Quartier de Ain K’çiba à Cherchell : Un monument historique et culturel en ruine

02/04/2024 mis à jour: 03:54
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Ce quartier avec ses précieuses valeurs s’est transformé en lambeaux

Ain K’çiba, un quartier populaire de la ville de Cherchell, un patrimoine historique et culturel, déchiqueté par l’homme, le béton, le séisme des années 80, les aléas de la nature, la période de la décennie noire, autant de facteurs qui sont à l’origine de la situation catastrophique de ce quartier populaire. 

Selon un recensement des citoyens, 25 chouhadas habitaient dans ce quartier, dont l’unique mère de famille, la martyre Yamina Oudaï. L’écrivaine, la moudjahida et l’académicienne Assia Djebar venait passer ses vacances dans la maison familiale, mitoyenne avec l’école coranique Errachidia. 

Ce quartier avec ses précieuses valeurs s’est transformé en lambeaux. Ce monument historique et culturel, agressé depuis l’indépendance, a été abandonné par ceux censés le protéger. Ces dernières décennies, il a perdu son intégrité et son authenticité. Il ne reste qu’un mince espoir qui permet de protéger son infime état physique déjà violemment ébranlé. Néanmoins, une nouvelle étude et un financement demeurent impératifs, si les pouvoirs se mettent à son chevet. 

Lors de sa première visite effectuée le 18 mars au niveau de l’une des zones du quartier de Ain K’çiba, le wali de Tipasa, Boucetta Aboubakr Essedik, a proposé aux autorités locales de la ville l’enregistrement du projet qui tiendra compte de son esthétique, de son glorieux passé historique et de son patrimoine architectural. Contacté par nos soins, le Professeur, enseignant universitaire et chercheur, Youcef Chenaoui, affirme sans ambage : «Sincèrement, le site de Ain K’çiba est alétéré, de très nombreux témoins des maisons ont disparu. Allez-y visiter le site de Ain K’çiba aujourd’hui, il est devenu hétérogène dans le style architectural avec les nouvelles constructions. Donc, toute idée de réhabilitation de toute la médina est à écarter. 

Par conséquent, personnellement, je suis sceptique pour la réhabilitation de l’ensemble du site de Ain K’çiba. Il y a des poches vides, il y a des maisons qui sont en ruines, explique-t-il. Sachant qu’une action a été initiée par la société civile locale, cette action a touché tous les sites et monuments du centre urbain de Cherchell, pas uniquement le site de Ain K’çiba qui a perdu son intégrité physique et son authenticité, indique l’expert en architecture. L’extension du quartier de Ain K’çiba s’est développée vers l’Est durant la période ottomane.  Selon des statistiques à l’aube de l’arrivée de l’armée coloniale française, le quartier de Ain K’çiba  était composé de 500 maisons, toutes construites selon le style andalou-ottoman. De nombreuses familles cherchelloises, qui occupaient leurs maisons,  avaient fui vers les montagnes. Ain K’çiba est devenue une ville ouverte investie au départ par les soldats et colons français, vers 1840». 

 «Il ne faut pas se leurrer à présent, le secteur sauvegardé a ses règles, or Ain K’çiba est devenu un quartier fantomatique. Il faut un recensement maison par maison, y compris les ruelles. Toutes les activités artisanales et commerciales du quartier ont complètement disparu, par exemple la boulangerie artisanale et bien d’autres petits commerces. Il y a un sérieux travail, de surcroît approfondi, à concrétiser, qu’il faut ensuite faire approuver par la wilaya de Tipasa et le soumettre au ministère de la Culture et des Arts, pour que ce dernier puisse programmer le projet et prévoir un budget», nous dit-il. Les décideurs de la wilaya de Tipasa doivent se baser sur le PPMVSA (Plan de protection et de mise en valeur des sites archéologiques) de Cherchell, adopté en 2012. Richa Mohamed était le chef de projet. A la suite de sa maladie, le projet a été repris par Mme Foufa. C’est l’établissement public CNERU (Centre national d’études et recherches appliquées en urbanisme) qui a chapeauté les deux PPMVSA de Tipasa et celui de Cherchell. 

Le projet avait abouti à des recommandations techniques. Il est devenu une référence. Le plan de sauvegarde concerne le quartier de Ain K’çiba. La société civile locale avait initié des démarches pour tous les sites et monuments du centre urbain de la ville. Leur démarche n’a pas abouti auprès du ministère de la Culture, car il faut un décret qui érige un centre historique en secteur sauvegardé. C’est après que l’on décide de doter ce centre d’un instrument spécifique, en l’occurrence le PPSMVSS (Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur sauvegardé). Le quartier de Ain K’çiba est considéré comme étant un monument. Il y a des restrictions à respecter et des possibilités de réhabilitation du site. Les décideurs de la wilaya doivent mener leurs actions, selon les instruments cités par la loi. Le PPSMVSS est donc pour les responsables un guide. Il suffit de se baser sur le règlement de la servitude.

 Il s’agit d’un plan réglementaire, qui permet d’agir, monument par monument, grâce à l’outil (étude, ndlr). Au début des années 1990, le Professeur en architecture, Youcef Chennaoui, après des années de recherches, a réalisé une thèse sur le quartier Ain K’çiba. Il s’agit d’un travail académique dans le but d’obtenir un magister. Youcef Chennaoui a été encadré par des professeurs italiens, suivant les accords de la coopération culturelle entre l’Algérie et l’Italie. L’analyse exhaustive urbanistique du centre historique de Ain-K’çiba (Cherchell), tel était l’objectif du travail de recherches de l’universitaire, qui a relevé toutes les valeurs du quartier, afin de pouvoir le patrimonialiser. Le travail du Pr. Youcef Chennaoui avait été repris par la direction de la culture de Tipasa et la circonscription archélogique. Cela a abouti au classement du site Ain K’çiba en 1999. Ensuite, il fallait attendre 2012, pour doter le quartier de Ain K’çiba d’un instrument, le PPMVSA. 

A-t-on respecté les lois, malgré les gardes-fous prévus pour éviter la destruction des maisons de Ain K’çiba ou la disparition des ruelles de la «médina» ? L’expert propose d’engager une autre étude pour le quartier de Ain K’çiba, en adoptant un instrument spécifique qui aboutira sur des recommandations pour préserver le secteur sauvegardé élargie et ensuite engagé une réflexion pour la restauration de ces rares maisons au style andalou-ottoman, tout en se reférant aux instruments de servitude.

 L’école coranique Errachidia est un bien waqf. De rares maisons pourvues d’une merveilleuse architecture andalou-ottomane ont une valeur patrimoniale et venale très importante sont abandonnées à cause des malentendus entre les héritiers. Une maison construite en R+1, pourvue de beaucoup de chambres, avec un style andalou-ottoman, dotée d’un bain maure turc (hammam) et d’une boulangerie traditionnelle est totalement abandonnée, hélas. Elle peut devenir une maison témoin. Compte tenu de l’inertie locale, les hautes autorités du pays peuvent agir pour réhabiliter le site Ain K’çiba, autrefois, un quartier résidentiel, propre de Cherchell durant l’ère ottomane, théâtre d’actions des fidaiyines durant l’ère coloniale, un cas d’étude pour les étudiants en architecture, un quartier qui avait abrité des femmes hors normes, la chahida Yamina Oudaï, Assia Djebar et bien d’autres moudjahidate, une école coranique qui avait accueilli une élite qui a servi le pays durant la guerre de libération nationale et participer dans son développement économique. 

L’Etat est en mesure de récupérer ces monuments qui témoignent du passage des civilisations au site de Ain K’çiba. Autant de paramètres qui méritent d’être pris en charge pour se projeter vers d’autres horizons, afin de donner une nouvelle vie à ces patrimoines historiques, culturels non exploités, pourtant producteurs de richesses.

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