Par M’hamed Abaci
Expert financier
Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir». Frantz Fanon psychiatre, militant anticolonialiste, écrivain.
Il y a 62 ans était proclamée la République algérienne, il faut peut-être rappeler aux lecteurs, qu’ au lendemain de l’Indépendance, le 5 juillet 1962, notre pays vivait une situation socio-économique critique : la pauvreté et la misère touchaient l’écrasante majorité de la population, le taux de chômage avoisinait les 70%, le taux d’analphabétisme de 90%, un déficit énorme est constaté en main d’œuvre qualifiée et en encadrement.
Notre pays se devait de mettre fin au plus tôt à ce lourd héritage légué par le colonialisme, les Européens ayant laissé derrière eux un pays sous-développé et totalement à l’arrêt où les premiers cadres et travailleurs algériens ont été d’un apport indéniable dans la transition postindépendance et au développement national.
Ils ont su s’imposer comme acteurs-clés, notamment de faire fonctionner les institutions, les sites pétroliers, gaziers, miniers, les sociétés nationales pour rétablir l’économie. Pour rappel, le premier baril vendu par Sonatrch en 1966 rapportait pour nos réserves de change 1,60 dollar.
Dans ce contexte, l’Algérie se lance dans un vaste chantier de développement national en engageant des plans de développement. Il y a eu les plans triennaux 1967-1969, quadriennaux 1970-1973 et 1974-1977 et quinquennaux 1980-1985, répondant aux différents impératifs industriel, social, agraire, culturel, scientifique, sportif, santé, enseignement…
Enfin, pour la valorisation des hydrocarbures, il y a eu le plan Valhyd pour développer une industrie pétrolière et gazière, c’était la grande époque de l’industrialisation du pays centrée sur «l’industrie industrialisante d’une riche expérience». L’ambitieux chemin de développement emprunté par l’Algérie dans la voie de l’urgence pour bâtir une économie moins dépendante des hydrocarbures.
Un bref aperçu sur les évolutions et les transformations accomplies ainsi que quelques-uns des événements très importants dans la vie de l’indépendance de l’Algérie pour asseoir sa souveraineté de l’indépendance politique et économique, sont résumés comme suit.
Sur la période des années 66-74
L’Algérie et les nationalisations : le 8 mai 1966 fut décidé la nationalisation des mines, fer, phosphate, plomb, zinc et marbre. En 1967, fut décrété la nationalisation des sociétés étrangères, y compris les banques, les transports, les assurances.
En 1968, l’évacuation de la dernière base militaire occupée par la France à Mers El Kebir (Oran). Dans une deuxième phase, il fut décidé, le 24 février 1971, la nationalisation des hydrocarbures. Enfin, les terres agricoles des colons récupérées et prises en charge par nos paysans pour les exploiter.
L’Algérie et le nouvel ordre mondial, porté par l’Algérie où le discours historique prononcé en avril 1974 par le défunt Houari Boumediène, devenu l’un des leaders du tiers monde à l’Assemblée générale extraordinaire de l’ONU où il a lancé les grandes idées sur les matières premières pour un nouvel ordre économique international (NOEI) qui s’imposera quelques années plus tard et qu’il a réussi à imposer la langue arabe comme langue officielle au niveau des instances de l’ONU.
L’Algérie et l’OPEP : l’Algérie présidait les destinées de l’OPEP dans les années 70, qui a joué un rôle stratégique dans une période historique de la vie de l’Organisation, dont le sommet de l’OPEP à Alger lorsqu’il appelle à la nécessité pour une juste rémunération des hydrocarbures qui intervient après le choc pétrolier de 1973.
Notre pays a mené toute une politique géostratégique qui a considérablement révolutionné le marché pétrolier dans le monde et relevé la part de marché à 55% environ contre aujourd’hui 30%, et les prix du baril ont augmenté de 3 dollars en 1968 à 30 dollars en 1978, pour atteindre enfin 40 dollars en 1980 au profit des pays producteurs de pétrole et des matières premières dans le réajustement des prix sur les marchés mondiaux.
L’Algérie et la présidence de l’ONU, assurée par l’Algérie, invite le président de l’OLP Yasser Arafat, à prendre la parole devant l’assemblée générale de l’ONU qu’elle préside.
L’Algérie et le G77 (groupe des 77), l’Algérie était l’initiatrice et fondatrice et a eu l’honneur à cet effet de recevoir la première de ses conférences en 1967. Elle a débouché sur l’adoption de la Charte d’Alger des droits économiques du tiers-monde, d’où a germé l’idée du groupe BRIC en 2001.
L’Algérie est la Mecque des révolutionnaires, une terre d’accueil de militants en lutte contre l’oppression coloniale ou raciale.
Sur la période des années 67-78
En 14 ans, l’Algérie, l’un des premiers pays industriels du continent africain et du monde arabe où elle s’est dotée notamment d’une plateforme industrielle importante avec la création de près de 70 zones industrielles, les fleurons de l’industrie nationale et des milliers d’entreprises à travers le pays, entre autres : A titre d’exemple, Sonatrch, d’une riche expérience avec 120 000 travailleurs et son organisation qui couvrait toutes les activités de la pétrochimie devenue un Etat dans l’Etat avec la création de plusieurs complexes industriels de transformation et pétrochimiques, dont ceux d’Arzew, Skikda, Annaba, Hassi Messaoud, Hassi Ramel, une base logistique industrielle géante (BCL) à Béni mered et plusieurs réalisations oléoduc ou pipe-line à l’actif de Sonatrach et bien d’autres entreprises géantes de transformation et de production sont nées, à l’instar de Sonacome, SNS El Hadjar, Sonelec, Sonelgaz, Sonatiba, DNC, Snlb, SN Métal, industrie navale, Snmc, Snic, Sonic, Sonatram, Sonarem, Sonitex, industrie pharmaceutique (Saidal-Enapharm), Sogédia, Enmtp, Cnan, Cirta fabrication de tracteurs et moissonneuses-batteuses, Batimétal, Snta, Ofla, industrie cinématographique (Oncic), construction satellites, télécommunications, centre d’étude informatique, centrale nucléaire (Ain Oussara), presse écrite et audiovisuelle (nationale et régionale).
Tout comme aussi nous avions construit une économie locale (EPL) diversifiée, ce qui devait constituer le poumon même des budgets de nos communes ; le plan Comédor qui devait restructurer et moderniser la capitale, voire la projection d’une nouvelle capitale politique, dont le choix était porté sur Boughzoul.
Le tourisme, à travers la construction de zones touristiques et de stations thermales, dont certaines de classe mondiale qui rapportaient environ entre 7% et 10% des revenus en devises fortes. Une agriculture rénovée et organisée en grandes exploitations agricoles (domaines autogérés), la réalisation du Barrage vert inspire aujourd’hui une grande expérience dans la lutte contre la désertification.
L’Algérie produit alors presque tout, dont notamment des tracteurs, des wagons, camions, bus, chalutiers, grues, machines-outils, fer, mercure, or etc., des engrais, des grues, moissonneuses-batteuses, produits pharmaceutiques, téléviseurs, produits alimentaires, médicaments, vêtements, chaussures, tenues sportives et de travail, robinets, serrures, meubles , compteurs électriques, pompes à essence, pompes hydrauliques, mobylettes, bicyclettes, téléviseurs , frigos, climatiseurs, cuisinières, des matières premières minières et de marchandise, nos emballages.
A cette époque-là, l’emploi s’est vu multiplié par cinq. La fiscalité ordinaire assurait les dépenses de fonctionnement du budget de l’Etat, quant à la fiscalité pétrolière est consacrée seulement aux équipements, dont la part consacrée à l’équipement industriel était autour de 45% du produit intérieur brut (PIB) et plus de 50% du total équipement au moment où le pétrole valait sur les marchés mondiaux à moins de 10 dollars le baril ; la part de la production industrielle annuelle évoluait autour de 18 à 25% du PIB et un taux d’intégration de près de 40% en moyenne, voire 80% dans les secteurs mécanique et sidérurgique ; une agriculture rénovée où l’Algérie arriverait à produire la totalité de ses besoins en céréales, en légumes et fruits et à même exporter l’excédent, l’épargne nationale était en moyenne de 40% du PIB ; la stabilité du taux de change dinar/dollar avec un cours de change fluctuant entre 4 DA et 5 DA pour 1 dollar.
Sur le plan de l’éducation, la démocratisation de l’enseignement et la formation a permis à notre pays de se doter de milliers d’écoles, de lycées, d’universités, d’instituts technologiques, de centres de recherche scientifique, de centres nucléaires et de grandes écoles en cinéma, théâtre, musique où le taux d’alphabétisation a atteint près de 75% à la fin des années 70.
Cela grâce à un corps d’enseignant riche, intègre et de rang magistral où l’on parlait d’âge d’or, de l’université algérienne. Et nous avons aujourd’hui éparpillé à travers le monde de très grands chercheurs, médecins, professeurs, économistes, journalistes, financiers, ingénieurs, écrivains etc.
Sur le plan de la culture : L’industrie cinématographique (Oncic) qui produisait en moyenne 20 films par an et le cinéma algérien rayonnait à travers le monde où Lakhdar Hamina, le premier cinéaste arabe et africain à décrocher officiellement une Palme d’or en 1975, le TNA produisait en moyenne 10 pièces par an ainsi que les théâtres régionaux. (A suivre) M. A.