Rachat de Twitter par Elon Musk : Quand la réalité rattrape l’esbroufe

11/03/2023 mis à jour: 06:43
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La poussière soulevée par les aléas de l’opération de rachat du site de microblogging Twitter par le milliardaire américain d’origine sud-africaine Elon Musk, n’est pas totalement retombée que les première failles dans le «managment toxique» du nouveau propriétaire font déjà craindre le pire pour le devenir d’une application déjà en mal de modèle économique. 

Beaucoup d’analystes s’interrogent encore sur les réelles motivations d’Elon Musk quand il a décidé de mener l’aventure de l’acquisition d’une application de microblogging, réputée pour les difficultés de son modèle économique jamais stabilisé, que lui-même comparait il y a peu à «un avion piquant vers le sol à vive allure avec ses moteurs en flammes et des commandes qui ne répondent plus», lit-on dans un article  du site du quotidien français lemonde.fr, mis en ligne le 26 décembre dernier. 

A-t-il été mu «par idéologie et par arrogance», comme le suggère ce même article, aurait-il, tout simplement sous-estimé les contraintes de la gestion d’un service de l’internet, animé par les usagers, lui qui a connu ses grands faits d’armes dans l’industrie de l’automobile et de l’aérospatial, ou faut-il seulement donner du crédit à ses propres professions de foi  lui qui se disait champion de la liberté d’expression, venu «libérer l’oiseau» de l’emprise des nécessités de la régulation et de la modération des contenus ? Les interrogations sur ces motivations se justifient, d’autant lorsque l’on parcourt le graphe des résultats financiers de Twitter indiquant une perte de l’ordre de 4 milliards de dollars pour l’année 2022, avec une prévision de perte de chiffre d’affaires estimée  par Elon Musk  à environ 40%. Avec tout cela, le nouveau propriétaire, qui a mis sur la table 44 milliards de dollars pour conclure l’affaire, a dû passer par un crédit bancaire de l’ordre de 12,5 milliards de dollars, susceptible d’une variation en hausse des taux d’intérêt. 

Conclue en octobre dernier, l’acquisition de Twitter  ne traduit pas encore par de retentissants résultats sur l’évolution du site de mircoblogging, bien au contraire. La gestion d’Elon Musk, qualifiée par ses employés de «management toxique» se caractérise par une prise de décision sur «coup de tête», une pression insoutenable sur ses collaborateurs, ou du moins le peu qu’il a gardé pari ses employés. 

En effet, son arrivée à la tête, il a libéré par un simple tweet, plus de la moitié des travailleurs, auxquels il a concédé une indemnité de trois mois de salaire. 

Pour mieux illustrer son nouveau pouvoir, il liquide tous les membres du conseil d’administration, pour rester comme administrateur unique. Pour le reste des employés, il demande beaucoup de sueur et de sacrifices, dans le pur style de ses méthodes de management des autres sociétés qu’il a eu à gérer ? «Ils sont invités à s’engager totalement dans leur stratégie, ou quitter le navire : travailler dur ou partir. Elon Musk donne 24 heures à ses équipes pour prendre une décision. Sans retour, ils seront licenciés et bénéficieront d’une indemnité équivalente à trois mois de salaire», rapporte le site de la télévision française bfmtv.com, dans une information insérée le 21 décembre 2022. 

Inutile de s’attarder sur l’ambiance pesante qui règne au sein de la société Twitter depuis son rachat, illustrée par de nombreux témoignages recueillis par des sites spécialisés d’employés désabusés de voir leurs heures de travail s’allonger, la pression des résultats augmenter, et les limites de leur vie privée et professionnelle s’estomper graduellement. 

Venu pour libérer l’oiseau, comme il s’est plu à le déclarer, Elon Musk ne semble pas faire mieux sur le registre de la liberté de parole et d’expression sur le site de microblogging, réputé pour sa rigoureuse politique de modération des contenus qui l’a mené jusqu’à la fermeture  du compte de Donald Trump alors président en exercice des Etats-Unis. 

Pour marquer une nouvelle phase dans la politique de modération, Elon Musk remercie par un simple email les membres du Conseil de confiance et de sécurité, organe conseil, constitué de personnalités de la société civile qui épaule Twitter dans ses choix éditoriaux et sa politique de modération du contenu et de l’expression. 

«Nous réévaluons la meilleure façon d’apporter des points de vue externes dans notre travail de développement de produits et de politiques. Dans le cadre de ce processus, nous avons décidé que le Conseil de confiance et de sécurité n’est pas la meilleure structure», indique un passage de cet email repris par le site français lesnumériques.com, dans un article mis en ligne le 13 décembre dernier, qui fait état de la réaction de certains acteurs de la société civile, inquiets par cette dissolution. 

D’abord celle d’un responsable d’une ONG activant dans le secteur de l’éducation, qui voit, à travers cette dissolution que «Elon ne veut pas de critiques et il ne souhaite vraiment pas le genre de conseils qu’il recevrait, très certainement, d’un groupe consultatif sur la sécurité, qui lui dirait probablement de réembaucher une partie du personnel dont il s’est débarrassé, et de rétablir certaines règles». 

Ensuite  une déclaration de la présidente du Comité de protection des journalistes, s’alarmant du fait que  « La décision d’aujourd’hui de dissoudre le Conseil de confiance et de sécurité est très préoccupante, d’autant plus qu’elle est couplée à des déclarations de plus en plus hostiles du propriétaire de Twitter, Elon Musk, à propos des journalistes et des médias ». 

Sur le registre de la libération de la parole sur Twitter, Elon Musk s’est parfaitement mêlé les pinceaux en agissant avec des poids et des mesures à géométries variables ; s’il a rétabli les comptes de Donald Trump, pour ceux du rappeur américain Kane West, il les a libérés avant de  faire marche arrière, au motif d’un «appel à la violence». 

Parallèlement, le couperet des suspensions de compte est reparti de plus belle, visant notamment les comptes qui s’intéressent aux tracé de son jet privé ainsi que ceux des journalistes qui en font état : «Finalement, il est allé jusqu’à supprimer 25 comptes qui suivaient des trajets de jet privé», peut-on lire dans un article mis en ligne le 21 décembre par le site de la télévision française bfmtv.com.

Par Smail Oulebsir  
Enseignant en sciences de l’information et de la communication

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