A quelque chose malheur est bon, dit un vieil adage ! La pandémie qui s’abat, aujourd’hui, sur le monde et y sévit, est un coup de massue qui rend lucide.
A l’humanité et aux puissances qui la représentent, au premier chef, elle prodigue des leçons sociétales qu’il est nécessaire de connaître et dont il est possible de résumer la teneur, ainsi :
Premièrement, ceux qui pensent ou plutôt croient, au regard des progrès scientifiques et techniques du monde actuel que l’humain est à l’abri des facteurs pathogènes et qu’il ne doit, en principe, mourir que dans son lit de vieillesse tardive et vraisemblablement de lassitude, doivent mitiger, de quelque touche, leurs patience et espérance.
L’homme moderne du XXIe siècle connaît, à l’instar de l’homme du siècle passé, de l’homme moyenâgeux et de l’homme antique, une «mort collective de type pandémique», quand bien même sa modernité grandissante s’avère apte, à chacun de ses âges, à limiter l’ampleur de ses tragédies.
La Covid-19 ôte des vies humaines aujourd’hui. Et chemin planétaire faisant, elle montre une macabre fissure, une de plus qui scande l’histoire de l’humanité et ravale les sens et contenu de son progrès, celui-là même qui fut pensé ou rêvé par les auteurs du siècle des lumières, comme «la manifestation de la perfectibilité naturelle des hommes».
Une perfectibilité naturelle des hommes ! Quel beau destin ! Quelle belle promesse ! Si l’un et l’autre n’étaient pas ternis par bon nombre d’événements douloureux (conquêtes coloniales, guerres mondiales, exterminations, génocides, attaques nucléaires, catastrophes technologiques, épidémies, pandémies, pauvreté, faim, pollution, dégradation de l’environnement). 2- qui convertissent ces mêmes hommes, en otages, enjeux et objets de la vie moderne, au lieu d’en faire les sujets actifs. Il semble même aujourd’hui, à l’esprit philosophique, que le principe de Carnot, selon lequel toute transformation d’un système thermodynamique s’effectue avec une augmentation de l’entropie globale, soit devenu un «principe de jugement de l’histoire». 3 C’est dire combien le progrès fut tragique et risque de le demeurer, aussi longtemps qu’il constitue l’essence de la vie humaine ;
- Deuxièmement, face à la Covid-19, le biopouvoir à la Foucault (1926-1984) et le bio-savoir, surpris dans leurs champs respectifs, sont désarçonnés. A ce jour, ils ne savent pas l’origine du mal qui frappe et endeuille l’humanité. Mais est-ce nécessaire d’investir son énergie à en rechercher la «cause», dans un contexte d’urgence thérapeutique ? Vraisemblablement oui, si cette cause pourrait aider à en découvrir vite un remède efficace. Dans ce cadre, d’innombrables hypothèses, voire des conjectures sont osées dont :
- La fabrication humaine du virus forcément accusatrice de son auteur et, dans notre cas, la Chine et son laboratoire de Wuhan. L’ancien président des Etats-Unis, D. Trump, probablement insatisfait de sa première guerre commerciale contre la Chine, lancée à l’aube de son mandat, surcharge ce pays d’un «crime» sanitaire et en demande réparation dans les meilleurs délais. Une requête à laquelle la Chine oppose une fin de non-recevoir. Dans le désarroi du leadership de l’Amérique, fort ancré dans sa société et ses élites, l’OMS est interpellée énergiquement : D. Trump lui reproche la défaillance de sa vigilance, la menace de suspendre son financement et en requiert une prompte intervention, au travers d’une enquête sans complaisance dans les laboratoires de l’Empire du milieu. La conclusion rendue publique en est cependant aux antipodes des attentes trumpiennes. Les experts de l’OMS ont penché vers la zoonose ;
- un accident ou une erreur de manipulation scientifique qui aurait entraîné une évasion du virus du laboratoire de Wuhan: cette «supposition» est semée à foison, y compris par de grands esprits scientifiques dont le prix Nobel de médecine, Luc Montagnier, récemment ravi, au monde scientifique ;
--le résultat d’une zoonose ou d’une crise de la frontière homme-animal déclenchée par «l’insoutenabilité» des systèmes économiques dont la croissance se nourrit de la destruction des écosystèmes et la marchandisation de la biodiversité». C’est du moins ce que nous enseigne le récent rapport de l’Ipbes qui annonce «l’ère des pandémies» et nous rappelle le rapport Stem (2007) sur le changement climatique, qui souligne que prévenir les zoonoses est considérablement moins coûteux que de devoir les affronter. Dit en termes plus directs : laissons vivre les chauves-souris et nous vivrons mieux !» 4
-Troisièmement, comme ce commis-voyageur éberlué qui ne connaît ni sa provenance ni sa destination, le biopouvoir et le bio-savoir de l’humanité ne savent pas comment considérer et traiter ce «nouvel arrivant» dans le tragique roman sanitaire mondial.
A croire que leurs prodigieuses facultés scientifiques ne sont puissantes que devant le déjà vu ou le connu. Quant aux politiques qui en attendent des conseils et des thérapeutiques urgentes, ils sont, pour la plupart, dans l’expectative. Et leurs conseils scientifiques respectifs, installés dans l’urgence, n’ont servi un peu partout dans le monde qu’à édicter ou dicter bon nombre de mesures prophylactiques, comme le confinement, le port du masque, le respect de la distance sanitaire, le lavage régulier des mains, l’évitement de tout contact, de saluts corporels y compris avec nos intimes: parents, frères, enfants, amis, etc.
La leçon prodiguée est bien comprise : Attention ! On peut «choper» ce virus à n’importe quel moment et dans n’importe quel lieu, y compris là où nous ne voyons se produire aucun signe (toux, rhum, fièvre, etc.) qui rappelle une ressemblance, proche ou lointaine, d’un ou de plusieurs «indices» retenus par le savoir médical dans la «carte d’identité symptomatique du coronavirus». Une carte devenue en peu de temps, par peur de la maladie, à la portée cognitive de tous : hommes, femmes, jeunes, adultes, vieux, forts, faibles, sains, malades chroniques, instruits, non instruits. Mais la terreur est à son comble, lorsque les cas de «porteurs asymptomatiques» sont annoncés.
Et, chacun de nous peut ou pourrait l’être sans le savoir ou à défaut en rencontrer dans son entourage. Aussi, nos vies sont-elles enchaînées les unes aux autres et mutuellement menacées. Résultat : les relations humaines sont réduites à leur strict minimum : un regard dans les yeux et un salut lointain de la main. Evidemment, dans les lieux nombreux (cafés, restaurants, transports collectifs, salles des fêtes, parcs d’attraction, stades, écoles, entreprises, universités, etc.) où la foule peut naître et grossir, au point de vitaliser la chaîne des contaminations, les gouvernements sévissent par des fermetures : les dégâts économiques sont énormes, dans la quasi-totalité des pays, mettant les uns dans l’impasse et les autres dans bien des difficultés.
Il faut aider au niveau national les citoyens qui n’ont plus de revenus et les petits entrepreneurs qui ont cessé leurs activités et au niveau international, les pays les moins résilients face à ce dérèglement économique et sanitaire. Les regards sont tous tournés vers la Chine dont on attend qu’elle soit, en l’absence de thérapeutiques éprouvées, le «pharmacien ou le para-pharmacien du monde» devant approvisionner les populations en bavettes, oxygène et toutes sortes «de composants» du kit de survie.
L’humanité a vécu de longs mois dans la peur, et le nombre de décès rapportés chaque jour, par les statistiques nationales et internationales, ne sont pas de nature à en apaiser l’esprit. Il faut trouver vite un remède. Les laboratoires pharmaceutiques s’engagent avec frénésie dans la recherche du vaccin. Outre le profit qui est leur mobile majeur, en tant qu’entreprises tenues par l’impératif de la rentabilité, ils tentent, chacun de leur côtés, de rechercher comme source d’avantages concurrentiels une notoriété qui les mette et eux et leurs nations d’appartenance sur le podium de l’histoire sanitaire mondiale.
Dans l’intervalle, ils dressent, via leurs communicateurs, officiels ou acquis, des barrages à toute initiative thérapeutique dérangeante, même lorsque celle-ci émane des grands scientifiques. Quant aux vaccins commercialisés dans l’urgence, ils font monter au créneau bon nombre de médecins y compris les plus illustres qui leur reprochent de ne pas être suffisamment testés, voire leur inefficacité ou même leur dangerosité.
Un climat de méfiance s’installe et parfois même une opposition ouverte ou larvée de la population. Les gouvernements apeurés tentent d’y répondre, selon leur état d’information, par des arguments de sensibilisation ou d’autorité. Des chefs d’Etat déclarent que le monde est en guerre. La médecine qui est, pour l’heure, impuissante et qui n’a pas l’heur de trop convaincre se meut en science statistique qui déroule des chiffres, des courbes, des graphes, sans portée curative ou préventive réelle immédiate. Les praticiens et chercheurs médicaux se querellent violemment autour du même objet.
C’est à croire, que leur science, hébétée par la Covid-19, est devenue encore moins précise que la science sociale qui s’use souvent, dans sa tyrannie sémantique et conceptuelle, à découvrir si le verre est à moitié plein ou à moitié vide ;
-quatrièmement, la Covid-19 n’est pas un «enfant» de la mondialisation, bien que à maints égards celle-ci ait favorisé la propagation de celle-là. Mais dans le même temps, les Etats d’aujourd’hui, qui sont scientifiquement mieux informés et techniquement mieux équipés, semblent avoir, par un arsenal de mesures et moyens, allant de la prévention au traitement d’urgence, considérablement préservé des vies humaines, même si la plupart de leurs actions sont mises en œuvre dans l’urgence et la panique ; ce qui en dit long sur leur faible degré de réactivité, face au «nouveau».
Au 10 mars 2022, la Covid-19 a affecté 448 313 293 personnes dans le monde, soit 5,6% de la population mondiale (7 937 506 013 au 17 mars 2022). Dans le premier nombre, les dix pays qui déclarent 10 millions de cas et plus (jusqu’à 78 614 707 pour les Etats-Unis), représentent plus de la moitié : 55, 8%. Quant au nombre de morts dans le monde, il est de 6 011 482, soit 1,3% du nombre d’affectés et 0,075% de la population mondiale. Dans ce nombre, 17 pays qui enregistrent 100 000 décès et plus représentent 72,4%.
Ces statistiques ne sont pas alarmantes, quand bien même chaque vie ravie dans ces circonstances constitue en soi une tragédie et pourrait être vite interprétée dans la douleur de ses proches, comme une preuve d’impuissance de la collectivité ou du biopouvoir local, national ou mondial. Force est de souligner, néanmoins, que l’humanité n’en est pas à sa première crise sanitaire sévère, bien que celle-ci ne soit pas aujourd’hui facilement justifiable au regard de ses progrès scientifiques et techniques.
Des virus et des bactéries inconnus pour leurs époques, ont marqué tragiquement son histoire, en emportant, en un temps très court, entre 100 000 et 50 millions de vies humaines. On en recense (5) la peste d’Athènes (-430 à -426 avant J.C) avec ses 200 000 victimes ; la peste Antonine (165-166) avec ses 10 millions de morts ; la peste noire (1347-1352) avec entre 25 et 40 millions de morts en Europe; (6) la grippe espagnole (7) (1918-1919) avec ses 20 à 30 millions de personnes mortes en Europe et jusqu’à 50 millions dans le monde ; la grippe asiatique (1956-1957) avec 02 à 03 millions de morts dans le monde; le choléra dont le nombre annuel de cas est estimé entre 1,3 et 04 millions dont 21 000 à 143 000 de décès, le Sida (1981 à ce jour) qui a tué 2 millions de personnes par an dans les années 2000.
Nous ne pouvons certainement pas décrire aujourd’hui l’attitude de l’homme antique, du moyen-âge ou d’autres époques moins éloignées de la nôtre, face à la maladie qui le guettait, l’affectait ou l’infectait. La probabilité est, sans doute grande, eu égard à ses modestes conditions alimentaires, sanitaires et d’information qu’il fût stoïque.
En revanche, l’homme du XXIe siècle est fragile, et cette fragilité vient du fait qu’il soit «sachant». En effet, le monde d’aujourd’hui n’a pas lésiné sur les moyens de lui inculquer l’intelligence de la vie sociale, dans des domaines aussi variés que la politique, l’économie, l’écologie, la santé, la nutrition, l’espérance de vie, la liberté ou la démocratie. Aussi, la pandémie actuelle l’a-t-elle mis dans un état de peur panique.
Non seulement parce qu’elle tue déroulant ainsi quotidiennement son cortège de deuil et de douleur, mais aussi parce que au vu de ses chiffres macabres journaliers, elle impose la question sinistre «à qui le tour», laquelle sème l’angoisse, dans les cœurs des «rescapés du jour», qui attendent, dans leur silence craintif, d’être ses prochaines victimes.
Mais par-delà l’anxiété qu’elle génère, comme fardeau émotionnel majeur, la Covid-19 représente (c’est ce point qui nous occupe ici), phénomène rare dans l’histoire du monde, une crise de l’humain, dans sa dimension holiste.
L’humanité en est affectée tant dans ses aspects physiologique, politique, économique, social, psychique, culturel et intellectuel que dans leurs liens d’interdépendance nombreux, devenus, en l’absence d’outils d’exploration opérationnels, des scotomes, face auxquels elle étale une faible visibilité et vraisemblablement, une cécité, que nous espérons de conjoncture.
A l’échelle mondiale, la pandémie a affecté les trois identités du PIB et les conséquences en sont diverses, différenciées et terribles. L’effet papillon, cette métaphore de la théorie du chaos, est en œuvre ; elle affecte l’ensemble des éléments interdépendants du système mondial, désormais détraqué.
Ce contexte interpelle l’humanité et en requiert de réalimenter sa conscience, au moins, deux niveaux :
- d’abord; elle doit revisiter son modèle de croissance mis en œuvre, depuis au moins la fin de la seconde guerre mondiale et, de manière plus accusée, depuis la chute du mur de Berlin et en réviser la portée, à la lumière des tendances lourdes de son rejet. Ce modèle, bien qu’il ait réussi à métamorphoser sensiblement les conditions de vie et d’existence des populations, montre aujourd’hui, des signes d’essoufflement de plus en plus criards.
Ces derniers sont dans les effets négatifs, tant de ce qu’il a su et pu accomplir, que de ce qu’il a éludé ou n’a pas su prévenir.
Ces effets sont, en vérité, le résultat de la frontière qu’il a mal tracée, entre le nécessaire et le superflu et entre et le marché et l’humain qu’il transgresse, lorsqu’il est en danger. Aujourd’hui, contre sa logique même, ces effets se juxtaposent, se superposent, s’interpénètrent ou se combinent, pour accélérer la survenance de sa date de rupture.
La question lancinante relative à l’intérêt humain d’un productivisme effréné sacralisant «le produire pour produire», se pose, en l’absence et de l’effet de ruissellement planétaire tant attendu, devant réduire la pauvreté, les inégalités sociales et la dégradation de l’environnement et d’un logiciel sociétal devant prendre en charge, sans un coût social et humain pesant, son caractère foncièrement crisogène et parfois même, crisophile, de par ses aventures quasi-régulières insuffisamment contrôlées. Le productivisme libéral, voire capitaliste a certes accru et diversifié la richesse mondiale de façon prodigieuse, mais revers douloureux de son cours, il n’a épargné de ses excès de violence, ni l’homme, ni la nature, comme s’il leur faisait payer son mérite d’avoir pu casser les verrous de la stagnation économique qui ont enfermé jusqu’à la mort les modèles et systèmes qui furent ses rivaux.
En dépit de ses crises, ses guerres, ses vieilles conquêtes coloniales, ses pillages, ses agressions internationales qui ont scandé son âge et qui devaient en faire un système répulsif, il est parvenu, contre «vents et marées», à s’imposer en modèle économique, presque dans les moindres coins et recoins du monde. Sa force économique réelle et inégalable aidant, il a aiguisé l’appétit avide de l’humanité qui en escomptait tous les bienfaits. L’arrogance de sa démarche est montée d’un cran, depuis sa victoire contre ces parenthèses de l’histoire, ces communismes et ces dictatures qu’il a laminés, en s’y substituant peu à peu.
Et nous voilà aujourd’hui devant un «totalitarisme» naissant qui déçoit bien des attentes, par sa prétention, au nom de son efficacité économique toute relative, de dicter tout aux populations mondiales, sans autres alternatives plus proches de leur «être». Et la pandémie dont il est accusé de ne pas avoir pu être, des mois durant, une digue de protection, en est une raison de plus et sans doute de trop, qui en déclenche le rejet, par une humanité désabusée par ses propres fantasmes, autour de l’étendue de sa puissance ;
-ensuite, elle doit savoir, maintenant que le moment de rupture du modèle a pris forme, au mépris des forces devant en principe l’obstruer «dans l’œuf de l’histoire», qu’il n’y a pas dans la civilisation matérielle marchande dominante d’aujourd’hui quelque remède qui puisse en réparer la panne, à moindre coût humain. La sagesse philosophique (un pléonasme au demeurant) enseigne qu’il est souvent absurde d’attendre du système qui a créé le problème qu’il en trouve la solution.
Pourtant, il faut bien qu’il le fasse, en se réformant, parce que, pour l’instant, il n’y a pas d’autres issues et il n’a pas d’autres issues. La pandémie a démystifié bien des cadres de raisonnement que l’on croyait à la fois fondés et solides. Et, il y a vraiment de quoi avoir peur, devant «l’impuissance des puissances» dont l’attitude du «repli sur soi», face au nouveau ou à l’inconnu, est aussi navrante, que celle de ce berger affairé, face à la peur du loup, à ne compter que ses propres moutons.
Aussi, les possibilités énormes de fédérer les ressources mondiales restent-elles, pour l’essentiel, une déclaration de jure. De facto, les réactions individuelles des Etats-Unis, de la Chine, des pays de l’Union européenne, leurs accusations mutuelles, conjuguées avec la relégation des pays pauvres à l’arrière-plan de leurs gouvernances ont de quoi sidérer l’homme de la rue, le citoyen lambda qui s’interroge de manière puérile : mais où est la mondialisation, cette force promise devant résulter de l’union des nations ?
En vérité, les puissances économiques, par les délocalisations industrielles qu’elles ont opérées depuis des années, au nom de la règle sacro-sainte de la compétitivité internationale, ont disloqué leurs tissus économiques.
Aussi, au nom du profit se sont-elles désarmées. Elles qui se croyaient à l’abri des «aléas» se sont réveillées, après leur court rêve de résilience, dans la détresse d’un nécessaire déficitaire, face au péril sanitaire de leurs citoyens. Les Etats-Unis et l’Union européenne ont bien compris les failles de souveraineté qu’impliquent leurs stratégies de développement mondiales par l’amont, qui font de la Chine et d’autres pays émergents, leurs «usines à tout faire ».
En témoignent les fabuleux budgets qu’ils ont consentis quelques mois seulement après le déclenchement de la pandémie aux programmes de relocalisation industrielle qui promettent de durcir, dans un proche avenir, au moins les échanges internationaux de biens. Et maintenant que les «géants» s’aperçoivent qu’ils ont, eux aussi, besoin de «choses naines» qu’ils doivent avoir régulièrement à leur portée la division internationale du travail est appelée à se modifier et la mondialisation, à accuser un coup sévère. L’ordre mondial tant glorifié risque de se renationaliser, voire se «rechauviniser», non sans conséquences qui pourraient ressusciter, ce qui fut, par le passé, la cause des heures sombres de l’histoire humaine.
En vérité, cette question que pourrait formuler le commun des mortels, dans des moments de déception, de peur, de découragement et de saute d’humeur, n’est pas aussi superflue qu’on le pense.
Elle met le doigt sur la blessure de la mondialisation actuelle qui n’en est pas une, tant elle est partielle et partiale, par ce qu’elle sème entre Etats et nations, comme discorde, adversité, antagonismes et compétition pour l’accaparement du butin: le profit. Dans ce contexte où les Etats se meuvent quasiment en entreprises et où la collusion entre la politique et la finance est légion, la croyance en un monde paisible, serait tout bonnement fantasmagorique.
Les premiers moments de la crise sanitaire aiguisent les accusations déjà en gestation, sur le plan commercial, depuis les premiers mois du mandat de D. Trump, et aujourd’hui, de celui de J. Biden, entre l’Etat américain et l’Etat chinois. Et celles-ci nous rappellent, si besoin est, le Piège de Thucydide que la Chine, du haut de sa sagesse confucéenne, s’est efforcée de contenir. L’erreur de la construction d’une mondialisation à dominante économique est d’avoir cru au pouvoir excessif de l’Economique, quant au remodelage et la fortification de la civilisation humaine. Mais telle que dirigée aujourd’hui, moins vers que contre l’homme, elle n’a pas, dans son orthodoxie actuelle, de logiciel sociétal capable de prévenir ses crises globales et d’y opposer des ripostes multiples, simultanées et coordonnées, à la fois.
Le PIB a trahi l’homme qui l’a produit, sous la promesse de son système de pouvoir en jouir humainement. Et la pandémie a mis à nu les défaillances du système d’approvisionnement mondial. A ce gros passif-ci, se greffent les maigres résultats des multiples Conférences des Nations unies sur les Changements climatiques (CNUCC) qui attestent de l’incapacité de la mondialisation économique de comprendre et de résoudre les questions qui n’appartiennent pas à son champ, même lorsque celles-ci, sont dirigées contre les conditions de sa propre reproduction. En effet, les questions écologiques et sanitaires font partie de l’arsenal de crises qui affectent l’économie mondiale et qui n’ont pas, généralement, de solutions à l’intérieur de ses mécanismes. Les réactions rationnelles immédiates, à la vue d’un «cygne noir» sont rares, pour l’œil et l’esprit accoutumés à ne voir et à ne concevoir que des « cygnes blancs».
La crise d’aujourd’hui met l’humanité à rude épreuve. Elle l’invite, parallèlement à la recherche d’un traitement curatif devenu urgent, face au déficit des méthodes préventives, à un changement paradigmatique qui énonce la construction de son destin, à l’intérieur d’un cadre intellectuel et conceptuel innovant dont il est attendu de dégarnir la mondialisation de sa forte teneur économique, pour y mettre en bonne place l’humain.
Peut-être que la vieille sagesse Gandhienne, «il faut vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre» puisse trouver, aujourd’hui, toute son application. Même si «la femme de César est toujours la plus belle des épouses» et que «l’épée du roi est toujours la reine des épées», il faut que les Etats et les grandes entreprises s’essaient à l’apprentissage du désapprentissage, pour que naissent de nouveaux modèles de développement qui divorcent d’avec le mode de gouvernement fondé sur la règle d’ordres descendants, en faveur d’un mode de gouvernance impliquant l’ensemble des acteurs de la vie sociétale.
Par Pr R. Boudjema
Économiste, professeur des université
(A suivre)