Qui contrôle le Mali, contrôle toute l’Afrique de l’Ouest

11/02/2024 mis à jour: 10:40
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La vie géopolitique au Mali ressemble à s’y méprendre à une série TV interminable, mais dont l’issue finale pourrait bien être fatale aux Maliens et à leurs voisins sahéliens.

Depuis leur prise du pouvoir au Mali en 2021 - suivi par leurs pairs burkinabé et nigériens, respectivement en 2022 et 2023 - la junte militaire menée par Assimi Goïta, ne cesse de prendre des décisions géopolitiques, dont la finalité demeure dangereuse pour toute la région du Sahel et au-delà. La dernière étant l’annonce en janvier 2024 par les militaires maliens - conjointement avec les juntes nigérienne et burkinabé, formant ainsi l’Alliance du Sahel - de leur retrait de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). 

Ce dernier épisode n’est pourtant que la suite d’une série de mesures et décisions prises par Bamako depuis 2021.  Pour rappel, après leur prise du pouvoir, la junte malienne invitait la force militaire Barkhane à quitter le pays en 2022, suivie ensuite par la force onusienne de stabilisation au Mali (MINUSMA) en décembre 2023.

 Quelques jours avant leur décision de se retirer de la CEDEAO, ces mêmes militaires maliens annonçaient leur retrait de l’accord d’Alger signé en 2015, accusant au passage l’Algérie d’interférer dans les affaires internes maliennes. Pourtant, l’Accord d’Alger - aussi perfectible qu’il puisse être - appuyé par l’Union africaine et la CEDEAO, demeure l’unique base solide pour une réconciliation inter-malienne. 

Le Conseil de sécurité des Nations unies reconnait lui-même que l’Accord d’Alger demeure central pour la paix et la réconciliation au Mali, à même de garantir la consécration de la souveraineté de la République du Mali, son unité nationale et son intégrité territoriale. 

De même, Washington se dit aussi préoccupé par la situation au Mali, «regrettant le retrait du gouvernement (malien) de l’accord d’Alger qui, s’il était pleinement mis en œuvre, aurait apporté plus de stabilité à tous les Maliens et à toute la région». L’Union européenne, quant à elle, souligne la nécessité de donner la priorité au dialogue inclusif, tel que stipulé dans l’Accord d’Alger. 
 

Jeu d’échecs aux multiples acteurs

Car se qui se joue actuellement au Mali va bien au-delà de ce seul pays et des choix fait par les militaires maliens. En cela, ces différentes décisions soulignent deux points essentiels. Le premier indique un nouveau positionnement de Bamako, qui pense pouvoir s’appuyer sur ses nouveaux alliés, afin de contrecarrer, voire effacer, l’influence française et américaine au Sahel. 

En effet, suite au départ de Barkhane et les positions anti-française des militaires maliens, nigériens et burkinabés, d’autres pays se sont engouffrés dans la brèche sahélienne afin de pouvoir exercer leur influence dans la région. La Russie, la Chine, la Turquie cherchent tous à (re)positionner leurs pions politico-économiques dans cette région du Sahel où tout reste à (re)construire. 

Ces derniers ne sont pas les seuls intéressés. D’autres pays émergents tels que les Emirats arabes unis s’impliquent de manière croissante, directement ou pas dans cette reconfiguration régionale. Le Maroc n’est pas en reste, proposant récemment à ces quatre pays enclavés que sont le Mali, le Niger, le Burkina Faso ainsi que le Tchad, un accès à l’Atlantique (afin de stimuler leur croissance), à travers le port de Dakhla, situé dans les territoires occupés du Sahara occidental.
 

Qui contrôle le Mali contrôle l’Afrique de l’Ouest, si ce n’est toute l’Afrique

Le deuxième point crucial est que Bamako - ainsi que Niamey et Ouagadougou - pratique une politique de l’immédiateté qui risque fort de s’avérer contre-productive voire catastrophique pour la région, dans le moyen et long termes. 

Ces récents évènements et décisions démontrent aussi et surtout l’amateurisme politique lié à l’absence de vision géostratégique de la junte malienne. Les Peuls disent : «fêram boni»,soulignant ainsi qu’il n’y a plus de stratégie, plus de vision stratégique. Et comme le dit l’historien Malien Doulaye Konaté, «qui contrôle le Mali, contrôle l’Afrique de l’Ouest, si ce n’est toute l’Afrique». Aussi, sans doute, la réponse à toutes ces récentes décisions émanant de la junte de Bamako se trouve-t-elle là. 

Car il va sans dire que dans cette nouvelle configuration régionale à laquelle nous assistons, les slogans indépendantistes et nationalistes de la junte militaire malienne et leurs pairs nigériens et burkinabés cachent leur profonde naïveté. En cela, ils ne sont que les idiots utiles d’une réorganisation géostratégique, dont ils ne sont nullement les acteurs principaux, mais de simples figurants. Il ne fait aussi aucun doute que cette multiplication d’acteurs politico-économique et militaires étrangers - étatiques ou à travers des milices telles que Wagner - ne fera qu’exacerber la crise sahélienne, transformant cette région déjà instable en terrain de confrontation géostratégique entre ces différents protagonistes. 

Aussi, après l’euphorie de cette politique souverainiste qui s’apparente énormément à une victoire à la Pyrrhus, le réveil risque toutefois d’être très douloureux pour les population de ces pays. 

 

Par Abdelkader Abderrahmane   

Chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique

 

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