Après le lourd réquisitoire prononcé lundi dernier par le procureur général, le procès de Tayeb Louh, ancien ministre de la Justice, son inspecteur général, Tayeb Benhachem, son secrétaire général, Zouaoui Laadjine, Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt président déchu, Ali Haddad, Khaled Bey, ex-procureur du tribunal de Sidi M’hamed, et Sid Ahmed Semaoune, juge d’instruction, s’est poursuivi hier avec les plaidoiries de la défense.
Avocat de Saïd Bouteflika, Me Salim Hadjouti revient sur le contexte dans lequel l’affaire a commencé, en rappelant que son mandant était déjà incarcéré à la prison militaire de Blida. «Bouteflika a refusé de répondre aux questions.
Le juge militaire l’a menacé. Une plainte a été déposée, mais elle n’a connu aucune suite.» L’avocat revient sur le dossier et précise que «les faits, pour lesquels son mandant est poursuivi, reposent uniquement sur des communications échangées entre Bouteflika et Chakib Khelil», puis s’offusque contre le fait que le parquet requiert contre lui une peine de 5 ans de prison et dénonce «une instruction à charge», voire «une falsification des déclarations».
Me Hadjouti se demande pourquoi «Chakib Khelil se trouve dans le dossier, alors qu’il avait bénéficié d’une annulation du mandat d’arrêt, en 2013, prononcée par la chambre d’accusation. Il était ministre et avait droit au privilège de juridiction.
Les membres de sa famille étaient aux Etats-Unis, ils voulaient rentrer au pays. Ils sont venus, se sont présentés devant le juge et régularisé leur situation. Où est le préjudice ?» Il lance un pavé dans la mare en révélant : «Le dossier de Chakib Khelil a été régularisé par la chambre d’accusation, qui a annulé toutes les procédures engagées contre lui.
Dans cet arrêt, il est indiqué le retrait de toutes les pièces de ce dossier. Mieux encore. Il est clairement noté qu’aucune de ces pièces ne peut être utilisée contre lui. Alors pourquoi, ceux qui ont fait ce travail ne sont-ils pas poursuivis ?»
Lui succédant à la barre, Me Nadir Lakhdari, avocat de Ali Haddad, évoque un à un les griefs pour convaincre le tribunal, que l’homme d’affaires n’a commis aucun délit, ajoutant que ce dernier fait l’objet de 22 affaires, auprès des tribunaux et de la cour.
Pour Me Zaidi, également avocat de Haddad, le procès est celui de la justice, puis revient à la «diabolisation» de son mandat «par les médias» avant de dénoncer : «Sa famille a été chassée de sa maison que le tribunal a confisquée, mais heureusement, la cour a annulé la décision.»
L’avocat évoque de nombreuses «anomalies» ayant entaché le dossier et parle de «règlements de comptes». Abondant dans le même sens, Me Abdelaziz Madjdouba, avocat de Tayeb Louh, qualifie aussi le dossier de «résultat de lutte de clans», de «règlement de comptes entre personnes» et de «vengeance», mais aussi «d’affaire personnelle». Selon lui, «il y a eu de graves dérives. C’est la politique du mendjel (la faucille), qui est à l’origine de ces dérapages».
Prenant la parole, le procureur général fait quelques mises au point. Il dénonce ce qu’il qualifie de «terreur et demenaces clairement dirigées contre les magistrats de la chambre criminelle» lors de certaines plaidoiries avant de déclarer : «Même si les membres de la famille de Chakib Khelil ont la nationalité américaine, ils restent, en vertu du code de la nationalité, algériens.
L’épouse de Chakib Khelil, que certains présentent comme la fille d’une personnalité internationale, ne l’est pas. Il suffit de faire des recherches sur le Net pour le découvrir. Les magistrats qui ont été mutés ne devaient pas l’être sans leur demande. Ils jouissent du principe de l’inamovibilité.
Le parquet n’est pas obligé de voir le dossier comme le voient les avocats et la présidente de la chambre d’accusation qui a annulé les mandats d’arrêt de Chakib Khelil, fait l’objet de poursuite.» Tayeb Louh s’offusque. «Il n’a pas le droit de faire une deuxième plaidoirie. Cela fait 33 mois que je suis en prison, je veux prendre la parole. C’est de la partialité.
Ce ne sont pas juste des remarques», crie- t-il de toutes ses forces. La présidente ne contrôle plus l’audience, qui part dans tous les sens, avec l’intervention de plusieurs avocats et d’accusés en même temps.
Me Madjdouba, revient à la barre et tente de calmer les esprits. «Nous attendions du parquet qu’il apporte un peu d’humanité dans cette salle.» Me Nadir Lakhdari fait remarquer à la présidente que les magistrats sont une ligne rouge. Il ne vient jamais à l’esprit de la défense «de les menacer». Me Hadjouti poursuit : «C’est très grave que l’on parle de menaces contre les magistrats en audience.
C’est une manière de faire pression sur la composante de cette chambre.» La présidente met le holà et demande aux accusés de dire leur dernier mot. Saïd Bouteflika garde le silence, Benhachem réclame l’équité, Laadjine, prie Dieu «de se venger contre toute personne impliquée dans ce dossier», Benharradj implore les magistrats de le juger en leur âme et conscience, Me Semaoune rappelle à ses confrères que le actes du magistrat relèvent du Conseil supérieur la magistrature, Ali Haddad réclame la relaxe et Tayeb Louh, qui a insisté pour parler en dernier, évoque sa détention, son âge, les services rendus à la Justice, s’interroge sur ce qu’il a pu faire pour se retrouver en prison, puis clame son innocence. L’affaire a été mise en délibéré.