Dans cet ouvrage, Nourredine Ayadi propose une grille de lecture géopolitique des contours du conflit malien et des enjeux stratégiques et de puissance qui le sous-tendent.
Il procède à une véritable autopsie des différentes étapes du conflit, de ses causes sous-jacentes et de ses principaux protagonistes pour démontrer la nature et les prolongements géostratégiques du conflit et les jeux de recomposition qui ont imposé à un Mali impuissant un conflit dévastateur qui a mis en péril son unité nationale.
L’auteur, qui a été d’ambassadeur au Mali entre 2009 et 2016 a, en cette qualité, été un témoin actif de tous les développements survenus dans ce pays depuis la gestation du conflit jusqu’à la signature de «l’Accord d’Alger» issu du processus de paix dont il a été, en sa qualité de chef de file de la Médiation internationale, l’un des principaux artisans, au point d’être souvent qualifié d’«architecte du processus».
Les milliers d’heures d’entretiens, de réunions et de discussions avec tous les acteurs ayant eu une influence sur les événements qui ont marqué cette tranche de l’histoire du Mali, le mettent en position de tirer, au niveau stratégique et à partir d’une perspective pour une rare fois non-Occidentale, de précieux et édifiants enseignements sur ce conflit et sur ses implications sur l’ensemble de la région saharo-sahélienne.
L’auteur s’emploie à restituer son expérience de la crise malienne, telle qu’il l’a vécue, à commencer par les conditions qui ont vu le pays s’enfoncer progressivement, mais sûrement, dans l’insécurité et dans la crise du fait d’une gouvernance inappropriée et d’une exacerbation de tous les phénomènes qui minaient son évolution et qui jetaient de sérieuses hypothèques sur son avenir.
Qu’il s’agisse de l’évolution politique ou de la situation socio-économique, qu’il s’agisse de la problématique touarègue et des défis sécuritaires et terroristes dans le nord du pays, qu’il s’agisse, enfin, de l’impact dévastateur de la guerre en Libye et des périls qu’elle a entraînes pour l’ensemble de la région et pour le Mali en particulier, l’auteur a été amené, de par sa position, à être un observateur proche et attentif de l’action de tous les acteurs de cette crise dont il s’attelle à analyser les motivations en les situant dans leur contexte stratégique.
Il livre, de ce fait, un témoignage événementiel très documenté, particulièrement précis mais toujours contextualisé, par une analyse géopolitique qui offre une version différente de la genèse de ce conflit et de ses causes profondes, des enjeux de puissance qui le sous-tendent et du rôle et de la responsabilité des acteurs internes, à savoir les autorités politiques, les mouvements politico-militaires et les groupes terroristes, mais aussi et surtout des acteurs externes, dont notamment les deux acteurs majeurs que sont la France, ancienne puissance coloniale, et l’Algérie, le puissant et influent voisin.
Ces deux puissances avaient des visions et des conceptions fondamentalement divergentes de la sécurité dans la région et développaient des approches distinctes de la gestion de la situation au nord du Mali, et par extension, dans toute la région sahélo-saharienne. Chacun des deux pays avait sa perception propre de son espace stratégique et de ses lignes et modes d’action. Chacun d’eux, à sa manière et en fonction de ses objectifs et de ses moyens, cherchera à conférer une projection tangible et un contenu concret à ses ambitions géostratégiques au Mali et dans la région.
L’un a fait la guerre, et l’autre a engagé un processus de paix
La France, ancienne puissance coloniale, développe dans la région la politique de ses intérêts, qui ne sont pas seulement économiques, mais qui sont liés à son statut international, à son passé colonial, à la nécessité de maintenir les attributs de cette puissance, de son rayonnement stratégique, diplomatique et culturel et de son hégémonie dans la région. Elle poursuivait donc la réalisation d’objectifs liés à son statut et à ses intérêts spécifiques. Elle avait de ce fait son agenda propre et une stratégie pour la réalisation de ces objectifs. Une stratégie de puissance, basée sur une approche de la pacification par l’utilisation de la force. Un déploiement de ses troupes dans la région était alors perçu comme une finalité stratégique impérative et un objectif hautement prioritaire. Elle s’est, dès lors, employée à créer les conditions diplomatiques, politiques et stratégiques de son intervention militaire, en mettant à profit les répliques géostratégiques du séisme régional provoqué par la guerre en Libye.
Par fatalité géographique, mais aussi par les desseins dont elle ne peut se départir du fait de sa position et de ses atouts, l’Algérie ne peut être que partie prenante dans toute évolution et dans tout arrangement concernant la région sahélo-saharienne. Par principe, elle n’a jamais été favorable à la présence de forces étrangères dans la région.
Par vocation, elle a toujours été convaincue que les solutions ne peuvent pas être militaires et qu’elles ne peuvent découler que d’une réappropriation de la prise en charge de la problématique de la paix et de la sécurité par les pays de la région. Son approche a, dès lors, toujours été basée sur le dialogue politique. Elle a été amenée à s’impliquer dans la gestion du conflit et à mettre en œuvre un processus de médiation qui aboutira à la signature d’un accord de paix, connu sous le nom d’Accord d’Alger, dont la conclusion a eu un retentissement mondial.
Cette différence fondamentale de vision, d’approche stratégique et d’objectifs opérationnels, a des prolongements concrets sur le terrain, et peut prendre les formes d’un antagonisme, voire d’un affrontement entre la stratégie de puissance et d’intervention militaire mise en place par la France et la stratégie de dialogue, de paix et de réconciliation prônée par l’Algérie.
Cette lutte à distance entre la puissance de l’une et la capacité d’influence de l’autre, ont été au cœur de l’évolution du conflit malien et constituent naturellement l’axe autour duquel s’articule la problématique de fond qui structure le présent ouvrage.