Rachida Toumi. Orthophoniste et spécialiste du trouble du langage et des apprentissages : «La surexposition aux écrans freine l’acquisition du langage»

22/10/2024 mis à jour: 02:02
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Photo : D. R.

Le retard de langage constaté de plus en plus chez les enfants de bas âge est le résultat de leur exposition et surexposition à l’écran. L’orthophoniste, spécialiste du trouble du langage et des apprentissages Rachida Toumi explique, dans cet entretien, que l’usage excessif de tout type d’écran impacte directement la santé physique, psychologique et cognitive de l’enfant. La pandémie de la Covid-19 est aussi passée par là pour encore compliquer la situation.

  • Selon vos différentes consultations, les enfants surexposés aux écrans ont plus de risque de souffrir d’un retard de langage que les autres. Quel constat faites-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je sollicite tout professionnel, pédiatre, ORL, orthophoniste ou autre d’avoir le réflexe, devant un retard de langage chez l’enfant entre 18 mois et trois ans, de penser et ne pas de perdre de vue le facteur des écrans. Le terrain pratique nous confirme de jour au jour qu’une surexposition peut avoir des effets délétères sur l’acquisition du langage.

Un retard qui s’installe à bas bruit au fil du temps. Cette surexposition freine l’acquisition du langage et le développement de l’enfant. Le bébé naît avec un cerveau immature de connexion, très pauvre, et tout est à structurer de 0 à 3 ans. A cette tranche d’âge, tout le cerveau est en construction. Passer trop de temps devant un écran peut donc retarder l’acquisition du langage, parce que la parole est une information affective et non informative.

Aussi, vu le nombre de neurones chez le bébé, il est facile à altérer, mais aussi facile à réparer. Il faut juste comprendre que les parents sont ceux qui marquent les paramètres empruntés dans le cerveau de l’enfant, et que ce dernier développe ses connexions cérébrales en trois dimensions. Aussi, une chose très importante, le retard de langage interpelle le plus les parents parce qu’il est facile à repérer, par contre pour le développement, ils n’arrivent pas à reconnaître ou détecter si anomalie il y a.

Autrement dit, ils ne connaissent pas les différentes étapes. La surexposition veut dire l’usage excessif et mal maîtrise. Il y a un impact sur la santé physique, psychologique et cognitive. Tous les enfants que je reçois dans mon cabinet n’ont pas tous les mêmes troubles, mais de façon générale, on retrouve des troubles qui touchent les compétences de la petite enfance, et aussi la motricité globale, fine, le langage et les habilités sociales.

  • Y a-t-il un lien entre la pandémie de Covid-19 et la surexposition des enfants aux écrans ? 

Le langage humain résulte de l’interaction entre les prédispositions de l’enfant et les informations qui proviennent de son environnement. Pour les bébés nés pendant la pandémie, l'environnement social et linguistique leur a été restreint au vu des mesures de restriction imposées à cette période pour limiter la propagation du virus.

Des mesures qui ont induit une dégradation des repères auditifs et visuels pour les enfants, impactant négativement le développement de la communication et du langage oral chez l’enfant. Aussi, les parents ont dû compenser cette distanciation sociale par les écrans, croyant renforcer la stimulation langagière chez leurs enfants. La majorité des enfants nés pendant cette pandémie de Covid-19 présente des compétences langagières atypiques au regard de la population normative. Les performances verbales sont moins bonnes en termes lexical et morphosyntaxique.

  • On parle d’épidémie silencieuse, de nouvelles pathologies liées au virtuel sans que les parents se rendent compte…

En examinant tous les dossiers de mes enfants – patients depuis plus d’une dizaine d’années –, nous remarquons que de plus en plus les troubles du développement sont très fréquents. En consultation orthophonique, des difficultés scolaires, des déficits d’attention et de concentration sont enregistrés. Et je dirais que les dégâts et l’impact de l’écran concernent tous les âges, surtout en termes de sédentarité, l’écran veut dire zéro activité, ce qui engendre des maladies cardiovasculaires et le diabète.

  • Quelles solutions proposez-vous pour limiter les dégâts de cette surexposition ?

D’abord, il faut que les parents se déconnectent et se retirent des écrans, et suggèrent les activités favorites des enfants, et c'est mieux si ces activités sont pratiquées avec les parents. En général, je propose aux parents d’expliquer à leurs enfants les méfaits de l’écran. Les impacts sur le cerveau et les yeux.

Le plus important est d’offrir un «timing» du Net, pour les ménager, ensuite des pauses. Les deux parties doivent s’entendre sur le chronomètre de manière à le respecter. C’est-à-dire le contrôler en contenu et en temps. En conclusion, je dirai que les écrans sont là et il faut faire avec. Jouez avec vos enfants, car si vous êtes à côté, c’est moins dangereux, tant qu’il y a un bon usage.

Mais je conseille aux parents d'offrir une autre vie à leurs enfants que d’être en face d'un écran. Pour se développer, l’enfant a besoin d'interactions humaines, de sortir, de pratiquer du sport, de lire, jouer avec des jouets réels.

 

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