Une semaine après l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, le mouvement de résistance palestinien lui a désigné un successeur. Et c’est Yahya Sinwar, l’homme le plus recherché par Israël, qui a été choisi pour succéder au défunt chef du bureau politique du Hamas. Haniyeh a été, pour rappel, assassiné le 31 juillet à Téhéran où il assistait à l’investiture du nouveau président iranien.
« Le mouvement de résistance palestinien Hamas annonce avoir choisi Yahya Sinwar comme nouveau président du bureau politique du mouvement en remplacement du leader martyr Ismaïl Haniyeh», a annoncé Hamas mardi soir dans un communiqué laconique.
Pour ce responsable du mouvement palestinien qui a accordé une déclaration à l’AFP sous le sceau de l’anonymat, cette désignation envoie un «message fort» à Israël, dix mois après le début de la guerre contre Ghaza. «C’est un message fort adressé à l’occupant (Israël) selon lequel le Hamas poursuit sur la voie de la résistance», a de fait affirmé ce haut cadre du parti islamiste palestinien. «L’assassinat de Haniyeh, qui croyait en la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et d’un accord d’échange de prisonniers, conduit le Hamas à choisir un dirigeant qui gère la lutte et la résistance contre l’ennemi», a-t-il ajouté. Ibrahim Al Madhoun, écrivain et analyste politique palestinien, estime dans une déclaration à l’agence turque Anadolu qu’«il ne fait aucun doute que le choix de Sinwar à ce poste est un défi à l’occupation israélienne et montre que l’homme reste efficace, fort et maître du terrain à Ghaza malgré la guerre israélienne en cours depuis près de dix mois».
Pour Ibrahim Al Madhoun, «la désignation de Sinwar était naturelle en interne, puisqu’il était l’adjoint de Haniyeh en tant que chef du Hamas à Ghaza».
23 ans dans les geôles israéliennes
Yahya Ibrahim Hassan Sinwar alias Abou Ibrahim aura bientôt 62 ans. Il est né le 29 octobre 1962 à Khan Younès, au sud de la bande de Ghaza. A l’instar de 70% de la population de Ghaza, sa famille fait partie des réfugiés de 1948. Celle-ci est originaire de la ville d’Al Majdal, dans la Palestine historique, devenue Ashkelon après l’occupation israélienne. Sinwar porte donc profondément en lui le traumatisme de la Nakba. Le jeune Yahya fera toute sa scolarité dans la bande de Ghaza. «Yahya Al Sinwar a fait ses études dans les écoles du camp de Khan Younès, puis a complété ses études à l’Université islamique, où il a obtenu un diplôme en langue arabe», écrit le quotidien londonien Al Sharq Al Awssat. Son activisme politique se met d’abord en place dans les milieux estudiantins. «Pendant ses années d’université, il a dirigé le ''Bloc islamique'', la branche étudiante des Frères musulmans», indique l’agence turque Anadolu. Lorsqu’éclate la première Intifada en décembre 1987 à partir du camp de Jabaliya à Ghaza, il s’engage furieusement dans l’insurrection. Fin 1987, le Hamas est officiellement créé dans le feu de l’Intifada. Yahya Sinwar participe à la création du mouvement de résistance palestinien. Quelques mois plus tard, il fonde le «Majd», l’appareil de sécurité du Hamas.
Cet appareil «s’occupe de missions sensibles qui consistent notamment à traquer des agents et des personnes associés aux services de sécurité israéliens», note Al Sharq Al Awssat. L’engagement précoce et l’activisme de Sinwar lui vaudront de multiples arrestations et emprisonnements. «Sinwar a été arrêté pour la première fois par Israël en 1982, à l'âge de 19 ans, pour ''activités islamiques'', puis à nouveau en 1985. C'est à cette époque qu'il a gagné la confiance du fondateur du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine, en fauteuil roulant», indique un article du site BBC News Afrique. Yahya Sinwar est de nouveau arrêté, mais cette fois sous de graves chefs d’inculpation qui lui vaudront plusieurs condamnations à la prison à vie. «En 1988, Sinwar aurait planifié l’enlèvement et le meurtre de deux soldats israéliens. Reconnu coupable par Israël (et inculpé en outre) du meurtre de 12 Palestiniens, il est condamné à quatre peines de prison à perpétuité», précise l’article publié sur le site de la BBC.
En tout, Sinwar passera 23 ans en prison. Son incarcération se prolonge jusqu’en 2011. Durant sa longue captivité, «il a dirigé le Hamas dans les prisons en emportant avec lui son obsession sécuritaire. Il maîtrisait la langue hébraïque, enseignait la grammaire pure à ses camarades, menait des grèves et des négociations, remportait des victoires et en perdait d’autres.
Le temps semblait difficile à l’intérieur de la prison, alors que la roue du conflit tournait hors de ses murs. Soulèvements, guerres et mirages de paix. Plus de deux décennies de captivité n’ont pas affaibli la conviction de l’homme que sa liberté était proche. Son frère a kidnappé un soldat israélien et le Hamas l’a échangé contre 1000 prisonniers palestiniens. Yahya était à leur tête. Il est sorti pour jouer des rôles importants qui ont façonné de nouveaux aspects du conflit», relate Al Sharq Al Awssat. Yahya Sinwar sera libéré en effet à la faveur d’un accord d’échange de prisonniers dans le cadre de l’affaire du soldat Gilad Shalit. Ce dernier était détenu par Hamas depuis le 25 juin 2006. L’accord a été signé le 11 octobre 2011 «sous médiation égyptienne pour échanger le soldat franco-israélien Gilad Shalit contre un millier de prisonniers palestiniens», rapportait alors l’AFP.
Blinken : «M. Sinwar reste le principal décideur pour la conclusion d’un cessez-le-feu»
En 2017, Yahya Sinwar est élu chef politique du Hamas dans la bande de Ghaza. En 2021, il est réélu pour un autre mandat. Fort de sa nouvelle stature politique, «il impulse une stratégie radicale sur le plan militaire et pragmatique en politique», analyse, dans un entretien à l’AFP, Leïla Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (Carep) à Paris. «Il ne prône pas la force pour la force mais pour amener les Israéliens aux négociations», souligne la politiste. «Sur le plan politique, il prône une direction palestinienne unie pour tous les Territoires occupés : la bande de Ghaza, tenue par le Hamas, la Cisjordanie, administrée par le Fatah de Mahmoud Abbas, et Jérusalem-Est», ajoute Mme Seurat.
Considéré par Israël comme le véritable cerveau de l’opération «Tofane Al Aqsa» (Déluge d’Al Aqsa), Yahya Sinwar n’est plus apparu en public depuis les attaques du 7 octobre, ce qui a contribué à alimenter son mythe jusqu’à l’ériger en véritable légende vivante. Traqué frénétiquement par l’armée israélienne qui le considère comme un «mort en sursis», il se déplace comme une ombre furtive dans les tunnels de Ghaza. L’occupant sioniste a affirmé avoir éliminé le chef d’état-major des Bridades Ezzedine El Qassam et commandant opérationnel des attaques du 7 octobre, Mohamed Al Daïf, suite au bombardement du camp d’Al Mawassi le 13 juillet qui avait fait 92 morts.
Cependant, malgré les frappes intenses qui n’ont cessé de pleuvoir sur Ghaza depuis dix mois, Sinwar a toujours la vie sauve au désespoir de Netanyahu. Une rare photo de lui avait fait le «buzz» il y a quelques mois : on voyait l’homme aux cheveux blancs coupés courts et aux traits sévères, assis tranquillement dans un fauteuil au milieu d’une maison bombardée à Ghaza, entouré d’une montagne de décombres. Vêtu d’une chemise impeccable, la barbe taillée avec soin, il dégageait beaucoup de sérénité sur cette image, et beaucoup de charisme. Une belle opération de com’ qui renforçait son mythe.
Maintenant qu’il est désigné à la tête du Hamas, va-t-il continuer à se cacher ? Après le sort subi par Haniyeh, la prudence est plus que jamais de mise, surtout le concernant. Israël n’hésitera pas à l’éliminer à la première occasion.
En même temps, Antony Blinken vient de déclarer que Sinwar reste un interlocuteur important pour les Etats-Unis dans le processus de négociations autour d’un cessez-le-feu à Ghaza. « M. Sinwar a été et reste le principal décideur pour la conclusion d’un cessez-le-feu», a martelé le secrétaire d’Etat américain, rapportent plusieurs médias. «Comme c’est le cas depuis un certain temps, cela dépend vraiment de lui», a insisté M. Blinken.
Il s’exprimait lors d’une conférence de presse dans le Maryland, mardi, peu après l’annonce par le Hamas de son nouveau leadership. La promotion à ce poste de Yahya Sinwar, a-t-il estimé, «ne fait que souligner le fait que la décision d’aller de l’avant avec un cessez-le-feu est maintenant réellement entre ses mains».
Le chef de la diplomatie américaine a précisé que les discussions n’étaient pas interrompues malgré l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh. Mustapha Benfodil