Trois années presque de pandémie mondiale ont provoqué des millions de morts et des complications d’autres affections qui n’ont pu être prises en charge face au raz-de-marée sur les structures hospitalières, quelle que soit la performance des systèmes de santé des pays dits développés et quelle que soit la stratégie adoptée et appliquée.
Les frontières s’ouvrent et les voyages reprennent progressivement. Cependant, nous assistons à une recrudescence dans certains pays se targuant d’avoir le meilleur système de santé et paradoxalement comptent leurs contaminations par milliers et les cas graves par centaines et les morts par dizaines, malgré les campagnes de vaccination massives.
De même, comparativement nos deux pays voisins ont eu plus de contaminations et de morts dues à l’absence de politique sociale de santé publique ou la faiblesse de leurs finances, malgré la bonne volonté de nos collègues praticiens.
Notre pays a eu aussi à subir les affres de cette pandémie avec son lot de morts, de malheurs, de deuil et les conséquences psychologiques et psychiatriques allant parfois au suicide. Nous avons pu constater nos faiblesses, nos insuffisances et nos lacunes.
Nous avons fait face avec tous les moyens dont dispose notre système de santé et la volonté des professionnels de santé, tous corps confondus, qui ont payé un lourd tribut et les mesures prises par les hautes autorités du pays, tels hygiène des mains, port de masques, fermeture des frontières, confinement, distanciation et vaccinations et leurs rappels .
Actuellement dans notre pays, la Covid-19 s’est réduite et nous n’avons pas enregistré de cas graves ni de décès depuis des semaines. Cependant la vigilance doit être de rigueur, en espérant la fin du cauchemar, compte tenu du regain dans certains pays européens.
Tenant compte des moyens dont nous disposons et des constats faits pendant cette pandémie et afin d’anticiper et améliorer les qualités des soins tant réclamées et l’appel à une réforme en profondeur, beaucoup de suggestions et propositions peuvent être émises et certaines peuvent être réalisées sans trop de frais en agissant sur la gouvernance.
Pour dire prosaïquement que la réforme de notre système de santé semble être une «arlésienne», on la mentionne sans pour autant la voir apparaître. Pour rappel, cette expression est issue Des lettres de mon moulin, d’Alphonse Daudet, à la fin du XIXe siècle. Une jeune Arlésienne ne se présenta jamais le jour de son mariage. Son époux l’attendit tellement longtemps, qu’on s’en inspira pour désigner une personne que l’on espère. En d’autres mots, on en parle souvent et on ne la voit jamais venir.
En effet, la concrétisation et la mise en application des projets successifs de cette dite réforme n’ont jamais abouti. Afin d’optimiser et lui donner une importance particulière, un ministère délégué chargé de la réforme hospitalière a été érigé, il n’a vécu que quelques mois, le temps de la rédaction de l’avant-projet initié et coordonné par le ministre délégué nommé pour ses qualités professionnelles.
Mais quelle que soit la durée de l’attente et quels que soient les projets antérieurs dont l’avant-dernier a été soumis et débattu à l’Assemblée nationale par le précédent ministre de la Santé du temps de l’ancien Président, il est impératif d’agir d’une façon intelligente et rationnelle.
Nous pouvons, avec la volonté de tout un chacun, améliorer le quotidien de notre santé publique, aussi bien celui des travailleurs que la qualité de soins et la sécurité des patients .
Nous pouvons, nous devons intervenir et agir sur certains mécanismes organisationnels qui sont certes une évidence qui ont été occultés et banalisés, tels que l’organisation, le fonctionnement, la discipline, le respect des horaires, la présence effective, la rationalisation des congés de détente, des congés scientifiques pour tous quel que soit le statut, les finances relatives aux indemnités de garde et les frais de mission pour les stages au niveau national et à l’étranger pour tous corps professionnels confondus.
Les mots clés ne doivent pas rester au stade théorique, ni des slogans sans lendemain, ils ont comme qualificatifs le décloisonnement, le redéploiement, la coordination, l’harmonisation, la mise à niveau, le suivi, le contrôle, l’arbitrage et la sanction, terme pris le plus souvent sous son attribut négatif, occultant parfois son aspect positif.
Sans procéder à un plan «Marshall» de notre système de santé national, chaque zone sanitaire représentée par la direction de la santé de wilaya doit mobiliser toutes ses ressources humaines à même de s’impliquer dans la réflexion et dans la mise en application des décisions prises en tenant compte des spécificités et particularités de chaque région géographique.
Le point nodal qui reste en deçà de l’attente des citoyens concerne les Urgences médico-chirurgicales (UMC) dont l’activité demeure pour les praticiens la plus pénible, la plus stressante, «la plus burn out» où, le plus souvent, le pronostic vital des patients relève des moyens diagnostics d’autres spécialités, donc d’un plateau technique complet et performant à même de répondre en urgence à la rapidité de la prise en charge.
Leurs (ré)organisations constituent une priorité au sein des structures sanitaires à même de faire face aux urgences vitales. Ces UMC doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des instances publiques et veiller d’une façon stricte et permanente sur la coordination avec les autres spécialités concernées, aussi bien celles qui contribuent aux diagnostics qu’aux spécialités à même de prendre en charge les patients relevant de leur compétence.
L’érection des UMC dans les régions dépourvues de CHU demande certes des moyens, mais aussi une ressource humaine multidisciplinaire et qualifiée à même de répondre aux vraies urgences vitales et la possibilité d’évacuer vers le service d’UMC, référent le plus proche ou le moins éloigné concernant le grand Sud ou les zones inaccessibles montagneuses (les zones d’ombre) où parfois le transport par hélicoptère est une nécessité vitale. Il peut être fait appel au transport aérien (avion ou hélicoptère) de la Protection civile.
Une remarque s’impose afin de lever tout quiproquo entre le service des UMC et les services de réanimation médicale et la réanimation chirurgicale pour les post-opérés compliqués. Augmenter les lits de réanimation médicale permet aux UMC de pouvoir, après le tri en fonction de la pathologie et de l’état du malade, l’orienter ou le confier aux réanimateurs pour sa lourde et complexe prise en charge.
Mais le nombre de lits de réanimation ne peut à lui seul résoudre le problème que vit l’équipe multidisciplinaire composée d’anesthésistes, de réanimateurs, de médecins internistes, de médecins généralistes, en attendant la formation de spécialistes urgentistes par la création de résidanat par arrêté interministériel des deux ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé.
Nous ne pouvons que souligner la complexité de la gestion et de la coordination d’une équipe de praticiens de diverses spécialités cohabitant pour optimiser la qualité de la prise en charge des patients hospitalisés dans le cadre de l’urgence nécessitant leur mise en observation censée se limiter à 48 heures avant leur orientation .
Le nombre de lits ne concerne pas que les services de réanimation, mais d’abord et essentiellement les services des UMC, mais aussi les lits appropriés, équipés au sein des autres spécialités pour ne citer que la médecine interne, la cardiologie, l’hématologie, la pneumologie, etc.
L’expérience des UMC du CHU Beni Messous peut être citée et prise en exemple pour avoir mis en place une stratégie dans le circuit des patients et avoir vécu les difficultés de l’orientation du patient, aussi bien en réanimation médicale que pour placer les patients dans les services de spécialités qui sont censés réserver des lits pour les patients présentant une lourde pathologie et nécessitant des soins particuliers .
La clairvoyance du chef de service, à savoir le professeur MS Haraoubia, et sa fermeté à résister à tous les assauts afin de préserver et séparer les activités des urgences vitales non Covid, ont permis de continuer de prendre en charge les urgences vitales non Covid, tout en s’impliquant dans la mise en place du circuit et la prise en charge de cette pandémie en dehors de la structure des UMC. D’autres axes de réflexion peuvent être émis et proposés dans cette contribution relative aux activités de consultation et de garde.
Concernant l’activité de consultation, il a été aisé et facile d’externaliser les consultations des CHU vers les polycliniques environnantes. La difficulté réside dans la coordination des chefs de services à la tête de leur équipe et les responsables administratifs des polycliniques, sachant que la direction des chu n’a aucune autorité sur ces structures. De même qu’il faut envisager l’intégration des spécialistes de santé publique des polycliniques dans l’activité hospitalière de leur spécialité.
En somme, il faut «démolir les murs de cloisonnement» au sens médical et administratif et favoriser la mobilité dans les deux sens. A défaut de revoir la carte sanitaire qui sera régie par un texte législatif qui relèvera de la réforme en faisant «un clin d’œil» aux secteurs sanitaires universitaires qui ont existé. En attendant les responsables des Directions de la santé de wilaya doivent assumer cette mission, qui est la leur, de coordination étroite entre les deux secteurs de la santé.
Concernant les activités d’urgence et de garde
Le manque flagrant de personnel dans les services de plusieurs spécialités ne leur permet pas d’assurer les soins et de satisfaire les besoins quotidiens des patients en particulier pour les activités de garde. Ne serait-il pas plus judicieux d’opter pour des pools de garde de façon périodique et alternée au niveau d’un chu pour les spécialités spécifiques (la gynéco-obstétrique et la chirurgie infantile). Cette organisation a existé par le passé et existe d’une façon très limitée pour certaines spécialités...
Que chaque responsable, quels que soient le niveau du poste hiérarchique qu’il occupe et les prérogatives qu’il assume, prenne conscience de l’importance à travailler ensemble, de façon rationnelle dans l’intérêt, aussi bien du patient que du praticien et de tout autre personnel.
Nous n’avons pas d’autres solutions que de nous rassembler et de nous unir autour de la même mission, celle de répondre aux besoins de notre population.
Le jumelage avec les secteurs sanitaires du grand Sud a été bénéfique à plus d’un titre pour les citoyens des zones dites «déserts médicaux». Ces échanges doivent être renouvelés, généralisés et améliorés en particulier au sein des facultés de médecine et chu y afférents en sensibilisant et motivant les professeurs n’ayant plus de prérogatives de chef de service et n’étant pas à la retraite (entre 67 et 70 ans ) et les retraités avec la formule classique de professeur associé.
D’autres suggestions et propositions peuvent être faites concernant le secteur privé dans les wilayas avec ou sans chu .
C’est l’interaction et la complémentarité des deux secteurs, public et privé, où des gardes de spécialistes privés peuvent se faire au niveau des structures publiques et l’exercice du personnel, aussi bien médical que paramédical exerçant dans les cliniques privées, et ils sont nombreux, doivent être officialisés, car c’est se voiler la face que de faire semblant d’ignorer que la majorité du personnel de permanence et de garde vient du secteur public.
Par ailleurs, nous pouvons impliquer cette ressource intarissable que sont les étudiants en médecine en fin de cycle clinique qui ne demandent qu’à mettre en pratique leurs connaissances théoriques, travailler et se rendre utile en «faisant fonction d’interne en médecine» pendant les grandes vacances d’été, comme nous l’avons fait par le passé où nous avons apporté la fraîcheur, le dynamisme, l’enthousiasme et avons comblé le déficit des médecins généralistes et spécialistes pendant les années 70’. Il ne peut y avoir une réforme en profondeur s’il n’y a pas de réorganisation des activités telles que conçues actuellement dans notre système sanitaire le plus souvent se trouvant antagoniste entre eux public, privé et dans le même secteur public entre hospitalo-universitaires et santé publique.
La coordination entre les différents secteurs de même spécialité peut se faire via un comité régional de spécialité au sein de la direction de santé de wilaya appelé CRS. Un comité national de spécialité CNS coiffe et coordonne ces CRS en définissant sa composante.
Le «travailler» ensemble, unir nos forces, nous rassembler est un impératif pour améliorer aussi bien les conditions de travail des professionnels de la santé que la qualité de la prise en charge des patients.
Nous devons agir d’une façon pratique, pragmatique, en tenant compte de la réalité du terrain, en nous adaptant à l’environnement, en exploitant l’espace et le temps. Ne dit-on pas que «l’intelligence est la faculté de s’adapter aux différentes situations» ? Omar Zemirli