’idée de briguer un troisième mandat. Les manifestations de janvier 2012 ont échoué quant à contraindre le Président à revenir sur sa décision. C’est dans ces conditions que le 25 mars de la même année que Macky Sall bat Abdoulaye Wade au second tour de la présidentielle. 
 

Le Sénégal fait partie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), laquelle a condamné les coups d’Etat fomentés récemment au Mali, Niger et Burkina Faso. 

Comme elle a tenté d’obtenir des nouveaux dirigeants des engagements clairs quant à l’organisation d’élections permettant le retour d’un gouvernement civil au pouvoir. En janvier dernier, ces trois pays ont annoncé le 28 janvier leur retrait de ladite organisation.

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