Pr Riadh Moulaï (*) : «Il y a une diminution du nombre d’oiseaux d’eau hivernant en Algérie»

06/02/2023 mis à jour: 18:50
2317

Pouvez-vous expliquer qu’est-ce le dénombrement d’oiseaux?

La campagne internationale de dénombrement des oiseaux d’eau, l’association Wetlands International, dont le siège est situé aux Pays-Bas, a été fondée en 1967 dans l’objectif d’effectuer un dénombrement simultané des populations d’oiseaux d’eau à l’échelle mondiale. Il s’agit donc du plus important programme de sciences participatives au monde. Sa particularité tient du fait que seuls les ornithologues expérimentés sont mobilisés, car il est impératif d’identifier et de dénombrer toutes les espèces présentes sur un site. Chaque année, à la mi-janvier, les ornithologues de tous les pays se rendent aux zones humides pour effectuer ce comptage.

Que nous renseigne cette campagne sur notre environnement ?

Ces comptages d’oiseaux d’eau représentent un outil simple pour évaluer l’importance des zones humides et établir des priorités d’action de conservation. Ce programme favorise également la mise en place et le développement de réseaux d’observateurs sur le terrain. Pour notre pays, il permet d’évaluer l’état de nos zones humides qu’elles soient naturelles ou artificielles (barrages et retenues collinaires) à travers l’utilisation des oiseaux d’eau en tant qu’espèces bio-indicatrices. A noter que dans notre pays, les dénombrements des oiseaux d’eau ont commencé dès l’année 1978 grâce à des coopérants belges et français accompagnés de jeunes ornithologues algériens issus de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ex-INA El Harrach). A partir des années 1990, l’Etat algérien a commencé à prendre en charge ces dénombrements à travers d’abord l’Agence nationale de conservation de la nature (ANN), ensuite par la direction générale des forêts. Toutefois, ces dénombrements ne concernaient malheureusement pas la majorité des sites humides algériens et étaient assez irréguliers dans le temps. A partir de l’année 2012, la direction générale des forêts a pris en charge de façon sérieuse ces comptages à travers une logistique et une organisation bien rodée. Cette organisation concerne toutes les wilayas du pays à travers les Conservations de forêts appuyées par la création du Réseau national des observateurs ornithologues algériens qui englobe en majorité, certes des forestiers, donc des fonctionnaires, mais aussi des membres des mouvements associatifs, des amateurs et quelques scientifiques. On peut donc affirmer qu’à partir de 2012, la grande majorité des zones humides algériennes sont concernées par ce comptage international et les données issues de ce dénombrement sont plus ou moins utilisables scientifiquement parlant.

Avez-vous remarqué une hausse ou une baisse pour certaines races d’oiseaux par exemple ?

Honnêtement, répondre à cette question est difficile, car les données globales sur l’évolution et la dynamique des oiseaux d’eau hivernant en Algérie ne sont pas disponibles. Je pense que la direction générale des forêts gagnera à diffuser cette information après analyse et affinement, d’autant plus que nous possédons désormais un jeu de données stable et utilisable sur une dizaine d’années (2012-2022). Nous nous proposons d’ailleurs pour aider la DGF à analyser, structurer et surtout interpréter ces données de dénombrements. Je peux toutefois vous donner des tendances issues de publications réalisées dans le cadre du laboratoire de zoologie appliquée de l’université de Béjaïa, mais aussi celles d’autres universitaires, notamment de la région est du pays. Du point de vue général, nous constatons ces dernières années une diminution des effectifs des oiseaux d’eau hivernant en Algérie, et cela suite logiquement à des épisodes de sécheresse consécutifs, notamment au niveau de certaines de nos plus grandes zones humides à l’échelle nationale, qui sont situées essentiellement au niveau de la région des Hauts-Plateaux, est, centre et plus au moins à l’ouest du pays. Il s’agit de ces grands marais salants, comme on les appelle chez nous les sebkhas et les chotts. Ce sont, en général, des zones humides temporaires qui ne se remplissent qu’en période hivernale et qui se dessèchent dès le début de l’été. En hiver, quand ils sont plein d’eau, ils peuvent accueillir des milliers de canards, foulques, laridés (mouettes, sternes et goélands), limicoles, mais surtout des flamants roses. Depuis quelques années, suite à cette sécheresse, certaines de ces zones humides peinent à se remplir ou restent encore desséchées toute l’année, d’où une perte d’habitat pour les oiseaux d’eau qui vont aller voir ailleurs.

Avez-vous constaté un regain pour une espèce particulière ?

Certaines espèces d’oiseaux connaissent effectivement un regain important dans leurs effectifs. C’est le cas des grand cormorans, friands de poissons, qui ont vu leur nombre augmenter suite à l’édification de nouveaux barrages, notamment le grand barrage de Beni Haroun, dans la wilaya de Mila. Il y a aussi une augmentation des effectifs du fuligule nyroca, qui est une espèce protégée à l’échelle international. Il est aussi utile de citer l’augmentation des effectifs des cigognes blanches, qui a tendance de plus en plus à se sédentariser en Algérie, sans avoir besoin de migrer en Afrique. Pour les espèces, dont nous avons constaté une diminution des effectifs, je peux citer les cas du fuligule morillon, du fuligule milouin, du flamant rose, du tadorne de belon ou encore de l’erismature à tête blanche. A l’échelle mondiale, selon Wetlands International, une légère augmentation des effectifs est observée en Amérique du Nord et en Europe, du fait des mesures de protection efficaces et peut-être des conditions météorologiques plus favorables. A contrario, une diminution est enregistrée depuis plusieurs années dans les zones tropicales et en Asie orientale.

Quel a été l’impact du changement climatique sur notre pays ?

Les changements climatiques sont une réalité. Depuis ces deux dernières décennies, nous constatons un raccourcissement de la saison des pluies et une hausse des températures moyennes, notamment en période hivernale et estivale. Au cours de cette période, on a eu une accentuation des phénomènes d’origine météorologique extrême, à l’exemple des sécheresses, des incendies de forêt, des inondations, des tempêtes de sable… Mais l’impact le plus important, à court terme pour notre pays, consiste en la diminution de nos ressources hydriques qui va avoir un impact direct sur la production agricole et l’alimentation des ménages en eau potable, notamment dans les grandes agglomérations. A titre d’exemple, le Mont babors, qui est situé dans le nord de Sétif, la neige pouvait subsister jusqu’à fin mai, début juin en moyenne. Or, ces deux dernières décennies, la couverture neigeuse commence à disparaître dès la fin du mois d’avril, début mai. Dans cette même région, des chercheurs de l’université de Sétif ont constaté un réel changement dans la phénologie du cèdre de l’Atlas, suite à des épisodes plus fréquents de sécheresse et de diminution de la couverture neigeuse. Ce changement dans la phénologie du cèdre pourrait avoir des conséquences sur l’écophysiologie de l’arbre et le rendre par exemple plus sensible aux maladies et aux ravageurs. Imaginez ce genre d’impact sur les plantes cultivées, notamment les arbres fruitiers.

(*)Directeur du Laboratoire de zoologie appliquée et d’écophysiologie animale de la faculté des sciences de la nature et de la vie de l’université de Béjaïa.

Copyright 2024 . All Rights Reserved.