Procrastination Qu’est-ce qui se joue dans le cerveau ?

01/02/2023 mis à jour: 07:55
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Repousser un travail jugé pénible à plus tard ? On l’a tous expérimenté, avec plus ou moins de culpabilité. Mais pour certains, cette tendance qui toucherait 20% des adultes est plus systématique et s’explique par un mécanisme cérébral spécifique.

Et vous, êtes-vous un habitué de la procrastination ? Une étude publiée par des chercheurs de l’INSERM, du CNRS et de l’AP-HP, au sein de l’Institut du cerveau (ICM) à Paris, dans la revue Nature Communications en septembre 2022, a identifié une région du cerveau impliquée dans la procrastination : le cortex cingulaire antérieur, qui «calcule pour chacune de nos actions le rapport entre coût et bénéfice», précise le Dr Raphaël Le Bouc, neurologue et premier auteur. Chez les procrastinateurs, il s’active plus fortement lorsqu’ils choisissent de repousser une tâche : l’effort associé leur apparaît moins pénible si elle est reportée dans le temps. Et plus la perspective de satisfaction à retirer de cette tâche est éloignée, moins elle apparaît stimulante. «La procrastination semble ainsi s’expliquer spécifiquement par la tendance du cerveau à décompter plus vite les coûts que les récompenses.»

Au total, 51 participants ont été soumis à une batterie de tests, durant lesquels leur activité cérébrale était enregistrée par IRM. Les chercheurs leur ont d’abord demandé de donner une note subjective à diverses récompenses (fleurs, objet, repas), puis à des efforts (mémoriser une suite de chiffres, enchaîner une série de calculs ou d’exercices physiques). «Pour quantifier à quel point le signal de récompense ou d’effort s’amenuise quand on le repousse dans le futur», ils devaient ensuite dire s’ils préféraient recevoir une petite récompense tout de suite, ou une plus grande plus tard. Puis, pour un même exercice, s’ils préféraient le faire tout de suite ou dans une semaine.

L’IRM montre que cette décision active la fameuse zone cérébrale. «L’ensemble de ces données a servi à alimenter un modèle computationnel prédisant la tendance à procrastiner», indique le Dr Le Bouc. Les volontaires ont alors été soumis à deux types de tests pour mesurer leur procrastination.

Dans le premier, ils devaient choisir : faire un des exercices contre récompense immédiate, ou reporter l’un et l’autre au lendemain. Pour le deuxième, ils repartaient avec une dizaine de formulaires administratifs fastidieux, à remplir et renvoyer sous un mois pour être indemnisés. Le modèle computationnel s’est révélé capable de prédire à la fois la tendance à procrastiner dans les tests de laboratoire et le délai que chaque participant a mis pour renvoyer les formulaires.

On savait que l’attrait d’une récompense et la pénibilité d’une tâche influencent la tendance à procrastiner. Cette étude ajoute une pierre à l’édifice, en démontrant que pour un même effort et une même récompense, certains individus ont un fonctionnement cérébral différent, et sont plus sensibles au délai des tâches qui demandent un effort.

«On savait que la valeur de récompense diminue dans le temps et que l’effort paraît moindre s’il est différé. La force de cette étude est de faire le lien entre les deux. Comme le soulignent les chercheurs, mieux connaître le processus cérébral impliqué peut donner la clé de stratégies de modulation des comportements pour aider les procrastinateurs, pris dans un cercle vicieux.

Pour qu’ils n’aient pas l’impression que l’effort à fournir est un défi si immense qu’ils préfèrent le reporter, il faut les encourager à commencer et terminer des tâches par petits pas : en fixant de microobjectifs, à très court terme. Chaque étape validée entraîne alors une motivation par la réussite», indique Marie Lacroix, docteure en neuroscience.

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