Quid de la neutralité du sport ?

05/03/2022 mis à jour: 16:55
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Le siège de la Fifa à Zurich (Suisse)

Les instances du sport mondial, à travers la FIFA et l’UEFA, viennent de prendre des sanctions contre les représentants de la Russie, dans les compétitions internationales, menaçant même la suspension de l’EN russe de football, pour le prochain Mondial au Qatar. 
 

Ces décisions hâtives signent la prise de position des dirigeants du sport universel dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, alors que ces mêmes responsables ne cessent d’appeler à la non-ingérence du politique dans le sport, avec des menaces de sanction contre tout contrevenant à ces mesures retenues dans les textes relatifs à la gestion du sport. Le football, particulièrement, a souvent été confronté à des manipulations politiques, par des dirigeants soucieux de calmer les tensions populaires, de causes politiques ou sociales.

 L’expert en géopolitique Pascal Boniface a imputé cette motivation des gouvernements pour la politisation du sport, à la large médiatisation de cette activité et ses répercussions sur le comportement des populations. Notre pays a bénéficié de cet apport médiatique du football, dès la période révolutionnaire, à travers l’Equipe du FLN, composée de joueurs connus du championnat français, qui avaient pris la lourde et courageuse décision de suspendre leurs carrières sportives pour servir la cause de dignité nationale. 

Cette contribution, largement médiatisée à l’époque, avait poussé le grand dirigeant politique Ferhat Abbes à reconnaitre que l’impact mondial des tournois de l’équipe FLN équivalait à plus de dix années de diplomatie. Le sport a permis également, depuis la forte implication des médias et de l’argent, des promotions sociales et même politiques, hissant le pratiquant performant à des niveaux de fortunes parfois colossales, suscitant des rêves chez les jeunes, qui préfèrent se voir joueur professionnel que médecin, ingénieur ou autre profil intellectuel. N’est-ce pas grâce à la notoriété acquise par le football, que le Libérien Georges Weah est devenu président de la République de son pays ? 

L’impact médiatique du sport et son profond ancrage populaire en ont fait un véritable phénomène social à dimension parfois belliqueuse. C’est dans cette perspective qu’ont surgi les premières utilisations du sport à des fins politiques, ce dernier étant vécu comme une sphère d’affrontement, alimentant la notion d’adversité, avec un vocabulaire sémantique d’aspect militaire : combat, lutte, victoire, stratégie.

 Ainsi la confrontation sportive est venue tempérer les humeurs guerrières, en proposant un terrain d’affrontement alternatif, l’esprit pacifié du sport jouant le rôle d’exutoire. Malheureusement, le chauvinisme d’une part et la manipulation des foules d’autre part, ont parfois provoqué des dérapages plus ou moins graves, à l’image de la guerre entre le Honduras et le Salvador en juillet 1969, suite à un match qualificatif de football, ou plus récemment la crise engendrée par la rencontre de Oum Derman entre l’Algérie et l’Egypte, laquelle avait failli dégénérer, n’était la sagesse politique de nos dirigeants. 
 

Le sport a également servi au règlement des crises, comme celle ayant opposé les USA à la Chine et qui a pris fin grâce à un tournoi de tennis de table impliquant les deux nations, ce qui avait justifié le titre de «diplomatie du ping pong», conforté par la visite à Pekin du président américain Richard Nixon en 1972. Le comportement discriminatoire adopté par certains Etats, à travers leurs représentants sportifs, lors de compétitions internationales, a poussé les dirigeants du sport mondial, à imposer la non- ingérence de la politique dans le sport. 
 

Le judo algérien a été, à cet effet, sanctionné, à travers la suspension de son représentant Fethi Nourine, qui avait refusé d’affronter l’adversaire israélien, lors des derniers JO de Tokyo. Pour conforter ce souhait d’indépendance du sport par rapport à la politique, j’avais suggéré à plusieurs reprises, dans des articles précédents et des courriers aux instances sportives internationales, de remplacer les hymnes nationaux par des hymnes sportifs, les premiers étant l’expression la plus politique de la représentation nationale. 
 

Il faudrait cependant que les dirigeants du sport mondial comprennent que l’exigence de la séparation du sport de la politique doit être respectée par les gouvernements et par les responsables du sport. Le sport ne doit être sollicité, hors compétitions officielles, que pour favoriser la paix et le rapprochement des populations en hostilité, tel que le fait l’ancien olympien français Joël Bouzou, par le biais de son association «Paix et sport». 

Par éthique, morale et respect des valeurs olympiques, les dirigeants des instances mondiales du sport n’ont pas le droit de prendre position dans les conflits guerriers. A défaut, ils pourraient contribuer à ramener la paix, rappelant ainsi le mot d’ordre olympique, datant des jeux de l’Antiquité, imposant l’arrêt de toute hostilité durant les jeux sportifs. 

Les décisions prises à l’encontre des représentants de la Russie pour les compétitions internationales ne peuvent qu’attiser la haine et affecter la neutralité politique du mouvement sportif. Des conflits plus dramatiques ont été délibérément provoqués en Irak, en Syrie, en Libye, en Palestine, sans que les instances sportives internationales se soient ingérées, hormis les rencontres sportives d’amitié organisées par l’association «Paix et sport». 

Cette attitude discriminatoire, dans le conflit russo-ukrainien, risque d’affecter l’esprit pacifique et de neutralité politique, soutenu par la charte olympique et les textes régissant la gestion du sport. Lors d’une récente intervention sur un plateau de télévision, l’ancienne candidate à la présidentielle française, Ségolène Royale, avait recommandé de convoquer une conférence mondiale pour la paix, pour trouver une solution au conflit russo-ukrainien. L’ancien olympien Joël Bouzou et son association «Paix et sport» développe des initiatives de pacification des relations entre populations en hostilité. 

Ces deux modèles devraient constituer des références pour asseoir la paix dans le monde. Le sport doit respecter ses valeurs fondamentales en faveur de la paix et de la tolérance ; il ne doit être sollicité que pour rassembler, jamais pour aggraver la division.

 

Par le Pr Rachid Hanifi  

Ancien président du Comité olympique algérien

 

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