Par B. Nouioua
Ancien gouverneur de la Banque centrale d’Algérie
Durant les cinq dernières années, des actions ont été menées dans différents domaines et ont abouti à des réalisations appréciables. Des projets très importants sont sur le point de démarrer et il faut espérer que leur exécution s’effectuera dans de bonnes conditions.
Le redressement du prix du pétrole sur le marché international, après la désastreuse année 2020, a constitué un facteur favorable pour l’amélioration de la situation financière et économique. Cependant, l’accroissement de la population, lequel engendrera l’accroissement des besoins, crée de nouveaux défis qui s’ajoutent à ceux auxquels le pays est déjà confrontés. Défis qu’il faut relever en mettant en œuvre les moyens nécessaires.
Les propositions qui vont suivre indiquent les mesures à initier en vue d’aboutir à des résultats positifs.
I. La consolidation de la gouvernance
1) Une loi est à promulguer pour obliger les ministères et institutions à préparer au début de chaque année un programme annuel de travail à exécuter. A la fin de l’année, un bilan sera établi qui mentionnera ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire.
Cette pratique est indispensable pour amener les dirigeants à être responsables dans l’exercice de leurs fonctions et à rendre compte de leur gestion.
2) Une autre loi qui concerne la confiscation est à élaborer. Les confiscations quelle que soit leur nature, une fois effectuées, doivent faire partie des biens publics. A ce titre, personne, quelle que soit sa position, ne peut en disposer que conformément à la loi. Cette règle s’applique à la fois aux biens matériels et aux fonds publics en vue de les protéger et de les mettre à l’abri.
3) Une troisième loi destinée à imposer la post-évaluation est à mettre en place. En effet, tout projet d’investissement exécuté par l’Etat ou par un organisme public doit faire l’objet d’une post-évaluation.
Celle-ci permet de connaitre les conditions dans lesquelles l’exécution du projet a été faite, de savoir si les objectifs visés ont été atteints, de cerner les défauts, les insuffisances et les défaillances éventuels. Les leçons que la post-évaluation tire de la manière dont le projet a été réalisé serviront pour l’avenir.
Il est à souligner que le fait de savoir que le projet sera soumis après son achèvement à une post-évaluation rigoureuse incitera tous les acteurs impliqués dans son exécution à être vigilants, prudents et à déployer des efforts pour bien faire.
4) Il est nécessaire d’établir une loi relative à la planification. L’existence d’une structure chargée de la planification s’impose. Elle exercera sa fonction d’une manière souple. Elle encouragera l’installation de bureaux d’études et les aidera à s’associer ou à collaborer avec des partenaires étrangers de bonne réputation.
Elle assistera les services administratifs et les institutions à préparer les études de faisabilité des projets qu’ils envisagent de lancer ou de proposer à des investisseurs étrangers. Elle contribuera à la constitution d’un portefeuille d’études de faisabilité des projets à réaliser dans les différents secteurs par les entreprises locales publiques et privées ou des entreprises étrangères. Ce portefeuille n’existe pas à l’heure actuelle, ce qui est une des causes de l’absence d’investissements dans les grands projets structurants.
La structure de planification proposée entreprendra également des études générales qui éclaireront et orienteront les actions à mener dans le court, le moyen et le long termes. Elle instaurera l’habitude chez les responsables de ne citer que des projets étudiés qui seront mis en exécution et leur évitera ainsi d’annoncer des projets qui ne verront jamais le jour.
5) Une loi concernant l’élaboration des statistiques est à promulguer également. Cette loi obligera chaque acteur économique ou social à établir des statistiques régulières et à jour se rapportant à son activité. Il tâchera aussi d’exploiter les archives pour constituer des séries statistiques remontant aussi loin que possible et au moins jusqu’à l’indépendance.
Cette loi élargira aussi les prérogatives de l’Office national des statistiques (ONS) et les renforcera pour qu’il puisse élaborer des séries statistiques sur l’ensemble des activités du pays. De cette façon, nous disposerons d’un système d’information complet qui permettra d’éclairer les décisions à prendre et de les préparer sur des bases solides.
6) Le besoin d’une loi sur la transparence existe aussi. Chaque structure de l’Etat sera tenue d’indiquer dans son site internet ses coordonnées complètes, le nom des responsables des principaux services. Elle sera tenue également de donner une suite à toute correspondance qui lui est adressée, de répondre à tout appel téléphonique.
Il faut rappeler que les structures étatiques sont au service de la population et que le mépris et l’arrogance de la part des responsables et de tous les employés ne seront pas tolérés.
7) D’un autre côté, des règles très strictes sont à établir pour protéger les fonds et les biens publics. Aucune personne, quel que soit son rang, ne peut disposer à sa guise des fonds et des biens publics. Leur utilisation ne peut s’effectuer qu’en conformité avec les règles qui sont en vigueur.
Il importe que les fonds et les biens publics soient considérés à tous les niveaux comme étant sacrés et bien protégés à ce titre
Les récompenses à accorder à une catégorie d’agents méritants doivent se faire sous forme de primes qui seront allouées conformément aux règles.
II. Les investissements directs étrangers en Algérie
Les investissements directs étrangers ont été faibles dans le passé, en Algérie. Ils n’ont jamais atteint deux milliards de dollars. Ceux qui ont pu être réalisés ont concerné le secteur des hydrocarbures. Il y a eu quelques investissements directs étrangers dans les télécommunications, mais ils ont été d’un montant limité.
Pourtant, des codes d’investissement qui accordent des avantages à ce genre d’investissements ont été établis depuis le début de l’indépendance mais ils n’ont pas été attractifs. Le dernier qui est très favorable aux investissements directs étrangers a été publié en 2022. Ses effets sont restés, pour le moment, réduits.
Une des raisons qui expliquent la faiblesse de cette catégorie d’investissement est l’absence de projets concrets à soumettre aux investisseurs étrangers éventuels.
Il s’agit de projets qui ont fait l’objet d’études de faisabilité complètes. Ces dernières couvrent tous les aspects : technique, économique, financier, commercial, environnemental…, en plus, les terrains où ils seront installés ont été préparés et aménagés.
Les projets en question relèvent des domaines que notre pays veut développer, tels que les différentes branches industrielles, la valorisation du gaz et du pétrole, la fabrication d’équipements utilisés pour la production d’énergies renouvelables et fossiles, pour la purification de l’eau, pour créer des usines de dessalement de l’eau de mer, pour le transport, l’agriculture…
De la sorte, un large portefeuille d’études de faisabilité de projets appartenant à des activités diverses sera constitué et pourra être présenté aux investisseurs étrangers et répondre ainsi à leurs préoccupations. En effet, chaque année, des dizaines de délégations d’hommes d’affaires se rendent en Algérie, rencontrent des responsables qui leur parlent de généralités, de potentialités et d’opportunités d’investissement.
Ces indications n’ont aucun impact sur les délégations en question qui quittent le pays en regrettant souvent que des projets concrets ne leur soient pas présentés. Il faut dire que ces derniers mois, des accords ont été conclus avec des firmes étrangères de Qatar et d’Italie notamment pour la réalisation de projets d’investissements très importants dans le Sud et ce grâce aux efforts du président Tebboune. Il y a lieu d’espérer que cette tendance se poursuivra.
En tous les cas, si les projets étudiés n’attirent pas les investisseurs étrangers, leur exécution peut être prise en charge par des entreprises locales publiques ou privées.
III. Le financement étranger
La mise en œuvre d’un grand nombre de projets d’investissement par des entreprises locales publiques et privées, en plus des investissements directs étrangers, pour relancer le développement économique et social sur une base solide et durable nécessite des moyens financiers en devises considérables.
Les seules ressources nationales ne suffisent pas à couvrir tous les besoins. Il faudra consacrer à ces opérations non seulement une partie des réserves de change et des recettes d’exportation des hydrocarbures, mais également des crédits extérieurs.
Le recours à ce financement est inévitable si notre pays tient à réaliser les multiples programmes d’investissement dont il a besoin dans la plupart des domaines. Ce serait dommage de sacrifier le développement national en renonçant à l’endettement extérieur.
Tout le monde est d’accord avec le souci du président de la République de ne pas mettre l’Algérie à la merci des créanciers et des décisions du FMI et de la Banque mondiale. L’endettement qui est proposé tient compte de ce souci.
Il doit en effet s’effectuer dans le cadre d’une loi qui fixera son niveau par rapport au PIB, qui indiquera qu’il ne peut être affecté qu’en financement des investissements productifs et des infrastructures. La loi mentionnera également que l’endettement s’effectuera en priorité auprès des institutions financières multinationales et donnera lieu à une surveillance régulière. Encore une fois, ce n’est pas l’endettement extérieur qui est dangereux mais sa mauvaise utilisation.
IV. L’autosuffisance et l’indépendance en matière agricole
Pour obtenir des résultats tangibles dans ce secteur, il convient d’entreprendre plusieurs actions.
Il faut commencer par promouvoir la production de semences et de plants de qualité en invitant leurs producteurs mondiaux à investir en Algérie ou en s’associant à eux.
Ce qui a été réalisé dans ce domaine est d’une part insuffisant et d’autre part de qualité médiocre le plus souvent. En laissant les particuliers importer ces produits sans avoir fixé au préalable des normes rigoureuses à respecter et sans contrôle sérieux, ils ont cherché à acquérir ce qui est bon marché et ce qui est bas de gamme.
Pour récolter des fruits et des légumes de qualité qui sont appréciés localement et à l’extérieur, il importe de produire en Algérie des semences et des plants sélectionnés avec beaucoup de soin au départ.
En plus de ces ressources, il faut développer la production des produits alimentaires pour la population, de la nourriture destinée au bétail ainsi que celle des équipements agricoles.
Il convient de faire de la bonne qualité un objectif essentiel à atteindre en utilisant tous les moyens à cet effet et notamment l’éducation et l’encadrement des agriculteurs.
L’Algérie connait par ailleurs des problèmes récurrents en matière de production de lait et de viande. L’accord conclu avec la firme qatarie Baladna pour réaliser dans la wilaya d’Adrar un grand projet d’élevage de vaches constitue un progrès certain. Encore faut-il qu’il ne produise pas de lait en poudre mais installe plutôt un complexe laitier qui fournira des produits frais et sains.
Il reste pas moins qu’un seul projet de cette nature ne suffira pas à couvrir les besoins qui sont importants et qui augmentent avec l’accroissement de la population.
Il appartient aux pouvoirs publics de prendre la décision de créer quatre ou cinq projets similaires à celui de Qatar. Ces projets seront implantés à l’ouest, au centre et à l’est du pays, là où existent des nappes d’eau suffisantes.
Leur exécution sera prise en charge par des entreprises locales qui feront appel au début à une assistance hollandaise ou américaine comme l’ont fait l’Arabie Saoudite et Qatar. L’exécution peut être aussi effectuée en association avec des partenaires étrangers. Dans tous les cas, il est vital de les entreprendre. (A suivre)